Elle est née en avril, en 1990, à Florence. L'Italie, berceau de son existence. C'était une gamine resplendissante, pleine de vie. Benjamine de la maison, dès son plus jeune âge elle a démontré sa gourmandise sur le savoir. Elle aimait faire ses devoirs et feuilleter les livres de cours supérieurs plutôt que de jouer avec les enfants de son âge. Elle préférait passer ses journées dans la bibliothèque, s'intéresser à des entités perdues et rêver à des aventures dans le fond de la jungle, plutôt que parler chiffon. Présenter ainsi, son enfance paraît fade pour une fillette qui aurait plutôt dû jouer à la poupée au lieu d'idolâtrer la reine Cléopâtre à ses dix ans passés. Il n'en est rien ! Elle n'a jamais manqué de rien. Sa famille lui a apporté l'amour nécessaire et ses grands frères étaient toujours derrière elle pour la soutenir. Elle avait son lot d'amis à compter sur les doigts d'une main, et ses ennemis, avec qui elle a passé de bons moments ou encore des instants désagréables selon le groupe d'individus. Le temps a passé et la gamine a continué de grandir, comme le veut le cycle de la vie. Elle a terminé ses études sans grand diplôme malgré ses compétences et a fini libraire, dans la bibliothèque qui était devenu sa seconde maison. Elle aurait pu devenir archéologue, tel que l'a toujours imaginé ses parents et tout ses proches. Mais les aventures de la gamine se limitaient à des livres. Elle aimait sa vie. Elle n'en demandait pas plus, ou de connaître peut-être un jour l'amour et fonder à son tour sa propre famille. Mais à 21 ans, elle se croyait trop jeune pour parler d'avenir stable. Avant d'envisager la routine, elle rêvait surprise au jour le jour. Malheureusement, à ce même âge, un bête chute survient. La mort la frôla et par miracle, elle en réchappa. Celui lui laissa uniquement une balafre sur le crâne, descendant sur la nuque. La gamine pensait alors à une deuxième chance. Comme elle s'était trompée.
Qui aurait pu imaginer qu'une invasion, quelques mois plus tard, donnerait toute la signification à cette « bête chute » ?
SEPTEMBRE 2012Dans la clarté de ses yeux, couleur grisaille d'un nuage annonçant la tempête, scintille l'amertume de quelques larmes. Du sang et de la boue se mêlent ensembles et craquèlent sur sa peau blanche. De nombreuses plaies salissent la texture de son épiderme d'antan si lisse. Son visage autrefois si serein et joyeux vomit aujourd'hui l'angoisse et la haine. Oui, la gamine tremble de peur sur sa chaise en bois mal taillée. Des échardes lui esquintent les mains et la corde trop serrée brûle ses poignets. Elle s'est acharnée, malgré la douleur, pour défaire les liens, mais rien n'y fait. Elle reste prisonnière dans sa crasse puant le malheur. Combien de jours déjà ? Même concentré, elle ne parvient pas à se souvenir. Sa mémoire s'est retirée dans un gouffre profond, un lieu insaisissable. Chaque journée se ressemble, plus rien n'a d'importance. Au début, elle se donnait la peine de différencier le jour de la nuit pour garder un repère sur la date. Maintenant, elle n'a que faire que le soleil expose en plein ciel sa luminosité ou que la lune pointe le bout de son nez quand les premières étoiles apparaissent. Sa belle Florence n'est plus présente. Sa petite maison briquée a disparu de sa routine actuelle. La gamine a oublié les odeurs et les couleurs de sa province, détails de son enfance. Ici, il n'y a que de la verdure en abondance. De la toile de tente, ou l'espèce de bâche qui dégage une odeur de renfermée, jusqu'aux arbres qu'elle peut brièvement apercevoir quand quelqu'un se glisse à l'intérieur de sa cellule. La gamine ne sait pas où elle se trouve et a perdu tout espoir qu'on la retrouve. Personne ne viendra la chercher. La survie n'a plus d'intérêt et pourtant, elle s'accroche à son dernier souffle de vie pour les disparus. Ceux qu'elle a perdu. Ce qu'il y a de plus précieux dans toute une vie : sa famille dont elle a tout oublié, du simple prénom des membres qui la constituait jusqu'à l'amour qu'elle lui portait.
Et ce capharnaüm qui a achevé le moindre de ses rêves, le plus infime de ses désirs, porte un nom qui en amuse certains ou en terrorise d'autres : Bienvenue en enfer mademoiselle Marcòri.
La gamine est devenue, en terme médical, amnésique. Le choc psychologique a été trop brutal, trop soudain, pour l'encaisser convenablement et en gérer tout l'étendu. Si elle devait mettre sur papier son autobiographie, elle serait incapable de définir la chronologie de son existence. Sa mémoire est un monde de décombres, habité par les carcasses de ses souvenirs. Réminiscence déchue. Famille, voisin, ami ou ennemi ont cessé d'avoir une signification. Son travail de petite libraire modeste, toujours sympathique, jamais trop stricte, s'est égaré entre les pages de son présent. Et son futur n'a que peu d'intérêt, il n'est qu'un mot synonyme d'avenir, tout deux à rayer de son langage, alors qu'elle a rêvé d'aventure, elle, l'apprentie archéologue. Et tout ça pour quoi ? Rien. Exactement ce qu'elle est présentement ! Elle est un objet à torturer. Une poupée que les sales gosses déshabillent et détruisent. Pour s'amuser ou pour dénicher la vérité, la douleur a toujours le même effet : un cœur qui bat et qui répand ce venin. Et il la brûle. Il la démange. Elle voudrait se frotter la peau jusqu'au sang pour s'en débarrasser. Oui, cette gamine veut que ça s'arrête. Elle le crie à ces hommes qui lui font du mal. Au début, elle pensait qu'il ne la comprenait pas. En fait, ils ne veulent pas l'entendre. Ils disent qu'elle est l'une des leur. Elle hurle le contraire. Non, elle n'est pas un envahisseur. Ni martienne, ni alien, ni extra-terrestre.
Mais quelle importance ? À coup sûr, ils la crèveront quand l'ennui les prendra.
C'est ce qu'elle dit... C'est ce qu'elle pense.
FIN DECEMBRE 2012Quand la chance apparaît, il faut la saisir. La laisser filer relève de la stupidité, d'un manquement de logique. Elle l'a vu venir et l'a fermement agrippé : pour ces gens qu'elle a oublié et qui ont été massacré les uns après les autres sous son regard de fillette sainte et pure.
Cette chance a brillé sous la flamme, afin de chauffer la lame. Cette ambiance macabre, luisant chaque soir après le crépuscule, avait depuis longtemps étranglé le moindre espoir de la gamine. Elle a vu cette chance lui infliger une nouvelle marque sur son épiderme. Elle a tant maudit ce couteau et ce feu ! L'un pour la faire supplier, l'autre pour lui donner le supplice du lendemain. Les cicatrices n'ont jamais suinté. Ces hommes savaient y faire à la méthode chirurgicale, version film d'horreur.
Sauf que cette fois-ci, cette chance s'est reposée, de son expérience traumatisante, un instant. Elle s'est faite prendre en flagrant délit par celle qu'elle a torturé. Et la gamine s'est libérée de ses cordes, non sans omettre de se trancher la peau des mains de par son incompétence. Mais du sang en plus ou en moins, quel est ce détail inutile ?
Mais cette
« puttana », pour reprendre le terme qui lui a été craché dessus au moment où son bourreau est revenu vers elle, s'est faite prendre. Après tout, il n'est pas question d'un film où le héros l'emporte sur les méchants. La réalité s'impose. Alors, elle puise dans une dernière ressource de sa force et saisit la lame, sans une once d'hésitation. Hésiter c'est tourner le dos au traitre et ne pas voir venir d'en face la fin. Le type ricane et se jette volontairement sur son opposante. Il esquive et gifle. La gamine est renversée sur le sol. Le coup est trop violent et n'aurait pas eu besoin de l'être à ce point pour la dominer. Mais la rage est présente. C'est ce qui lui permet de ne pas abandonner. Ça ou alors elle a compris qu'elle serait morte si elle lâchait prise. Alors, elle ne lâche pas. Elle ne lâche pas sa chance et la pointe s'enfonce dans la cheville de celui qui lui écrase la poitrine. Plusieurs fois. Violemment sans en avoir conscience. Il s'écarte de la fillette en titubant. Elle se relève avec bien de la peine -plus encore pour tenir debout- et avant qu'un hurlement n'avertisse la garde, le couteau traverse comme du beurre la chair du cou de sa victime.
La gamine tremble. Son myocarde va exploser dans sa poitrine. Elle veut déglutir son dégoût, le sien et le leur. Celui du monde entier. Mais le cerveau n'a pas encore compris ce qu'il se passe. Le corps s'écroule à ses pieds et d'abjectes bruits d'agonies prennent en pitié la gamine. Dans un premier temps, elle ne réagit pas. Elle est tétanisée et terrorisée. Peu lui importe le temps qui s'écoule. Ce lapsus empoisonne son esprit. Ces maigres minutes l'éloignent de la raison. Elle cligne des yeux et tend l'oreille au bruit d'une branche cédant sous un pas lourd. Finalement, sa résolution s'évapore. Elle vient de comprendre. Elle s'écroule subitement à genoux, le visage baigné de larmes, et pleure comme le ferait un gosse qui vient de perdre son jouet fétiche. Évidement, elle n'a pas tué par obligation, mais par choix. La vie lui a imposé la seule règle : Toi ou lui ! Elle s'est montrée cruellement égoïste et désormais, elle traine dans le sang de son bourreau. Le responsable. De cette hémoglobine, elle s'en fout sur les tissus qu'elle porte, jadis qui ressemblaient à de beaux vêtements, sur les mains et le visage, par-dessus son propre sang desséché. Les rôles se sont inversés. Elle est devenue lui.
Et elle a déguerpit. Elle s'est envolée dans l'obscurité, comme un oiseau qui bat des ailes pour aller là où personne ne pourra jamais lui arracher les ailes.
LA VIE N'EST QU'UN LONG RÊVE DONT LA MORT NOUS RÉVEILLE. Ludmilla R. Marcòri, 22 ans, ancienne libraire, a été torturée de septembre 2012 à fin décembre 2012; pour une cicatrice mal placée; par des hommes transpirant la peur devant l'invasion. Ils ont vu en elle un danger et sa famille, composé de son père, sa mère et ses deux frère, en a payé le prix : Elle a été supprimée. Aujourd'hui « amnésique », la demoiselle est une vagabonde cheminant dans un labyrinthe sans fin, prête à tout pour survivre.