« J’sors. »
Et il attend une réaction en tirant nerveusement sur son sac en bandoulière. Il attend un « ne rentre pas trop tard » ou un « avec qui ? ». Il attend même qu’elle lui dise non et qu’une dispute éclate, ou bien qu’il lui dise qu’avant d’aller où que ce soit, il va falloir qu’il range sa chambre parce que ça ne peut plus durer. Mais son père se contente de tapoter sa cigarette au-dessus du cendrier et sa mère fixe l’écran de télévision sans avoir l’air de savoir ce qu’elle est en train de voir. Jamie s’attarde encore un peu, prenant son temps pour enfiler sa veste de cuir élimée, toujours dans l’espoir que quelque chose se passe. Quelque chose. N’importe quoi. Mais rien. Le grand rien auquel il va bien falloir qu’il s’habitude un jour.  
Il soupir et quitte la demeure familiale, tirant la porte derrière lui avant de laisser claquer la moustiquaire. Avec un peu de chance, ça dérangera son père qui lui signalera d’être plus délicat à l’avenir. C’est pourtant pas trop demander : tout ce qu’il veut, c’est quelques mots de temps en temps qui lui soient adressés personnellement. Mais il sait que son père ne lui fera pas le moindre reproche. Quand il se lèvera demain (étant donné le planning, ça ne va pas arriver avant midi) son paternel sera déjà parti travaillé et il se retrouvera coincé avec l’espèce de sac à viande qu’est devenu sa mère…
 
Il enfourche Candice qui repose sagement contre la maison et commence à pédaler, s’éloignant de son petit enfer personnel. Il s’apprête à retrouver son chez lui. Jamie ne peut pas s’empêcher de sourire comme un bien heureux tandis qu’il se redresse sur sa selle, les mains posées sur ses cuisses qui s’agitent en rythme. Il espère que Dahl ne se sera pas contenté d’acheter ses conneries de bières. Il n’aime pas la bière. Enfin pas tellement. Quand ils se font une soirée bières, il passe tout le chemin du retour à s’arrêter pour pisser comme une connasse de fillette à la vessie minuscule… Non, elle doit avoir fait un effort. Elle lui doit bien ça, cette saleté de déserteur.
Mais mieux vaut ne pas penser à ça. Il y pensera quand elle mettra les voiles pour de bon. Il aura tout le foutu temps du monde pour y penser quand elle ne sera plus dans le coin.  

Il lui faut une bonne vingtaine de minutes pour atteindre leur point de rendez-vous et quand il y est, Jamie empoigne Candice pour la charger dans son dos et grimper la colline où ils vont festoyer.
Alors qu’il espère que croiser le regard espiègle de sa partenaire de crimes lui redonnera définitivement le sourire, il se rend compte qu’il se sent un peu plus déprimé. Elle va lui manquer cette sale conne.  
« Merci de m’honorer de ta présence. »
« Des paroles, des paroles. Prouve-le-moi donc que j't'honore » réplique-t-il en déposant son engin sur l’herbe humide, espérant donner le change.
« Salut, Candice, comment ça va ? …Franchement, t’étais obligé de la ramener ? J’croyais qu’on avait dit qu’on faisait ça en comité restreint. »
Et moi j’croyais qu’tu resterais dans mon sillage jusqu’à la fin des temps. On est tous déçus à un moment ou un autre, pas vrai ?
« Bah vas-y, demande-moi d’sortir sans ma couille gauche tant qu’tu y es » fait mine de s’offusquer Jamie. « Où je vais, elle va et tu l’sais parfaitement. »
Là-dessus, le grand blond tapote affectueusement la selle de son engin, avant de pousser un soupir lascif et théâtral.

« Allez, viens t’asseoir. J’suis passée prendre quelques munitions. »
Il sourit et vient la rejoindre sur les couvertures, laissant tomber son sac à dos à proximité. Jamie attrape la boisson qu’elle lui tend (une bière, tien donc…) et utilise ses dents pour l’ouvrir avant relever ses genoux devant lui pour les entourer de ses bras fins. Il tourne alors son visage rieur en direction de sa meilleure amie qui reprend la parole.
« La prochaine fois, quand tu seras devenu grand, t’iras te démerder à acheter l’alcool. J’aimerais bien te voir galérer à faire tenir les packs sur ton vélo. »
« J’les ferai tenir dans mon connard de foie ouais » plaisante-t-il avant qu’elle ne décide de porter un toast en leur honneur. Jamie présente sa bière à celle de sa camarade puis porte la boisson à ses lèvres pour en avaler une gorgée.

A eux…

Ce se pince encore dans sa poitrine. Ca se tord dans son estomac.

« Oh, avant qu’j’oublie » lance tout à coup Jamie, avalant une nouvelle gorgée de sa bière en étandant son autre bras pour ramener son sac à dos à lui. Il s’évertue à l’ouvrir d’une seule main avant de s’agacer, tiquer, puis caler le goulot de sa bouteille entre ses dents pour s’y prendre à deux mains et parvenir à ouvrir la fermeture éclaire. Il tire alors un boitier boisé et terreux qu’il montre à Dahl, affichant un air on ne peut plus fier. Il rattrape sa bière, tenant toujours le précieux dans une de ses mains.  
« Tu r‘connais ? J’ai été la déterrer t’à l’heure. C’pour ça qu’j’suis en r’tard, vot’ majesté. »
Dahl fait mine de s’emparer de leur boite à trésors mais le jeune homme la place hors de sa portée. Evidemment, elle n’aurait pas de mal à s’en saisir de force, mais il espère qu’elle n’en fera rien.
« Nan, fais pas chier. On va pas tout déballer tout d’suite. Ce s’rait trop facile » la réprimande-t-il en avalant une nouvelle gorgée de sa bière avant de grimacer. « Putain t’as pas aut’ chose ? »

Il allait lui en vouloir, c’était certain. Aussi sûr qu’il changerait jamais, cet imbécile. Il resterait le même gamin insolent et irresponsable, ce même gars qu’elle avait appris à apprécier et à respecter. Ce type qui lui manquerait comme si on lui avait enlevé une partie de son cœur. Qu’elle était bête, au fond, de s’imaginer pouvoir vivre sans lui au quotidien. Est-ce qu’à vingt-trois ans, on cessait d’être une mioche ? Parce qu’en réalité, Dahl avait cette fâcheuse impression de toujours mesurer un mètre cinquante et d’être incapable de savoir quel chemin prendre. Ils étaient toujours des mioches. Dès qu’ils se retrouvaient, leurs sales habitudes reprenaient le dessus et ils étaient incapable de faire sans. Ils seraient toujours ces mêmes gamins blasés par la vie et les problèmes, qui ne savent que compter l’un sur l’autre. Peut-être que si elle était pas partie, les choses auraient fini autrement, qu’ils seraient restés ensemble jusqu’à ce que l’attaque les force à décamper de leur coin d’paradis. Peut-être qu’ils auraient fini par se marier, qui sait ? A force de picoler comme pas possible, on finissait de temps en temps par faire des choses qu’on imaginait jamais faire. Et puis, y’aurait eu pire que Jamie comme mari. Il la connaissait, lui au moins. Il faisait pas semblant de l’apprécier. En même temps, il avait pas le choix. Elle ne lui aurait jamais lâché la grappe.

Pendant que le goût âcre de la bière lui arrache une grimace, elle porte un toast maladroit qu’il s’empresse de suivre. « Oh, avant qu’j’oublie… » Il s’échine à récupérer quelque chose dans son sac à dos sous le regard mi-amusé, mi-intrigué de la jeune femme. Elle était presque prête à lui filer un coup de main, tant il lui faisait pitié, lorsqu’il se décida à caler sa bouteille entre ses dents pour utiliser ses deux mains. Elle l’observe faire, sans se départir de son sourire un peu moqueur. Il allait foutrement lui manquer, ce crétin. « Tu r‘connais ? J’ai été la déterrer t’à l’heure. C’pour ça qu’j’suis en r’tard, vot’ majesté. » « Non, t’as pas fait ça ? » La surprise lui fait presque oublier son départ prévu pour dans deux jours, elle lui fait presque oublier sa bière qui lui a laissé un arrière-goût désagréable. Mais il s’attendait à sa réaction et il s’efforce de tenir l’objet loin de ses mains avides. Bien sûr qu’elle savait ce que c’était. Elle aurait juste pensé qu’il aurait laissé ça à sa place, bien à l’abri. Franchement, ce foutu rendez-vous finissait par avoir des allures d’adieux. Et elle détestait ça, au moins autant que cette boule désagréable qui s’était  formée au creux de son ventre lorsqu’elle avait reçu la lettre d’admission et qu’elle avait compris qu’elle allait devoir le quitter. C’était rien, à la base… Juste l’histoire de quelques jours.

« Nan, fais pas chier. On va pas tout déballer tout d’suite. Ce s’rait trop facile. Putain t’as pas aut’ chose ? » En s’efforçant de ne pas trop penser à la boîte, elle tend son bras libre en arrière pour attraper la glacière et, avec des mouvements de prestidigitatrice, lui dévoile son contenu en ôtant le couvercle. « J’me disais bien qu’ça allait pas t’plaire. T’as toujours été trop difficile. » Elle termine sa propre bière dans un silence impatient, ses yeux ne cessant d’aller et venir entre lui et leur trésor. Elle n’aurait jamais pensé qu’il serait allé jusqu’à la déterrer pour elle, pour ce soir. Elle lui en voulait pour ça, c’était comme s’il venait de lui déclarer qu’il l’aimait. Il rendait les choses plus difficiles, pour eux deux. « Faut toujours qu’tu sois comme ça. » qu’elle marmonne un peu pour elle en ne cherchant pas un seul instant à dissimuler son intérêt pour cette fichue boîte. Elle sait ce qu’elle contient, évidemment, mais… C’était injuste. « Toujours à m’faire ce genre de coups. » A m’faire culpabiliser, qu’elle aurait envie de lui dire. Sauf que Dahl n’est pas comme ça.

Il lui arrive certes de se montrer cassante en étant trop franche, mais elle n’aime pas faire du mal à ceux qu’elle aime. Elle sait faire preuve de tact, elle au moins. Et puis de toute façon, ça ne servirait à rien de dire quoi que ce soit ce soir. « On pourrait oublier les cadeaux et profiter d’la nuit, qu’est-ce que t’en penses ? C’pas comme si c’était notre dernier jour sur Terre, hein. » A un moment, elle le savait, cette soirée finirait par déraper. Elle éclaterait en larmes comme une gamine et lui avouerait qu’elle ne voulait pas partir, qu’il allait lui manquer et qu’elle regrettait déjà. Ou alors ce serait lui qui craquerait en premier. La tension était trop palpable, alors elle attrapa une nouvelle bouteille dans sa glacière, laissant le hasard choisir le poison. Qu'importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Cette nuit serait longue, c’était ce qu’ils avaient prévu. Sous le prétexte de fêter son départ, ils dissimulaient simplement la tristesse de devoir se séparer. Évidemment, il comprenait son geste, il la soutenait à sa façon, mais d’un autre côté il lui en voulait et, en un sens, la détesterait sûrement pour cet abandon. « J’déserte pas tu sais. J’reviens dès que j’peux. » se sentit-elle obligée d’ajouter dans un souffle. Elle l’abandonnerait jamais. Jamais.

« Difficile et susceptible alors ferme ta grande bouche pleine de dents et nourris-moi » badine Jamie en déposant sa bière entamée à portée de Dahl qui n’aura qu’à la finir, avant de venir frotter avidement ses mains l’une contre l’autre.
Il observe le contenu de la glacière en remerciant les dieux que sa meilleure amie soit majeure et capable de le gâter de cette manière. Il remercie également pour sa générosité puisqu’il n’a pas eu à débourser un sou… Il faut dire qu’il est à sec et que c’est elle qui a choisi de foutre le camp pour s’envoyer en l’air pendant qu’il restera coincé à York avec ses deux fantômes de parents.
Le jeune homme choisit d’ailleurs la boisson qui, à son sens, aura le plus de chance de l’assommer, par pur provocation envers ses géniteurs. On sait jamais, des fois que les choses tournent mal. Ils seront obligés de réagir si jamais il lui arrive quelque chose. Pas vrai ? Sa mère se lèvera de son foutu fauteuil et son père viendra chanter et danser la gigue à son chevet au moins ! Cette idée le fait ricaner doucement alors que Dahl lui reproche son attitude. Son ainée n’aura qu’à prendre ça pour elle et penser qu’il se moque.
Il fait glisser son ressentiment avec une première gorgée de sa vodka. Il aurait préféré un peu de tequila mais il sait que Dahl la réserve pour leurs shot de fin de soirée. Dahl et ses frappés… Et lui, c’est d’une petite quinte de toux qu’il est frappé après sa première gorgée, bien plus piquante et sèche que les précédentes.

« On pourrait oublier les cadeaux et profiter d’la nuit, qu’est-ce que t’en penses ? C’pas comme si c’était notre dernier jour sur Terre, hein. »
« Va chier, j’me suis coupé avec un brin d’herbe pour te ramener ça, femme. Alors on peut garder ça pour plus tard mais j’te garanti qu’on y mettra le nez. »
Il arbore un air menaçant l’espace de quelques instants, puis glousse et porte une fois encore sa bouteille à ses lèvres pour une gorgée plus raisonnable que la première. L’alcool le brûle encore un peu mais au moins, il n’a plus l’air de s’étouffer avec. Si ça arrive trop souvent, Dahl va encore le faire chier avec cette ridicule notion d’âge et sur le fait qu’il ne sache pas boire. C’qu’elle peut être agaçante parfois…
Pas au point de souhaiter son départ ceci dit.

Son sourire s’efface peu à peu et l’ambiance devient tout à coup un peu pesante. Il n’est pas le seul à le sentir apparemment parce que le ton de son amie est bien moins guilleret que depuis son arrivée lorsqu’elle s’exprime. Et ses propos arrachent un frisson à Jamie. Soit eux, soit la nouvelle gorgée de vodka qu’il s’est enfilé.      
« Ouais j’sais bien… » répond-t-il sans chercher à masquer sa déception cette fois-ci. Elle le connaît trop bien de toute manière et ça ne prendra pas. « C’est juste que… Enfin j’aurai préféré que…qu’tu tiennes ta promesses et que… »
Il baisse les yeux et joue avec sa bouteille entamée quelques secondes.
« Et que tu m’obtiennes le numéro de cette grosse chaudasse d’Hope Pattinson avant d’partir comme une enfoirée d’égoïste ! J’vais m’envoyer en l’air avec qui pendant qu’tu seras au septième ciel hein ? J’vais devoir la droguer maintenant ! J’vais finir en taule et ce sera ta faute ! Et quand j’y serai, qui est-ce que j’pourrais appeler pour organiser mon évasion hm ? Personne ! Tu viens de gâcher ma vie entière sale traitre à ton SANG ! »
Là-dessus, il lève son majeur dans sa direction puis crache sur l’herbe pour exprimer le dégout qu’elle est censé lui inspirer. Il ricane une fois encore et boit encore un peu, espérant être parvenu à détendre un peu l’atmosphère avec ses remarques stupides.  

Parfois, il lui arrive d’oublier à quel point elle a de la chance, d’avoir un père et une mère aimants. Ses parents sont sa famille, puisqu’elle n’a jamais eu la chance d’avoir un frère ou une sœur. Elle a été leur seule préoccupation durant des années, leur unique enfant. Une tête brûlée qui passait ses après-midi à pédaler comme une dingue avec son meilleur ami, puis, avec l’âge, qui passait de plus en plus de soirées à découcher. Pas parce qu’elle voyait d’autres gars, non, simplement qu’elle préférait être là avec Jamie. Après l’accident, elle avait tout fait pour lui montrer qu’elle ne le lâcherait pas, qu’elle ne le jugeait pas responsable, qu’elle serait son support tant qu’il en aurait besoin. Alors forcément, pour ça, il n’y avait rien de mieux que de passer le plus de temps possible avec lui ; à l’époque, maman Fawkes avait été persuadée qu’il se passait quelque chose entre eux. A dire vrai, elle l’avait toujours pensé. A ses yeux, rien n’aurait pu mieux justifier leur connexion qu’une attirance mutuelle inavouée. Raté, maman. De toute façon, Dahl n’était pas le genre de femme à dissimuler quoi que ce soit par gêne ou par peur du rejet. Il fallait bien vivre, après tout, et elle préférait de loin les remords aux regrets.

La menace de Jamie glisse sur elle sans l’atteindre parce qu’elle le connaît trop bien et qu’elle sait qu’en plus, elle pourrait presque facilement avoir le dessus sur lui. C’est qu’il se bat comme une fillette, le pauvre. Avec un sourire faussement compatissant, elle lui tapote doucement l’épaule de sa main libre alors qu’il toussote encore : « C’est rien, ça va passer. Tu verras, à la fin, t’auras la gorge tellement en feu qu’ça ira tout seul. » qu’elle lui explique d’un ton prétendument expérimenté. Sauf que lui aussi il sait ça, à force de traîner avec elle et ses douzaines d’alcools différents. C’est juste qu’elle apprécie le charrier tant qu’elle le peut encore, savourant ce que trois années d’écart peuvent creuser comme fossé entre deux gamins. Techniquement, il n’a même pas atteint l’âge adulte. Dans peu de temps, il aura dépassé la vingtaine et elle sera bien obligée de faire avec, de le considérer comme un égal. Pour le moment, Dahl s’amuse bien trop à le faire enrager sur ce point. Elle laisse sa troisième gorgée de brandy dissiper l’arrière-goût âcre que lui avait laissé sa bière.

Et alors qu’elle est presque sûre que l’atmosphère est fichue, le voilà qui sort une tirade qui la fait brusquement éclater de rire avant qu’elle ne se reprenne tout aussi soudainement, en lui jetant un coup d’œil en coin. « Roh, ça va ! T’en es pas à ton premier essai, si j’me souviens bien ? C’pas ma faute si tu fais fuir les nanas que, par miracle, j’arrive à t’envoyer. Faut dire qu’avec ta sale gueule, elles prennent un peu peur. » Le sourire qu’elle arbore est celui ‘spécial one-shoot’, qu’elle réserve pour les fois où elle sait qu’elle tape dans le mille et qu’il n’aura pas grand-chose à lui renvoyer en guise de représailles. « En plus, j’ai un scoop pour toi, mon cœur. Hope est lesbienne. Et bien plus intéressée par moi, si j’en juge d’après la pelle qu’elle m’a roulé la dernière fois que j’ai essayé de lui parler. » Œillade provocatrice, moue sexy, c’est la panoplie de la briseuse de cœur qu’elle lui sort pour appuyer ses dires. Faut avouer que pour une jeune femme de vingt-trois ans, Dahl est plutôt bien roulée ; et puis sa grande gueule lui attire étrangement autant de succès que d’échecs. Certains n’aiment pas que les filles les battent à plates coutures.

« Quant au septième ciel, j’y serais pas tout d’suite. T’auras qu’à t’en dégoter une qui puisse tenir la distance, pas comme la dernière que t’avais essayé. Bon sang, si tu m’en ramènes encore une comme elle… » marmonne-t-elle en s’engloutissant une nouvelle rasade d’alcool. « Jude ? Juliet ? Merde, comment elle s’appelait déjà ? » Dahl a toujours été atrocement exigeante envers les conquêtes féminines de son meilleur ami. Il fallait qu’elles soient à la hauteur, qu’elles vaillent le coup. Si Jamie savait tous les critères qu’elle avait au sujet de ses potentielles petites-amies, il en aurait été probablement … amusé. Il faut dire que lui non plus ne se montrait pas spécialement tendre lorsqu’il la surprenait avec un type qui lui plaisait. « J’sais même plus ce que tu lui trouvais. J’espère que c’était un bon coup au moins. » La chaleur réconfortante de l’alcool commence doucement à se répandre dans sa poitrine, annihilant les derniers restes de son sentiment de malaise quant à la situation dans laquelle ils se trouvent. Ce ne sont pas des adieux après tout. « Et puis tu sais qu’tu pourras toujours compter sur moi pour te sortir de là. On est comme… J’sais pas, Bonnie et Clyde ? La fin atroce en moins. Batman et Robin ? Il va de soi que c’est moi Batman, dans ce cas-là. Comme toi tu s’rais Loïs dans Loïs et Clark. Jeune padawan. » Son rire se communique jusqu’à son regard, qui se met à pétiller comme un feu d’artifices. Elle est comme ça, Dahl, le genre de bonne femme à sortir des conneries plus grosses qu’elle et à s’en étouffer de rire. Ou peut-être que c’est l’alcool qui lui monte un peu à la tête pour cette fois, parce qu’il faut avouer qu’elle s’est déjà envoyé deux autres bières avant que Jamie ne fasse son entrée théâtrale.

Il aime l’entendre rire. Dahl ne fait jamais semblant, quand elle éclate, son rire rempli tous les vides dans son âme. Faut dire qu’elle rit tellement fort… Il adore d’ailleurs la faire marrer aux pires moments qui soit, histoire qu’elle attire l’attention de tous et s’attire surtout leurs foudres. Comme il l’avait escompté, les tensions ont l’air de se dissiper comme par magie. C’est pour ça qu’il l’aime et qu’elle va cruellement lui manquer… Parce que cette connasse est une foutue magicienne qui embellit son existence morne, colore le paysage terne de ce trou à rat dans lequel il se sent oppressé et a l’impression de s’enliser. Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir foutre sans elle ? Comment est-ce qu’il pourra relâcher la pression, vider la putain d’soupape ? Qui lui changera les idées quand il sera à bout ? Qui sera là pour le réconforter quand tout lui semblera devenir insupportable ?
Il louche sur son verre quelques instants. C’est peut-être ça la solution à tous ses futurs problèmes…
Mais ça ne sert à rien d’y penser parce que Dahl est encore à ses côtés.

« Roh, ça va ! T’en es pas à ton premier essai, si j’me souviens bien ? C’pas ma faute si tu fais fuir les nanas que, par miracle, j’arrive à t’envoyer. Faut dire qu’avec ta sale gueule, elles prennent un peu peur. »
« Rien à voir avec ma gueule, sale gargouille ! C’est juste qu’elles veulent des fleurs, manger au resto et voir els étoiles et qu’j’ai que ma bite à leur offrir. L’honnêteté ça paye pas, c’est tout » se renfrogne le garçon, piqué dans son orgueil de mâle.
« En plus, j’ai un scoop pour toi, mon cœur. Hope est lesbienne. Et bien plus intéressée par moi, si j’en juge d’après la pelle qu’elle m’a roulé la dernière fois que j’ai essayé de lui parler. »
Et là-dessus, elle lui sort cette moue qu’il déteste. Sa moue de fille sexy et supérieure qui lui donne envie de la gifler.
« T’es rien qu’une petite salope, Dahl. Dans le pire sens du terme. »
Il avale une nouvelle gorgée de son poison et essuie ses lèvres d’un revers de la main, affichant pour sa part une moue boudeuse. Et puis il lève une fois encore son majeur pour lui montrer qu’elle l’a contrarié. Mais loin de la dissuader de continuer sur la voie de l’emmerdement, Dahl prend au contraire un malin plaisir à enfoncer encore un peu le clou en lui parlant de Jordan.
« C'était Jordan et tu l’sais parfaitement, fais pas genre. J’t’ai vu venir à dix mille kilomètres avec tes grosses godasses de petite salope » rétorque le blondinet en plissant les yeux avec accusation, avant de se mettre à glousser sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce qu’il s’imagine en train de le faire…ou parce que rien de tout ça n’a beaucoup de sens et d’intérêt en fin de compte. Il boit à nouveau à ça pendant que sa camarade poursuit.

« Et puis tu sais qu’tu pourras toujours compter sur moi pour te sortir de là. On est comme… J’sais pas, Bonnie et Clyde ? La fin atroce en moins. Batman et Robin ? Il va de soi que c’est moi Batman, dans ce cas-là. Comme toi tu s’rais Loïs dans Loïs et Clark. Jeune padawan. »
« J’t’emmerde. Puis j’te signale que le jeune padawan devient un putain de dieu ! OK, j’aurai ptêtre plus de bras et de jambes et j’deviendrai asthmatique, mais j’te défoncerai à la fin, ok ? J’te tuerai comme une grosse merde Obi Wan ! »
Sur cette remarque, ricanant, il se met en tête de se redresser, prenant garde de ne pas renverser sa vodka. Il attrape la première branche qu’il trouve et se retourne vers Dahl en avalant une énième gorgée qui passe plutôt bien. Comme elle le lui avait annoncé. Il garde sa main à proximité de sa bouche et prend la parole en imitant le Seigneur Vador.
« If you're not with me, then you're my enemy… » tonne-t-il en pointant son bâton dans sa direction avant de l’agiter en enchainant les bruitages caractéristiques du sabre laser.