Ça fera bientôt un mois. Un mois à se noyer dans le chaos le plus complet, un mois à espérer que ce ne soit pas la fin de l’humanité, un mois à survivre. Le temps passait vite, le Soleil tapait fort et les aliens gagnaient du terrain. Mais j’étais plus que jamais exténuée. La situation était épuisante il faut dire. Marche ou crève, pouvait-on dire. Notre petite équipe se comptait sur une seule main, et pourtant, nous avions établi des règles comme s’il s’agissait d’un régiment d’infanterie militaire. On évite de sortir en plein jour, on ne s’approche pas des villes, on garde son arme sur soi, on rationne, on se déplace vite, on n’allume pas de feu, on tient le coup. Mais simplement « tenir le coup » ce n’était pas simple tous les jours. Pas quand vous étiez tout juste dans la fleur de l’âge, que votre vie sentimentale était chamboulée et que vous rêviez d’expériences fun et d’universités plutôt que d’être en mode survival à temps plein.

La nuit était tombée il y a de bonnes heures déjà et le ciel, quoiqu’un peu embrumé, se vidait de ses constellations, cédant bientôt au lever du jour. Nous avions parcouru des centaines de kilomètres à bord d’un vieux 4x4 la veille et avions décidé de nous poser pour quelques jours, histoire de faire passer la fatigue et les courbatures. Enfin, soyons clairs, l’arrêt nous était plus imposé que proposé, la veille Jeep ayant malencontreusement rendue l’âme un peu plus tôt. Elle avait néanmoins réussi à nous mener jusqu’à une petite cabane isolée et tombant en ruine dans une zone boisée à la limite des Rocheuses, dans le Nebraska. J’étais justement à l’intérieur de la masure, emmitouflée dans une couverture de survie à tenter vainement de trouver le sommeil. La conversation que j’avais eue un peu plus tôt avec mon père me tourmentait toujours l’esprit. Il me parlait de son envie d’avancer plus loin encore, de rejoindre les côtes californiennes. Mais aussi de celle de nos compères à changer de direction. « Faudra choisir… ou se séparer. » Pour être honnête, ni l’une, ni l’autre de ces solutions ne m’attirait particulièrement. La seule chose que je voulais, c’était de faire un bon dans le passé, bien avant que tout ce merdier n’atteigne son apogée. Mais comme l’option back in time n’était pas proposée, il faudra effectivement trancher. Mais pas maintenant, pas aujourd’hui. Soupirant sans ménagement, je me dégageai fébrilement de la couverture, enfilai mon gilet et quittai le cabanon.

Bien évidemment, je n’étais pas assez lucide pour penser à empocher une lampe torche mais les derniers rayons argentés de la lune étaient suffisants pour m’éviter de butter contre racines et rocs. Moins de quinze mètres sur la gauche se trouvait un petit étang, étrangement calme, où se reflétaient faiblement la cime des arbres. Je percevais clairement une silhouette assise sur un banc face à celui-ci et je décidais d’aller rejoindre cette âme esseulée. Mes pas crissaient sur la terre fraîche, aussi l’intéressée dû m’entendre approcher. « Hey, coucou Junie ! » lançais-je doucement, une fois arrivée à sa hauteur. « Je peux ? » demandais-je, pointant le banc du doigt, plus par politesse qu’en tant que réelle demande. M’installant à ses côtés, je portais un regard sur la nature environnante, comme pour m’habituer à ce paysage matinal qui s’offrait à nous. Si on patiente quelque temps, on aura peut-être la chance d’apercevoir le lever du Soleil, au-delà des monts. « Je sais pas pour toi, mais personnellement, j’arrivais pas à m’endormir… Peut-être que prendre un peu l’air, ça va aider. » J’ai fait la connaissance de June et de son ami de faq plutôt par hasard, mais notre rencontre tiens de celle qui arrivent au bon moment. Dans une situation telle que celle-ci, je ne pouvais pas espérer mieux comme épaule sur laquelle m’appuyer. J’avais besoin qu’on m’écoute et qu’on me comprenne, mais je voulais aussi retourner ces attentions. Il s’avère d’ailleurs que June est d’une bonne écoute et même si nous ne voyagions ensemble que depuis peu, j’appréciais sa présence. Une figure féminine digne de ce nom ne faisait jamais de mal. Inspirant une grande bouffée d’air, je me risquais : « June. Dis-moi… Où comptes-tu aller ? As-tu une destination précise en tête ? Je sais que mon père et moi allons continuer vers l’Ouest mais vous ?... »