La classe s’assit dans le bruit et l’agitation comme à son habitude. Je m’assis sur le devant de mon bureau et regarda mes élèves d’un air attendri. Ils avaient tous entre huit et neuf ans et leurs petits yeux malicieux se posèrent sur moi un à un. Bientôt un silence d’église régna dans la salle et le cours put commencer.
« Aujourd’hui j’aimerais que l’on parle des différents métiers que vous aimeriez exercer plus tard… On commence par toi Azel ? ». L’un après l’autre ils prirent la parole et vantèrent les mérites du métier de policier, de pompier, d’infirmière ou encore de vétérinaire. Les plus rêveurs se voyaient encore devenir astronaute, princesse ou fermier. Au bout d’une quinzaine de minutes la majorité des élèves avaient déjà pris la parole. Pourtant, une fois arrivée au fond de la classe, personne ne pris la parole. Je me levai de mon bureau et m’avança vers l’élève concernée. Il s’agissait de la petite Sarah Nixon, fille d’un riche diplomate et d’une avocate ; ses parents étaient souvent absents, ainsi la petite passait le plus clair de son temps chez une nourrice et à l’école avec ses camarades. Elle n’avait jamais été très bavarde ou agréable en tant qu’élève, mais pourtant depuis quelques mois elle avait radicalement changée. Sarah ne prenait plus la parole en cours, ne jouait plus avec ses camarades et se contentait de jeter des œillades vides sur tout ce qui l’entourait. Elle semblait ailleurs, complètement amorphe. Son comportement ne m’avait pour autant jamais inquiété, jusqu’au jour où l’un de ses camarades se blesse lors d’un match de ballon prisonnier organisé dans la cour de l’école et que le petit Ian tomba à terre, s’écorchant ainsi les genoux. La petite Sarah s’était approchée et avait posé avec hésitation ses petites mains sur la plaie, fixant intensément le liquide pourpre qui coulait doucement. Elle resta ainsi pendant de longues minutes, avant de porter ses mains à ses lèvres, le regard toujours fixé sur les genoux du petit Ian. Des enfants se mirent à rire, d’autres prirent une mine dégoutée. J’attrapai rapidement le bras de la petite brune et l’emmena avec moi en classe pour l’interroger sur son étrange comportement. Je lui rappelai les consignes de sécurité et d’hygiène mais elle ne pipa pas mots et sorti avec le reste des élèves quand la cloche retentit.
Elle était toujours face à moi, le regard dans le vide, la bouche tirée dans un rictus froid et calculateur.
« Sarah, quel est le métier de tes rêves ? » lui demandais-je une nouvelle fois. Elle leva ses grands yeux gris et vides vers moi. Elle m’avait entendu, mais ne semblait pas comprendre la portée de mes mots. La petite fille n’était pourtant pas la moins éveillée des élèves de sa classe, au contraire elle s’était tout de suite démarquée par son intelligence particulièrement développée et par son vocabulaire soutenu ; témoin de son appartenance à un rang social élevé. Elle se contenta pourtant de hocher la tête et de me lancer un regard mauvais.
« Sarah s’il te plait, est-ce que tu peux me répondre… ? Tous tes petits camarades ont participé ! Il doit bien y avoir un métier qui t’intéresse non… » dis-je en insistant doucement, me rapprochant de son petit bureau légèrement mal à l’aise. La gamine se leva et se pencha vers moi, respirant à peine et me surplombant de tout son haut.
« J’ai dit que je ne savais PAS, alors laissez-moi tranquille maintenant ! » dit-elle d’une voix forte et imposante. J’écarquillai les yeux, surprise par son insolence et clairement déstabilisée.
« Très bien Sarah, tu ne veux pas participer et tu as un comportement irrespectueux en classe… Je vais être dans l’obligation de te garder avec moi ce soir et de convoquer tes parents. J’espère que tu en tireras des leçons utiles ! » .
La suite de la journée se déroula normalement puis quand la cloche sonna quatre heures et demies, les élèves sortirent de la classe. Tous, sauf Sarah ; qui resta silencieuse. Je fus prise d’une culpabilité immense. Cette enfant, aussi étrange et solitaire fut-elle ne méritait pas que je la retienne ici alors que les autres étaient déjà tous dehors, à s’amuser ensemble. Peut-être qu’elle avait peur de l’avenir et qu’elle n’osait se projeter aussi loin dans sa vie ? Peut-être même que j’avais réveillé en elle un vieux traumatisme causé par l’absence de ses parents… J’étais un véritable monstre. Je mordis ma lèvre inférieure et me dirigea vers elle. Elle m’observa du coin de l’œil, toujours sans dire un mot.
« Sarah, je suis désolée de m’être emportée cet après-midi mais tu as bien consciente que tu n’avais pas à me parler comme ça tout à l’heure… surtout devant le reste de la classe ! Tu m’as mise dans une situation assez délicate ! » dis-je d’une voix douce. Un sourire mauvais déforma son visage, lui donnant un air démoniaque et cruel, loin de l’enfant de huit ans qu’elle était. Mon cœur se serra dans ma poitrine, comme si deux mains invisibles le pétrissaient lentement, m’empêchant de respirer.
« Ecoutez-moi bien espèce d’humaine inutile… Vous me faites perdre mon temps et mon énergie pour rien. Vous voulez vraiment connaître mes projets pour l’avenir ? … » Je n’arrivais pas à trouver mes mots, mes yeux s’écarquillaient au possible et je sentais tout doucement que j’allais manquer d’air.
« … éradiquer votre race toute entière. » ajouta-t-elle d’une voix presque robotique.
Je me rattrapai rapidement à une table sur ma droite et me redressa sur ma chaise. J’avais envie de prendre mes jambes à mon cou et de m’enfuir le plus rapidement de cette enfant possédée par je-ne-sais quel démon ou encore de lui coller une bonne claquer à l’envoyer au mur ; mais mes membres refusaient de m’obéir et j’étais tétanisée par la peur. La porte de la classe s’ouvrit d’un coup, laissant apparaître la silhouette imposante du directeur Jones.
« Mademoiselle Jackson, dans mon bureau s’il vous plaît. Maintenant. » Je me levai sans sourciller et me dirigea rapidement vers la porte, sans jeter un seul regard derrière moi.
« Sarah mon enfant, vous pouvez rentrer chez vous. ». Elle avait gagné, le démon m’avait battu à plat de couture.
« Je vous assure Monsieur, je ne l’aurai pas retenue sans raisons ! … Elle a été insolente, a choqué plusieurs des autres élèves et… » « Il n’y a pas de ‘et’ Mademoiselle Jackson ! Est-ce que vous vous rendez compte du scandale que vous avez failli provoquer dans cette école ?! Les parents de la petite Sarah verse chaque mois plus de la moitié de l’argent qui fait tourner cette école ! Vous tenez tous à nous mettre au chômage ? » Je déglutis avec peine, mes mains tremblant de rage face à l’injustice dont j’étais la victime.
« Non, bien sûr que non Monsieur mais… » « Ecoutez Jackson, je me doute que vous soyez une très bonne institutrice et que vous intentions sont plus qu’honorables mais j’ai des ordres à respecter. Je ne suis pas le maître à bord… vous vous en doutez n’est-ce pas ? ». Il me fit un sourire gêné et tapota sur la table d’un air contrarié.
« C’est donc pourquoi votre travail ici est terminé. La famille de la petite Sarah a également dressé une ordonnance contre vous, vous n’avez pas le droit d’approcher la fillette à moins de vingt kilomètres. » J’étais estomaqué, mon esprit bouillonnait et je sentais la bile de mon estomac remonter dangereusement.
« Mais c’est ridicule voyons ! En quel honneur ? Je n’ai rien fait à cette enfant ! … Et qu’est-ce que je vais faire si je ne peux plus enseigner ici ?! … Toute ma vie est ici… ». Le directeur me regarda d’un air perplexe et soupira longuement.
« Vos affaires ont déjà été envoyées à New-York, vous commencerez votre nouveau travail d’ici quelques semaines. Tout est déjà arrangé. Voilà vos titres de transport. » J’attrapai fébrilement l’enveloppe brune qu’il me tendit.
« Je ne comprends pas » murmurais-je aux bords des larmes. L’homme se leva et m’ouvrit la porte d’un geste brusque.
« Il n’y a rien à comprendre. Au revoir Mademoiselle Jackson ». Je sortis d’un pas lent et douloureux, effleurant les murs du bout des doigts pour m’empêcher de m’écrouler au sol. J’arrivais avec peine à la grande porte vitrée et l’ouvrit d’un coup d’épaule, un vulgaire carton réunissant mes affaires dans les bras. Une présence à l’autre bout du couloir m’interpella ; les grands yeux de Sarah me fixaient intensément. Un immense sourire malsain trônait sur son visage. La main du directeur était posée sur son épaule, et tous les deux me fixaient sans mots, droits comme des piquets.
La porte se referma derrière moi. Un éclair bleu illumina leurs deux paires d’yeux. Un simple reflet de la porte, qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre après tout? ...
Je ne comprends pas. Je n’ai jamais compris. Le bruit du métro de New-York qui résonne dans ma tête puis les cris, les bombardements, les sirènes. J’ouvre les yeux et me réveille.
Moi c'est Laloue (bazzart) pour les intimes, anciennement Alix sur MJ; maintenant sous le nom d'Avery :gni: J'ai 19 ans et je suis en première année de Droit ! Encore bravo à ma Lauw et à Marleen pour ce forum trop magnifique
Vous êtes les meilleures ! GNUTGNUT PARTAYYY