Tous deux affublés du même uniforme noir, on avance Harry et moi vers le 747 Gateway Road, un pavillon de banlieue bien rangée style classe moyenne. Le doute, les stress commencent à me prendre à la gorge; je souffle dans mes mains, tant pour tenter de me calmer que pour les réchauffer. Ce soir c'est un grand soir, mon premier pour être exact. Ce soir, nous sommes des "firemen" et comble de l'ironie, nous sommes transits de froid.

Sur le pas de la porte, le doigt posé sur la sonnette, Harry m'inspecte de bas en haut, fronce le nez d'un air sceptique, puis la sonnerie retentit. "Tais-toi, regarde et prends-en de la graine." C'est une femme qui vient ouvrir, la trentaine bien tassée; elle semble surprise de nous trouver à sa porte. Mon collègue prend la parole sans même lui laisser le temps de manifester sa surprise: "On nous a signalé un début d’incendie chez vous m'dame, permettez ?" il entre sans se faire prier, faisant mine d'inspecter le couloir où quelques femmes - probablement les amies - pointent le bout de leur nez. "Quoi ? non pas du tout tout va bien il n'y a rien." bégaye-t-elle jetant un coup d’œil derrière elle. "Vraiment ? parce que j'en vois ici qui sont chaudes comme la braise !!" retirant sa veste pour dévoiler un torse qu'on aurait cru photoshopé, il la fait tournoyer dans les air pour la laisser choir sur le sol, le tout accompagné des cris des jeunes femmes toutes émoustillées. Je le suis, partagé entre amusement et résignation. "Sérieusement... c'est obligé les jeux de mots ?"

Voilà en quoi consiste mon nouveau job ! enfin... seulement le p'tit à côté qui nous fait tenir les fins de mois, qui met du beurre dans les épinards comme dirait ma grand-mère - paix à son âme -. Je dois dire que ça marche plutôt bien, après quelques débuts laborieux, j'ai fini par m'y faire. Mon véritable boulot est bien moins glamour, sauf si on aime les grosses salopettes, les casquettes de baseball et les mains pleines de cambouis. Garagiste, c'est pas vraiment un métier à faire rêver, mais quand on n'a pas de diplôme et qu'on sort tout juste du lycée, on n'a pas vraiment d'autres choix que de se tourner vers les jobs les plus ingrats.

Il faut dire que la famille Baxter n'est pas la plus chanceuse du monde - on devrait la redémarrer en mode sans échec si vous voulez mon avis - car c'est pas les difficultés qui manquent par chez nous. Déjà mon père, un bon à rien d'ivrogne parti un jour pour jouer à la loterie, ayant sûrement gagné puisqu'il ne remit jamais les pieds à la maison. Puis ma petite soeur qui vint au monde quelques mois plus tard, qu'on diagnostiquera sourde muette à l'âge d'un an à peine. Et pour finir, ma mère; celle qui jusque là avait tout porté à bout de bras et dont la seule récompense se trouva être un cancer. À la maison, les dettes s'accumulent peu à peu. Alors quand un collègue au garage me proposa de me faire de l'argent facile, je ne ne me fis pas prier. C'est la raison pour laquelle à 19 ans, à peine sortit du lycée, je cumulais déjà deux boulots pour payer factures et l'école de Lily.

Bien entendu, ce que je fais en dehors de mes heures de boulot "officiel" reste entre nous, hein ? J'ose même pas imaginer la réaction qu'aurait Abigaël si elle l'apprenait ! Déjà qu'avec elle c'est ceinture jusqu'au mariage...