Les mains et le visage recouvert de cambouis, j’avais hâte que cette journée se termine et que je puisse enfin profiter de quelques jours de repos. Je n’étais pas du genre à rechigner à la tache, j’avais moi-même choisit un corps de métier assez éprouvant physiquement, mais deux ou trois jours de tranquillité dans la chaleur de juin était un plaisir. Je passais mon bras sur mon front, essuyant quelques gouttes de chaleur en évitant de me mettre le plus de cambouis possible sur le visage, même si quelques traces noirs étaient déjà bien dessinées sur mes joues. De toute façon, il n’y aurait pas un jour où je rentrerais propre chez moi. Adieu l’image de l’homme charismatique, arrivant au travail en costard-cravate, et repartant avec la même classe avec laquelle il était arrivé, et dites plutôt bonjour aux jeans troué et au t-shirt délavés, ayant connu l’essence, l’huile et je ne sais quels autres produits chimiques. Et encore, j’étais certainement celui qui travaillait le plus proprement dans le garage. Enfin, ça c’était quand on ne jouait pas les gamins à essayer de se mettre du cambouis un peu partout sur la tronche les uns des autres.  Parce que ça nous arrivait de nous comporter comme des gamins. C’était même souvent. En dehors du chef, on était tous assez jeunes, alors l’ambiance était relativement amicale et enfantine.

Une ambiance chaleureuse dans laquelle j’avais trouvé ma place. Tout comme dans la vie que je menais maintenant. Je n’étais plus le délinquant de North Platte, comme je l’ai été pendant des années, désormais, j’étais simplement Killian. Un changement qui me faisait du bien, qui me rendait moins aigrie, moins froid. Mais un changement qui n’avait pas opéré seul, je devais l’avouer. Si j’avais réussi à changer complètement de mode de vie, c’était grâce à elle, ma fiancée. Et il était d’ailleurs temps pour moi de la rejoindre à la maison. L’horloge affichait seize heure, j’avais fini le plus gros du boulot sur cette voiture, les autres auraient largement le temps de la finir pendant le week-end, pour ma part, j’étais désormais en « vacances ». J’attrapais ma veste et saluais de la main mes collègues en quittant le garage. Direction la maison ! Le garage n’était pas loin de notre appartement, aussi, je ne mis pas longtemps à rentrer chez moi.

J’ouvrais la porte et la refermais derrière moi, puis fit quelques pas vers le salon où je pensais retrouver ma bien-aimée, mais d’après sa voix, elle n’y était pas. Je me retournais alors pour la voir sortir de la salle de bain, et m’approcher pour m’embrasser. Baiser que je ne pouvais refuser tandis que je la prenais dans mes bras. Vraiment, je débordais d’amour à ses côtés. Me décollant d’elle, je remarquais son visage relativement pale, ainsi que de la poudre dans ses cheveux « Qu’est ce que… ». Je la détaillais un peu plus pour finalement remarquer que cela semblait s’approcher de la farine ou du sucre. Oh… Affichant un franc sourire, je me dirigeais vers la cuisine pour constater les dégâts. Et c’était sérieux ! « C’était quoi ? Une tornade, un ouragan ? Quel était l’objectif ? ». Ouais, j’étais un peu moqueur, mais June n’était pas faite pour la pâtisserie, ce n’était plus une surprise, et je préférais en rire plutôt qu’en pleurer, surtout que j’appréciais tout de même l’attention. « Bon… Je te propose qu’on range ça demain et pour ce soir, on ira manger dehors, ça te va ? ». Visiblement, nous faisions preuve de la même faiblesse devant cette vision quasi-apocalyptique de la cuisine. Ce n’était certainement pas pour rien que nous étions ensemble !

Je la regardais, feinter la surprise à son arrivée dans la cuisine. J’haussais un sourcil, comme si elle allait m’avoir avec un jeu aussi mauvais. Je n’étais pas dupe, et elle non plus en réalité, on savait tous les deux que ça ne marcherait pas. D’ailleurs, June ne mit pas longtemps à avouer la vérité. Les cookies… Je savais qu’ils étaient machiavéliques, et qu’ils étaient capables d’agenouiller le monde devant eux, mais je fus étonné de voir que June s’était laissée avoir de la sorte. Recette la plus simple au monde ou pas, June devait rester loin des fourneaux. C’était presque un commandement divin à ce niveau. Mais je restais silencieux face à se chaos. Un mot de plus, et elle était capable de me faire regretter son échec. Enfin, plus précisément, elle était capable de me faire regretter d’avoir souligné son échec de vive voix. Alors désormais, il valait mieux fuir. Quitter la cuisine, et ne pas y remettre les pieds avant deux jours, quand on aura trouvé le courage de tout ranger et nettoyer. Ce qui n’était pas le cas sur le moment. Je n’avais pas envie de ranger, pas après ma journée de travail, et encore moins en présence de June, qui allait me faire regretter chaque réflexions que j’allais faire en constatant les dégâts. Ma première remarque était cool comparée à celles que je pouvais encore faire.

Les talons tournés, je m’apprêtais à retourner dans le salon mais mon destin était déjà scellé. June m’attrapa la main et me tira jusqu’au four, où je remarquais un plateau de cookies non cuits posé. Ils n’avaient pas une trop mauvaise tête, et en d’autres circonstances, ils auraient pu me donner envie. Mais en sachant que c’était June qui les avait faits… Seule… J’avais juste envie de le jeter à la poubelle sans même les regarder. Il fallait vraiment qu’Amélia donne des leçons à June, ma survie en dépendait. Je déglutis en la regardant prendre une cuillère qu’elle remplissait de pate, certainement dans le but que je goutte son massacre. Je fixai pendant de longues secondes la cuillère, réfléchissant à ma décision, et à laquelle serait la plus lourde de conséquences. Accepter reviendrait à prendre le risque de mourir d’intoxication alimentaire, tandis que refuser serait juste comme un affront à sa volonté, ce qu’elle me ferait regretter amèrement dans les prochaines heures. Et non, je ne voulais pas provoquer une quelconque dispute avec June, encore moins sur ses non-talents de cuisinière, qui était, en réalité, un sujet vide de sens. Ce fut donc avec appréhension et regrets que j’ouvrais doucement la bouche afin de gouter le contenu de cette cuillère. Adieu, monde cruel !

La surprise fut assez douloureuse pour mon palet. La pate était trop salée, et je me demandais comment c’était possible d’avoir un tel résultat. A part confondre le sel et le sucre, on ne pouvait pas arriver à ça. J’avais l’impression d’être dans un sketch de bande dessiné, sauf que c’était douloureux, vraiment. J’avalais rapidement la pate, avant d’être tenté par l’idée de la recracher dans la poubelle, et me contentais de sourire faussement à ma bien aimée. Que dire… ? Que c’était infâme ? Que même si elle aurait voulu faire pire, elle n’aurait pas pu ? Que j’avais peur qu’elle nous intoxique un jour ? Non, rien de tout ça ne pouvait franchir mes lèvres sans que j’en paye le prix. « C’est… Spécial ! ». Je saisis un verre que je remplis d’eau avant de le boire d’une traite, en espérant faire passer le gout du sel dans ma gorge, finissant par vendre mes véritables pensées sur cette malheureuse expérience. « Chérie, vraiment, faut plus tenter des choses pareils quand t’es toute seule. J’ai peur pour toi après ! Promet moi que tu demanderas à Amélia de te faire à manger quand je partirais. ». Me rapprochant de la jeune femme, je posais mes mains sur ses joues tandis que je l’embrassais sur le front. J’allais devoir m’absenter quelques jours, histoire de rendre visite à de la famille, et l’idée de laisser June seule dans cet appartement ne m’enchantait pas vraiment. D’un car j’aurais voulu qu’elle puisse venir avec moi, tout simplement, de deux car je ne savais pas si elle s’en sortirait toute seule… Et l’expérience d’aujourd’hui ne me mettait pas tellement en confiance. « Bon allez, je te propose une bonne douche chacun, et après, on sort oublier ce désastre, ça te va ? ».