Il y a des moments dans la vie que l'on préférerait oublier. Souvent car ils nous font mal, car ils nous rappellent de trop ce que l'on a pu perdre, et ce, même si ces instants sont carrément exceptionnels. J'ai voulu oublier qui était mon père, pendant une période, oublier que j'en avais eu un. Juste parce que, ça faisait trop mal, de savoir qu'il nous avait abandonnées, ma mère et moi, en bas, sur terre. Je l'avais détesté, d'être parti ce jour-là, j'avais trop besoin de lui, à cette époque. Lieutenant Ashton Batman, du 3ème d'infanterie, envoyé en Irak. Il a défendu sa nation avec honneur. C'était un grand homme. Il s'est sacrifié pour défendre son pays. Ah ces mots-là, j'ai pu les entendre, le jour de son enterrement, et encore aujourd'hui. J'avais treize ans, lorsque mon père nous a quitté. « On doit tous mourir de quelque chose, de toute façon. » C'est la seule chose que j'avais trouvé à répondre, ce jour-là. Sûrement car la nouvelle m'avait carrément bousillée de l'intérieur. Car je me sentais plus que coupable, dans cette affaire. Mais coupable pourquoi, hein ? Ce n'était pas moi qui avait pressé la détente, ce fameux jour. Non, je m'en voulais de ne pas lui avoir assez dit que je l'aimais. De ne m'être pas endormi dans ses bras, plus souvent. De ne pas avoir été lui parler, de tout et de rien. De ne pas avoir écouté tous ses conseils. De ne pas lui avoir souri, aussi souvent que possible. Ah ça oui, je m'en suis voulue, pour toutes ces choses, futiles choses de la vie.

Je suis née dans le Kentucky, à Charlestown, le sept de décembre de l'année 1988. J'sais pas, que je me souvienne, il ne s'est rien passé en particulier, cette année-là ? Et puis, que dire de plus sur mon enfance, hein ? Plutôt paisible, malgré l'absence du paternel. À part une légère tendance à rembarrer toute forme d'autorité, à frapper les garçons à la petite école, il n'y a trop rien à dire, sur l'enfance de Sky-Seven Alaska Batman. Et aussi triste que cela puisse être, les meilleurs souvenirs que j'ai de cette courte période, ils concernent tous mon père. Je me souviens tout particulièrement de quand on allait au stand de tir, ou se balader longuement dans la forêt. Les bivouacs, les randonnées à travers les États-Unis. Globalement, tout ce qu'il a pu me faire découvrir, avant de s'en aller pour toujours.

Il m'a toujours dit d'avancer, et que, même si je tombais à un moment, il fallait me relever pour continuer d'avancer. Il disait aussi que, même si des fois c'était dur, même si des fois, on était fatigués de vivre à cause de tel ou tel événement... Hé bien, on aurait tout notre temps pour dormir une fois mort. J'essaye d'avancer, et de marcher dans ses pas. Mais j'ai la sale impression de nager méchamment dans ses chaussures. J'aimerai tant être lui. Avoir sa force mentale, sa volonté. J'aimerai tant lui ressembler. Des fois, j'espère tellement que je finis par croire qu'il est là, à côté de moi. Si seulement je pouvais le voir, rien qu'un jour de plus, pour lui parler... Juste le voir, savoir ce qu'il pense de ce que je suis devenue. S'il est fier de moi, ou pas. S'il nous regarde, moi et maman. S'il y a quelque chose après la mort, simplement.

Put*in, je me rends compte que j'écris de sacrées conner*es dans ce bouquin, j'ai l'impression d'être une gamine faible qui chiale sur son sort parce que ça fait du bien. Si seulement 'man avait des meilleures idées de cadeaux, pour mon anniversaire, à ce rythme-là, on m'enterre l'année prochaine !

Un nouveau coup, dans le nez. Put*in, tu pisses le sang, tu ne t'en rends même plus compte. Alors, tu te rattrapes aux cordes, pour éviter de chuter définitivement. Jamais, t'entends ? Tu ne peux pas tomber à terre, tu te l'interdis. Alors, tu serres les dents, et la rage au ventre, tu lances une nouvelle offensive ; elle tombe à terre. Vous êtes toutes les deux épuisées, voilà un bout de temps que tu n'étais pas tombée sur une adversaire aussi coriace. Dans un dernier effort, tu la gardes plaquée au sol, et par une clef, tu remportes le match par soumission de l'autre. Une nouvelle victoire, à ton palmarès. Tu te relèves difficilement, tu as la tête qui tourne. Mais il faut sourire, malgré tout ; il faut sourire pour les flashs, les caméras. Les bras en l'air, tu t'imposes face aux spectateurs. Tu as gagné, encore. Jackson monte sur le ring, et vient te réceptionner, avant que tu ne chutes. Non non, ça va, tu peux tenir debout ! Ça ne se voit pas ? Non, pas du tout. Sourire aux lèvres, les yeux dans le vague, tu sors de la salle sans plus de cérémonie. Comme toujours, le même rituel s'impose : un bain glacé pour récupérer. Mais avant tout, on te fait boire, pour que ta température chute. Voilà, ça fait du bien. Ton coach revient devant toi, tapotant sur ta joue encore brûlante, tu lui souris, un peu ailleurs. « Elle était vraiment coriace celle-là... » Il te sourit un peu, lui aussi. « C'était très bien Sky, mais j'ai besoin que tu mordes dans la serviette, ok ? » Trop déboussolée, tu ne l'écoutes pas spécialement, continuant à papoter, seule. « Il va falloir que je révise ma straté... » CRAC. Ça y est, il t'a redressé le nez, et toi, tu as poussé un sacré cri. C'est qu'il t'a fait mal. On t'arrose le visage, tout de suite, pour laisser le sang couler, et tu ricanes douloureusement. « P'tain ! Tu m'as fait mal Jackson ! » Il rit, comme amusé par ta souffrance. « J't'avais prévenue. » Tu secoues la tête. Tu meurs d'envie d'aller dormir, mais on te l'interdit, pour des raisons de sécurités. Alors, tu repars avec ton équipe, à l'hôtel. Du haut de tes vingt ans, tu as déjà de nombreux titres, dans le milieu. Plusieurs fois championne dans ta catégorie, sans compter le reste... Il a de quoi être fier, là-haut. Ah ça oui, il a de quoi être fier de toi.

Le lendemain, une autre journée tout aussi chargée, mais dans un tout autre domaine. La détente. Après l'effort, le réconfort, comme on dit, pas vrai ? Oui, c'est ça. Alors, tu rejoins tes potes les plus proches, dans une banlieue proche de San Francisco, pour une petite séance de parkour. C'est plutôt agréable, cette sensation de liberté. Tes côtes encore endoloris, tu as plus de mal à bouger que d'habitude, et même si tu tombes de fatigue, tu préfères rester avec tes amis. Tu auras tout le temps de dormir quand tu seras six pieds sous terre, après tout. Et puis, t'as jamais oublié : vis comme si tu allais mourir demain. Sans compter qu'il y a quelqu'un qui t'attend depuis trois jours, quelqu'un que tu n'as pas vu depuis trois jours. Danny. Danny, ton petit ami. Danny qui te manque tant, pendant que tu es en déplacement pour tes matchs. Ce même gars qui s'inquiète tant, lorsque tu reviens les poings bandés à cause du combat de la veille. Quelque part, tu en viens à te dire que ta vie est juste parfaite. Tu as la chance de vivre au soleil, d'avoir un compagnon exceptionnel, de faire un job qui te plaît, d'avoir au moins l'impression que ton avenir se dessine au fil des jours. Oui, apparemment, c'est ça, la définition de bonheur.

Ce même bonheur, é p h é m è r e.

14 Juin 2012. Tout bascule. La ville est en panique, on crie sur tous les toits que les aliens ont débarqués. Des immeubles s'effondrent sous des bombes. Les parcs brûlent, dévorés par un incendie extraterrestre. Comme tout le monde, tu cours, tu cherches à fuir, vers chez toi. Tu dois récupérer ta mère, ton chien, ta soeur aussi. Tu fonces, le plus vite possible, vers votre maisonnette. Et lorsque tu arrives devant la bâtisse, tu constates qu'elle est encore intacte. Alors, sans plus attendre, tu entres, criant le nom de celles que tu attends. Personne, personne ne répond. Elles ont dû se mettre à l'abri. C'est ce que tu te répètes, pour te rassurer. Et le seul abris que tu vois par ici, c'est bien la vieille cave. Tu y descends donc, passant les marches par quatre. Tu allumes la lumière, mais non, il n'y a personne. Paniquée, tu prépares à la quatrième vitesse un nécessaire de survie, et tu en oublies certainement la moitié, dans la précipitation. Une gourde, un couteau, un t-shirt, un pantalon, tes papiers, une carte, une boussole, des choses inutiles, très certainement. En clair, tu vides le carton de ton père, celui qui était en train de prendre la poussière, au fond de la cave. Tu récupères des choses sans intérêt, c'est sûr, mais tu as tellement... Peur. Oui, tu as peur. Tu ne sais pas ce qui se passe, ton instinct te dit juste de prendre la fuite le plus vite possible. Remontant dans la cuisine, tu sens une première secousse. Un chien vient immédiatement vers toi, tout aussi ahuri que sa propriétaire. « Viens, dépêche-toi ! ». Quand on disait que tu prenais n'importe quoi ; tu en viens à embarquer un torchon. Puis, tout à coup, une nouvelle secousse, et tout s'écroule. Un coup sur la tête, et tu tombes, en même temps que la maison.

Quelques temps plus tard, tu te réveilles, dans les décombres. Tu tousses, te dégageant difficilement les bronches de la poussière. Tu cherches ton air, et ton chien te regarde, paisiblement installé à tes côtés. Où est-ce que tu es ? Qui es-tu ? Qu'est-ce qui se passe, au juste ? Des dizaines de questions te viennent à l'esprit, alors que tu te relèves. Tu passes une main sur ton crâne, tu as tellement mal. Et tu avances, sans comprendre, dans les ruines d'une civilisation toute entière. C'est l'amnésie.

Welcome to the new age.