Il me suffisait de fermer les yeux pour m'imaginer revenir à ces souvenirs anodins qui m'avaient pourtant envahis d'une chaleur réconfortante. Mais en rouvrant les paupières aucun de ces moments ne résistait à la réalité. Le paysage restait vide et le soleil incandescent. Je me demandais alors si la robe que je portais ce jour là était de la même couleur que dans ma mémoire. Des questionnements lassants qui comblaient mon ennuis et entretenaient mon semblant de sérénité. Une marque de faiblesse ou simplement le fait qu'il n'y avait rien de plus à faire entre se remémorer le passé et rêver à un avenir meilleur. J'avais quitté le Michigan et ses terres hostiles pour revenir sur mes pas, ne m'attendant à rien de plus que la première fois où j'avais traversé le territoire. Me retrouver livrer à moi même sans être freinée par les contraintes qui régissaient mon ancienne vie aurait sans doute pu me faire bénéficier d'une plus grande ambition et me pousser à explorer ce que je n'avais jamais vu de mes yeux. Cependant chaque lieu dénué d'une quelconque preuve de présence alien suffisait à refléter ce que je recherchais. J'en venais parfois à éviter les humains, me contentant de faire revenir mes mauvaises habitudes lorsqu'il m'était nécessaire de trouver rapidement des vivres. Mais les éviter amenait souvent l'effet contraire.

J'avais cru pouvoir poursuivre cette journée en flânant naïvement sous le soleil, allongée dans l'herbe en laissant de côté nourriture et campement. C'était sans me douter qu'elle serait perturbée par un trio pour le moins original. Leurs voix s'étaient portées vers moi sans que je ne puisse les ignorer. Dissimulée plus loin je les regardaient avec scepticisme et perplexité devant le monstre qui se dessinait devant moi. Le genre d'homme qu'on n'aimerait ne jamais croisé. Sans entendre leurs paroles je devinais qu'il pointait une arme sur les deux personnes lui faisant face. Fuir : La première solution. Les aider : La solution que j'aurais voulu ne jamais envisager. Je m'étonnais encore d'être en vie, une chose qui ne durerait pas si je me mettais à jouer les héroïnes sans en avoir l'étoffe. Seulement j'avais beau être la première à fuir lorsque la situation ne m'était pas favorable, j'étais aussi assez humaine pour ne pas laisser les premiers venus mourir devant moi. J'abandonnais mon sac derrière moi, le dissimulant entre les herbes dans l'espoir que personne ne tombe dessus. Plus le temps de regretter alors que je m'approchais en silence derrière l'homme armé, jetant un regard à ses deux cibles pour qu'elles ne me trahissent pas. Plus temps non plus une fois à la hauteur souhaitée, ma pierre dans la main et mon corps menu comme seule protection. Désormais il avait au moins la faiblesse d'être seul contre trois. « Lâchez votre arme où je tire. » Je resserrais mes doigts autour de mon bien. Ça y'est je regrettais.

Elle avait abandonné. Charline avait totalement abandonné ses rêves et ses illusions, ses espoirs, elle était devenue plus dure en l'espace de quelques mois seulement, n'espérant même plus retrouver sa famille, ne rêvait même plus à un autre monde. Elle essayait simplement de survivre et d'encaisser les coups, jour après jour. La simple présence de Jack à ses côtés prouvait qu'elle avait changé. Elle savait qui il était, mais elle le suivait quand même, surement parce qu'il restait sa meilleure chance de survivre et qu'elle pourrait l'abandonner sans soucis si jamais ils se faisaient attaquer. De la chair à canon, sacrifiable, elle le voyait ainsi. Ou presque. La Charline d'avant n'aurait jamais eu ce genre de pensée. La nouvelle ne semblait plus vraiment savoir qui elle était, agissant presque au hasard et pas de la meilleure façon.

Elle dormait un peu mieux depuis quelque temps et justement, elle ouvrit doucement ses yeux lorsque Jack décida de quitter leur petit « groupe » pour on ne sait quoi faire. La jeune femme n'aimait pas trop rester seule avec ses ex-taulards, Jack semblait plus ou moins la protéger pour l'instant, toutefois, elle restait à l'écart et là, elle n'avait pas envie de faire plus ample connaissance avec eux. Alors, elle attrapa son arc et son sac, beaucoup moins encombrant que de coutume, puis elle suivit discrètement son ex-bourreau.

Devrait-elle se montrer surprise d'être spectatrice d'un tel spectacle? Le mexicain taulard cliché comme pas deux en train de braquer des innocents et Jack, lui filant, mine de rien, un certain coup de main? … Non. Par contre, reconnaître Dawn dans cette scène, ça , c'était clairement surprenant. Que faisait-elle là? Et merde, était-elle vraiment en train de jouer les fucking héros avec un putain de caillou? Vraiment?... Elle ne pouvait pas la laisser se faire tuer comme ça, ni le petit gamin d'à côté, le beau gosse, lui, tant pis. Charlo se rapprocha du groupe, se postant non loin de Jack, prête à dégainer son arc. « Est-ce que vous allez vraiment gaspiller des balles pour trois gamins et la moitié d'un putain de sac vide? » C'est la crise, mieux vaut économiser ses munitions non?... Son regard croise celui de Dawn, elle lui offre un sourire réconfortant, enfin, un sourire, c'est vite dit, elle espère juste que le fajitas va subitement se rappeler d'un rendez-vous chez le dentiste et se barrer avec son maigre butin.