Hamlet était assis là, seul, sur le bord de la rail sur l’une de ces lignes désafectés, le regard vide. Il repensait. Repensait à tout ce qui s’était passé et ne risquerait plus d’arriver. Il y a longtemps qu’il n’avait pas vu Bathgate, qu’il n’avait pas vu les splendeurs de l’Écosse. À quand remontait la dernière fois qu’il avait parlé à sa sœur ? Et son père qui venait d’apprendre qu’il avait le cancer à leur dernière conversation ? Était-il mort de sa maladie ? Ah ça, il ne le saurait sans doute jamais. Et si c’était le cas, sûrement que sa mère l’aurait suivi en mourrant de chagrin. Si les deux étaient morts… Qu’était-il arrivé à Amelia ?

Asylum poussa un soupir avant de se laisser tomber sur le dos, fermant les yeux. Prenant une inspiration, il tenta de se souvenir de cette maison de son enfance, les nombreuses fois où il a courru de long en large dans la cours arrière. Mais la station de métro ne sentait en rien la douce odeur de Bathgate, ni même de l’exquis fumet qui s’échapait de la cuisine de son enfance et encore moins l’agréable fragrance de… son voisin. Oui, son voisin. Oh, qui dit Bathgate pour Hamlet dit aussi premier amour. Mais on s’entend que ce n’était que les premières amourettes, les découvertes de l’orientation sexuelle. Une fois Bathgate quitté pour aller à Londres et étudier en médecine, ce jeune homme, bien qu’il était magnifique, fut rapidement oublié. Déjà parce que lui, il restait en Écosse, et puis, aussi, il y avait des tas d’autre bels hommes en Angleterre. Les Anglais savent si bien s’habiller. Aaaaah… L’Institue de Médecine. Que des belles années. Hamlet avait tout une réputation au bahut à cette époque. Les filles lui tournaient autours, mais il était l’insaisissable, ayant une préférence pour les muscles plutôt que les rondeurs des poitrines et des hanches. Aussi reconnu pour son humour, ses gamineries et ses milles et unes farces et attrapes. Et ses talents de comédiens ! Ah non… Hamlet était bien connu… Mais pour lui, l’Institue de Médecine lui rappelera toujours une personne en particulier. Dean Harper. L’étudiant, quelques années plus âgées que lui, en stage à l’hôpital non loin. Asylum était en deuxième année d’étude la première fois qu’il le vit. Un si bel homme, il ne put détourner son attention… Puis, ils commencèrent par aller boire un verre ensemble pour commencer, prendre un café… Aller diner ensemble… Et ça finissait par passer des soirées ensemble. Ce fut la cata’ complète quand Dean a dut quitter pour les États-Unis, d’où il venait, une fois que son stage fut terminé… sachant qu’il voulait passer d’avantage de temps avec lui, Hamlet décida de déménager à New York une fois qu’il eut fini ses études, déménager pour rejoindre l’homme de sa vie.


New York… Ce n’est pas seulement la place où il s’est fiancé, mais aussi l’endroit où il était lors du grand jour. À cette époque, il n’était pas simplement médecin, mais plutôt médecin légiste dans une équipe de police scientifique. Hamlet analysait les corps des personnes que l’on retrouvait morte et que l’on soupçonnait d’avoir été assassiné. C’est assez particulier comme travail. Dean, simple médecin chirurgien, se demandait comment est-ce que son doux et souriant époux faisait pour vivre avec ça alors que ce-dernier ne voyait rien de vraiment morbide dans tout ça si c’était pour trouver les coupables et les empêcher de faire d’autre victimes. Bref, Hamlet vivait vraiment une vie de rêve… Jusqu’à ce jour. Ce jour si sombre, si… Innexplicable…

Le grand brun glissa la main à l’intérieur de son long trench coat, dans la poche interne. De là, il en sortit un vieux carnet bleu avec les pages jaunis. Ouvrant les yeux, il souleva la couverture, parcourant la première page de ses prunelles dorées. Il était écrit :


Jour 1
« Je n’y crois toujours pas mes yeux. C’est surréaliste ! C’est exactement comme dans les films ! Moi qui rêvais quand j’étais tout petit de voir l’espace, de voir les étoiles et tous les mystères des autres planètes… Je ne croyais que rêver. Et pourtant… C’est les étoiles et leurs mystères qui sont venus à nous. Je me demande si c’est pareil chez nous. I just hope that Amelia, Daddy and Mummy are fine and in security. Bloody Hell… C’est impossible de les rejoindre… »

Il feuilleta beaucoup plus loin, lisant quelques paragraphes, quelques phrases, au hasard en chemin, sans pour autant s’attarder à un jour particulier. En fait, il ne cherchait rien, il prit simplement une page au hasard.

Jour 106
« Toujours voyager, c’est pas vraiment facile. Ça devient de plus en plus difficile de se trouver des endroits pour s’arrêter, manger au moins un peu et se reposer. Et pas question de voyager de jour sinon on est trop facilement repérable. On n’a pas eu le choix de devenir nocturne. C’est vraiment dur psychologiquement parlant. Heureusement que j’ai toujours Dean avec moi pour me supporter… Je ne sais pas ce que je ferai sans Dean… Qu’est-ce que je l’aime, je ne veux pas le voir partir… Je ne supporterais pas de le voir partir… He is my life… »

Jour 136
« Ça fait plusieurs jours que de ces foutus Aliens nous suivent. On arrive souvent à se cacher, mais d’autre fois, il faut vraiment qu’on se sauve d’eux. D’un côté, je suis heureux d’avoir fait parti d’une équipe de police scientifique. J’ai appris à tirer à l’arme à feu… Même si j’ai réalisé avoir un don inné pour tirer simplement… Malgré que je hais les armes… Au moins, ça nous permet de pouvoir nous protéger un peu plus. Parce que courir, c’est pas toujours la meilleure option. Quand est-ce que ça va finir ? J’en ai assez de courir. »

Hamlet tourna la page puis sentit son cœur le serrer douloureusement. Des marques de sang tachaient le papier jaunit. Ce jour… Oh… ce jour… Il ne l’oubliera jamais… Malgré qu’il aimerait l’oublier. Son cœur le ferait moins souffrir s’il pouvait oublier… Asylum sentit ses yeux s’humidifier alors qu’il lisait lentement ce qui se trouvait sur cette page bien remplie.

Jour 142
« Ça faisait plusieurs jours qu’ils nous traquaient. Plus d’une semaine. Peu importe où l’on allait, ils nous retrouvaient… À chaque fois qu’on essayait de se reposer un peu, ils finissaient par arriver. Aujourd’hui… On était cerné… Blimey ! Et cette fois, impossible de les détourner ! Je n’avais plus de balle dans mon pistolet… Dean non plus. Et il a décidé de se battre au corps à corps contre eux… Mais deux contre autant, c’était impossible… Je n’oublierai jamais comment il m’a attrapé par le poignet, m’a regardé dans les yeux et m’a murmuré ce dernier ‘’Run !’’ avant que l’on court se cacher. Encore. Il m’a foutu dans une pièce caché, m’a dit de ne pas bouger. Il avait l’air si nerveux, cette fois. Il partait. Je le savais. C’était fini. Malgré le faible temps, je sentais mon cœur se fendre, se déchirer, à chaque seconde qui passaient. Il a prit mon visage entre ses mains, m’a embrassé une dernière fois, a fermé la porte et je l’ai entendu partir. Des bruits de combat, des souffles saccadés, des plaintes de douleurs, des ordres gueulés pour retrouvé le « second humain », des bruits de pas, ils courraient… Puis rien… Je ne sais plus combien de temps je suis resté là-dedans… Mais quand j’en suis sorti, plus aucune trace de Dean. »


Une première larme finit par franchir la barrière et rouler sur la joue de l’Écossais. Depuis, ses sourires n’étaient plus ‘’vrais’’. Depuis, il sentait toujours un vide. Si vide. Il tenta rapidement de se ressaisir en tournant une nouvelle fois la page, lisant la suite.

Jour 170
« J’ai l’impression de devenir fou à force de voyager seul. De temps en temps, je tombe sur d’autres survivants qui réussissent tant bien que mal à survivre. Mais ce n’est pas le gros luxe. Et puis… Qu’est-ce qui pourrait remplacer le vide qui grandit en moi ? Ça fait déjà 28 jours. 28 Jours plus tard et je n’arrive pas à l’oublier. Dean… Qu’est-ce que je donnerais n’importe quoi pour me réveiller et te voir dormir près de moi, dans notre chambre, comme si jamais rien n’était arrivé. Me réveiller, jouer dans tes cheveux un peu, puis devoir me lever et aller bosser sur un nouveau meurtre, un nouveau cadavre. Les cadavres, ça a toujours été morbide… Mais ce n’est rien comparé à ce que je vis présentement. M’enfin… J’ai entendu dire qu’il y avait une bande complète de survivant. On les appelerait la Cohorte, si j’ai bien compris. Un groupe de gens qui se cachent dans les métros de Cincinnati. J’ai pas envie de vivre avec un tas de monde, mais j’ai pas trop le choix. Si je veux survivre, pas vraiment le choix d’être solidaire. Quoi que… au final… Pourquoi est-ce que je me bats toujours à survivre ? Je n'ai plus rien à perdre. Plus de famille, plus de fiancé... rien. »

Le médecin fini par se redresser et s’asseoir à nouveau. Il regarda un instant autour de lui, prit une autre grande inspiration puis tourna la page. Une page vide. C’est ce qui en suivait. Comme tout à l’heure, Hamlet glissa sa main à l’intérieur de son coat afin d’en sortir un stylo de la pochette interne. Il regarde un moment la page blanche avant de la tacher de l’ancre bleue pâle.

Jour 174
« Aujourd’hui, 15.06.2013, j’ai finalement trouvé la cohorte. On n’est pas immense, mais c’est déjà ça. Il y a du monde pour tout, ici. Cuisiniers, soldats, des gens bien un peu partout. Au moins ici, je peux servir à quelque chose. Je peux réserver mes savoirs en médecine pour les nouveaux arrivants blessés que l’on reçoit. Aussi, si jamais on est en mauvaise posture, je pourrai toujours jouer le rôle de l’œil du faucon. C’est déjà ça. J’ai l’impression que ça va me prendre du temps à m’habituer. Il y a tant de monde… Tant de monde quand ça fait presque six mois que j’étais seul avec Dean… Puis ensuite seul avec moi-même. Je vais très certainement avoir l’air d’un sauvage dans les premiers jours à force de rester seul dans mon coin. Mais tant pis. Au moins, ils ont l’air plutôt gentil. Entendre la voix de quelqu’un d’autre, quelqu’un comme soi, ça fait du bien. J’en avais pas entendu du tout depuis 5 jours et je trouvais ça assez… stressant. At last, I feel a little more in security here. Mais l’inquiétude concernant Mum, Dad and Amelia continue de me ronger. Je crois que c’est peut-être ici que mon journal va s’arrêter. J’aurai plus d’une personne pour qui me confier, maintenant. Je n’aurai plus besoin de parler à un bout de papier pour laisser sortir tout ça. Mais je continue à toujours me poser la même question… Pourquoi ? Pourquoi la Terre ? Pourquoi nous en veulent-il comme ça ? Pourquoi en est-on arrivé là ? »

Laissant échapper un long et pénible soupir, Hamlet finit par fermer son petit bouquin. Pendant un long moment, son regard se fit vide, jusqu’à ce qu’il entende quelqu’un l’appeler au loin. Ils avaient besoin d’un conseil médicinal. Un faible sourire triste étira la commissure de ses lèvres alors qu’il répondait dans son accent Scottish roulé :

Puis, il tourna les talons afin d’aller rejoindre la jeune femme qui l’appelait…