Jules, 14 ans
Tu sais, le soleil, ce n'est pas bon pour toi, qu'elle me dit avec un grand sourire aux lèvres.
Tu est trop fragile, tu ne peux pas sortir, qu'elle répète sans se lasser. Le couloir s'étend devant moi, comme un tunnel sans fond, sans fin et sans lumières. En y pensant, je ne la connais pas vraiment. Elle m'est abstraite, sa chaleur ne m'est pas offerte, ses rayons ne sont que des chimères, ses plages qu'une douce rêvasserie. Plantée dans le sol, comme un arbre attendant de grandir avec force, je commence à triturer avec une certaine nervosité mes doigts. Il m'arrive souvent de me dire, que c'est un complot, une bêtise, que je suis comme toute fille normalement constituée de mon âge, que ma peau anormalement claire est due au fait que je ne passe pas assez de temps dehors, que mes yeux trop bleus sont un peu fragiles et que mes cheveux sont presque blancs parce que, j'ai été conçue en hiver - du moins, c'est ce que l'on me raconte. Me garder ici, enfermée, comme une vieille légende qu'on a oublié de murmurer. Un pas, puis deux, le parquet craque sous mon corps, comme si, j'allais commettre la pire des erreurs.
Tu n'y survivrais pas, qu'elle radote le plus clair du temps. Vivre, mourir, c'est une question de choix, et si je n'ai pas essayé, comment peut-elle savoir que ma peau finirait par flamber ? En laissant sa phrase valdinguer dans mon esprit, sans savoir pourquoi, un rire m'échappe. Je me compare à un feu d'artifice, qui, quand il fait trop chaud, peu bien vite éclater, se transformer en belles lumières dans une nuit noire. Un émissaire pour ceux qui se perdent. Mes prunelles se baissent sur mes doigts. Je suis loin d'être un objet, pas même un animal fantastique. Je suis, tout ce qu'il y a de plus humain. Avec quelque chose en moi qui me ronge les os, me gratte le coeur jusqu'à le faire saigner. Il me reste seulement quelques mètres pour enfin arriver à la poignée. Pour enfin, goûter à cette fameuse liberté que ma famille ne veut pas me donner.
Tu n'es pas comme les autres, qu'elle bafouille en me caressant les cheveux. Je peux pourtant essayer. Faire comme si, faire semblant. M'inventer une existence qui n'est pas mienne, me croire capable de toucher la lune en faisant un tas de vieux cartons, me penser aventurière des temps nouveaux et terrasser mes ennemis avec une sarbacane. M'idéaliser sur ce qui m'empêche d'avancer, sourire à ce qui me fait pleurer, cracher sur cette maladie qui veut m'en faire baver. D'un seul coup, je me retrouve face à cette porte, la frôle du bout du doigt. C'est l'interdit. C'est la pomme qu'on ne doit pas avaler, le bouton sur lequel il ne faut pas appuyer. L'envie est là, tellement, que mon estomac vient à se tordre dans des sens que je n'imaginais pas, frappe contre ma peau, menace de l'arracher comme une bête hors de raison. Ma conscience ne vient pas se poser sur mon épaule, me gueuler dans les tympans que je devrais reculer, le plus possible, jusqu'à retomber dans ma chambre, dans mon lit, et bouquiner les vieilles histoires des anciens. Elle n'est pas là, j'ai beau regarder, à gauche, puis à droite, pas de forme étrange, ni ange, encore moins démon, pas même de criquet. Seule. Je ne sens plus le sol, je ne vois plus les murs. C'est un gros vide, et juste ce gros morceau de bois, qui peut me permettre de respirer à nouveau, sans aide, sans personne autour pour me tenir la main. Puis, sans réfléchir, sans penser plus que cela, je sens la chaleur sur mes pieds, s'étaler sur mes bras nus et mon visage. Mes yeux sont clos, mes paupières sont tombées comme des enclumes dans de l'eau. Sensation étrange, autant qu'agréable. Un large sourire vient à se poser sur mon visage, assez maladroit, ressemblant plus à une grimace, mais peu m'importe. Je frôle l'herbe, sent sa fraîcheur matinale, et non pas celle de nuit, qui est glaciale. Un rire m'échappe, léger sur les débuts, puis de plus en plus fort, j'ose affronter le soleil de mes prunelles, le fixe sous tout ses angles, me tourne dans un sens, puis d'un autre. M'amuse encore plus de voir le linge étendu, de pouvoir frôler ce qui m'est défendu, sans avoir mal, sans souffrir. Elle a dû me mentir depuis tout ce temps, les médecins, mes parents, même Elias. De fourbes vicieux qui voulaient me tenir hors de ce bonheur factice.
Albinos ma fille, tu vas devoir retenir ce mot toute ta vie, pourtant, je peux l'oublier maintenant, tout de suite, et à jamais. Je suis la fille de deux êtres, tout ce qu'il y a de plus standard dans la fabrication des êtres humains. La garantie n'y est pas, j'avais un petit défaut inventé par les revendeurs. C'est faux. Tout est faux. Les Andrews, les voisins, la balle qui s'amuse à rouler sans but dans le jardin. Tout est une grande mascarade organisée, pour me faire perdre mes moyens. Peu importe le temps que je passe ici, les minutes qui coulent sur ma peau comme de l'eau, je suis entière, loin de mon mal qui m'accapare l'esprit. Je me marre, je me laisse aller à des divagations dont je ne me pensais même pas capable, j'oublie tout, mon nom, mon prénom, mon âge, ce que je suis, ce que j'ai été jusque-là pour tout recommencer. Prenant une grande inspiration, mon coeur se bloque en entendant un immense fracas venant de la maison.
« JULES !... nom d'un chien, JULES ! » Ce n'est pas moi, ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible. M'arrêtant dans mon élan de niaiserie profonde, je me retourne et je croise le regard de celle qui a eu la bonne idée de me mettre au monde. Les prunelles perdues, à me scruter sous tous mes angles, tu vois ? Je n'ai strictement rien. A son tour aussi dans la lumière, son chignon est toujours parfaitement bien fait, même dans les situations de panique, pas une mèche ne sort, rebelle ou contrariée. Sans cesse vêtue de gris, elle n'aime pas attirer l'attention, comme une immonde secrétaire ou une femme délaissée par la vie. Je la sentirais presque hyper-ventiler de loin, elle se doute que je suis l'unique fautive.
« Tu devrais regarder ta m- » « NON, NON ET NON ! Je ne suis pas malade. Tu m'as bourré le crâne jusqu'à aujourd'hui, je suis atteinte parce que tu as voulu me le faire croire. REGARDE ! Je vais bien, bien. BIEN. » Gueuler gratuitement, même contre sa mère, vouloir l'insulter d'un nom d'oiseau et se réfracter, ses traits deviennent plus difficiles à cerner d'un seul coup. Je sens l'orage me taper sur la figure, encore pire que toujours.
« Arrête ta comédie ! ET REGARDE TA MAIN DROITE ! » Un sursaut, un petit hoquet, et j'obéis comme un animal frappé. Je suis tétanisée, coincée dans un mensonge peut-être pas si faux en fin de compte. Ma peau change de couleur, vire rouge, et une immondice pousse dessus, tel un champignon. Ce n'est pas naturel, c'est mes pores qui changent, qui crament sous ce soleil de plomb. Serrant un peu mes poings, j'ai mal rien qu'à bouger mes muscles, ça s'enfonce jusqu'au fond. Une cloque de la taille d'un gros insecte, qui continue à s'éparpiller. Mes yeux me piquent, à y réfléchir, à joindre les deux bouts, ils doivent eux aussi être rouges, le seront jusqu'à ce qu'ils fondent. Je déglutis, je me sens véritablement partir en fumée. Ma mère m'attrape ma main encore saine visiblement, me tire à l'intérieur, et je me laisse faire comme une sale poupée. Il est là le truc qui va pas, c'est dans la tête de l'objet, dans son esprit qui déconne et qui ne veut pas voir. Rien ne va plus, un cri m'échappe des lèvres, je me tire les cheveux comme exutoire, j'entends à peine des remontrances, des inquiétudes, elle me jette dans la salle de bain, tente de calmer cette ignominie qui veut m'englober. Mon souffle se fait plus timide, à peine audible, je ne sens plus mes jambes et je m'effondre. Tas de verre pilé, j'ai provoqué ma propre ascension vers les enfers.
Jules, 18 ans
Les jours deviennent nuits. Les nuits deviennent jours. Les heures passent telles des années, les secondes ne veulent pas avancer, et même cette horloge cassée ne veut pas me donner l'illusion de notre monde. Qu'est-il devenu vraiment depuis tout ce temps ? Coincés comme des rats, ou plutôt enfermés parce que nous l'avons décidé, voilà déjà bien des mois que ces choses sont venues tomber dans nos vies. De tout cela, je n'en ai qu'un vague souvenir, qui hante mes cauchemars, m'empêche de dormir et me fait croire que nous devrions plutôt mettre fin à nos vies. Chassant vite cette idée, je passe une main dans mes cheveux sales et jette un coup d'oeil aux alentours. Un musée miteux, dans lequel des vieux vêtements en peaux sont entreposés, comme des armes de service, avant que les gardiens ne se barrent en courant. Inspirant longuement, comme mon frère, un pistolet est devenu un membre à part entière de mon corps. Parce que j'ai peur, parce qu'Elias est dans un état encore plus inquiétant et je redoute qu'il perde un jour son bon sens. Depuis un bon moment déjà, il parle d'un complot, qu'il le savait, que les créatures sont partout et qu'elles finiront par nous dévorer. Les vivres commencent sérieusement à manquer, je sens mon poids flancher, mes poignets devenir de plus en plus minces. La dégaine d'un fil de fer, j'inspire longuement. A en juger par la lumière qui passe par la fenêtre, il ne tardera pas à faire nuit. Bien que pour sortir lorsque le soleil se pointe, je me mets une couche grandiose de vêtements d’antan sur le dos, moins je pointe mon nez dehors, mieux c'est. Déglutissant difficilement, je jette un coup d'oeil sur la salle où est enfermé Elias depuis presque une éternité. Je ne sais pas ce qu'il fait, parfois je toque pour savoir s'il est encore au moins vivant. Parfois sa chevelure blonde se montre, et c'est un regard plein de haine qu'il me fait passer dans le corps. Je n'y comprends plus rien. Nous nous aidons depuis le début de l'horreur, de cette bêtise, cette mauvaise blague. Pourtant, ce n'est peut-être pas suffisant. Alors que mon estomac grogne, ma bouche devenant de plus en plus pâteuse, le grincement de la porte se fait entendre. Je me redresse, tout en prenant appuie sur le mur. Je dois ressembler à une bête préhistorique. La vie humaine est de plus en plus rare, ou plutôt, Elias ne veut faire d'effort pour la voir.
Ils sont là, partout, parmi nous, nous devons rester là, qu'il baragouine sans cesse dans sa petite barbe. Je n'y crois pourtant pas, et quand bien même ce serait la vérité, où aller dans ce cas ? Que faire ? Si nous sommes les derniers de cette grande hécatombe, il ne nous restera plus que de nous imposer notre propre supplice.
« Tu es des leurs, hein ? » Fronçant mes sourcils, je garde ma main bien entourée autour de mon arme. Penchant un peu la tête sur le côté, je ne sais même pas combien de balles il doit me rester, une ou deux, peu pour faire une rébellion, mais assez pour tuer un danger.
« Qu'est-ce que tu racontes ? » Alors que je m'approche d'un pas, il brandit son arme d'un seul coup. Les yeux rouges, dévorés par la fatigue, la paranoïa, la perdition, ses lèvres sont aussi sèches que son visage. Ses traits ont changé, ont vieilli d'un seul coup, laissant place à une mécanique sénile. Ses membres tremblent, autant que le reste de ses mouvements. Irréguliers, maladroits, ce n'est pas mon frère que j'ai devant moi. Un démon. Une ignominie, ou quelque chose qui s'en rapproche.
« Je l'sais Jules. T'es l'un des leurs ? C'est ça ? ALLEZ, DIS-MOI ! Tu fais partie de ce groupe, DE CES PUTAINS D'ALIENS ! J'le savais, j'le savais. T'avais déjà rien d'normal quand t'étais petite, mais là, là, ça s'confirme. Tes yeux, ta peau, tes cheveux, c'est révélateur d'un truc gluant ça ! » N'osant répondre plus, mon pied hésite à avancer encore plus, pour le calmer. Alors je lève une main en l'air, ne murmurant mot, et je ne me rends même pas compte que plus j'attends, plus son coeur menace d'éclater et son cerveau manque d'oxygène. D'un trait qui ne lui faisait pas défaut à l'époque, avant que le grand mur ne s'effondre.
« BORDEL DE MERDE ! TU VAS ME RÉPONDRE ?! » Encore un peu, et il risque à son tour de tirer. Avec une lenteur que je ne me reconnais pas, à mon tour, j'active le cercle vicieux. De nous deux, je ne tiens pas à partir les pieds devant et la gueule fermée. De nous deux, j'ai encore espoir que l'humanité n'est pas encore totalement tombée. Non, il doit rester des gens, des groupes, une petite communauté, quelque part, loin d'ici, de ce foutu musée, de cette folie qui commence à nous empoisonner. Encore quelques jours ici, et je risque d'en plus de crever de faim, de voir des lutins danser à la gloire d'un Bouddha en or massif.
« Elias, tu vas commencer par t'calmer. J'suis pas l'un d'eux, je suis Jules, j'ai toujours été Jules. Ta soeur, tu t'souviens de ce mot ? Hein ? » Il serre les dents, sa mâchoire se déforme, il avance de quelques pas, j'entends le verre craquer sous son corps, comme une symphonie macabre.
« Ils ont p'tête pondus des bêtes dans son corps pendant que t'étais d'dans, tu vas m'bouffer, c'est ça ? Tu vas faire comme dans l'film Alien ? M'sortir par le bide ? J'TE LAISSERAIS PAS FAIRE JULES ! » C'est une véritable bombe à retardement. Les deux armes se pointent vers deux têtes blondes, pas si différentes au fond, à première vue, elles ne présagent rien de mauvais. Mais, regardez à l'intérieur, voyez celle qui commence à pourrir et vous verrez la véritable menace.
« FERME TA GUEULE ELIAS ! JE SUIS PAS UN ALIEN ! T'es assez con pour croire ça ? Franchement ?! Tu crois pas que j't'aurais bouffé depuis l'temps ?! HEIN ? HEIN ELIAS ? TU CROIS QU'UN PUTAIN D'HOMME VERT AURAIT ATTENDU DES PLOMBES POUR TE DÉVORER ?! » Tu dois arrêter avant que ça ne se finisse en carnage. Qui va tirer en premier ? Qui va bien vouloir sortir le drapeau blanc ? Sentant mon estomac se serrer, je suis à la limite de laisser la bile ressortir, s'éclater sur le sol en un bruit ignoble. Ce n'est pas le moment. Pourtant, prise par la tétanie, je sens des émotions me traverse les yeux, des larmes perler dans le coin et attendre le moment propice pour clapoter sur le sol. Un silence, juste un silence. J'entends nos deux coeurs battre, dans une unisson aussi douteuse qu'un mauvais manipulateur.
« Non, non, non. Tu racontes QUE DES CONNERIES ! Que, de la, bêtise. Tu vas profiter que j'dorme pour me vider les tripes. Tu vas m'rendre comme toi. T'es pas ma soeur. T'es personne. T'es rien. Tu vas causer ma perte, et ça, ça, ça, j'le permettrais pas Jules. Non, non, non. J'le permettrais pas. J'ai encore d'l'air dans les poumons, tu m'foutras pas ça en l'air. » Son âme s'est envolée, quelque part dans la perdition, dans des limbes que je ne saurais voir. J'arrête de respirer, j'arrête d'exister. Nos regards se croisent.
Une détonation.
Une autre.
Et plus rien.
Jules, 19 ans
Je dois être morte. Loin du monde, de cette folie qui dévore les hommes. Je dois être six pieds sous terre. Là où personne ne peut venir me déranger, là où aucune âme qui vive ne viendra toquer. Je dois être en paix. Pourtant, je ne le suis pas. N'est-ce donc pas ceci, en vérité, la mort ? Un sentiment agréable ? Un abandon de sa personne ? Il fait noir, si noir, je n'arrive pas à discerner le petit halo de lumière qui vient me déranger les yeux. Des formes se dessinent, des gribouillis que je ne saurais reconnaître. J'entends des murmures, des mots qui ont bien du mal à former des phrases dans ma tête. Alors, je ferme à nouveau mes paupières, fronce les sourcils, bouge le bout de mes doigts. Je suis encore ici, parmi eux. Elias avait peut-être raison, je vais finir comme en tant qu'alien, ou alors utilisée pour des expériences dont je n'ai de noms en tête. Que je vais, à mon tour, causer la fin de l'humanité sans même y porter attention. A cette pensée, un frisson désagréable vient me traverser l'échine, et à nouveau, mes prunelles tentent de comprendre la scène qui se déroule devant moi. Allongée dans quelque chose de mou, bien mieux que le sol boueux ou le béton, mes vêtements ne sont plus sur moi non plus. Je le sens à la légèreté de ma peau, sans pourtant être totalement nue, ma tenue habituelle, cachant ma peau des attaques du soleil est dans un endroit que je peine à chercher. Je redresse mon visage, le laisse tomber d'un coup. J'essaie de me souvenir, de rassembler les images. J'étais destinée à finir comme mes compatriotes, en morceaux ou entière, peu importe. Tout ce que je sais, c'est qu'à bout de souffle, mes forces ne répondant plus, mon corps s'est effondré sur la terre froide. Papillonnant des cils, d'un seul coup, tout me paraît bien plus clair. Il n'y a pas que moi en ce vaste univers. Il n'y a jamais eu de véritable extinction. La race humaine est encore des nôtres, bien debout avec un sourire grand et un espoir vivant.
« Tu devrais éviter de bouger trop rapidement. Contente de voir que tu es réveillée, et en bon état. Visiblement, tu avais du sommeil à rattraper, au bout de trois jours, nous nous sommes demandé si nous t'avions perdu. » Un rire cristallin, à l'image des chants d'oiseaux, la pièce ressemble à une infirmerie, ou du moins, c'est une salle blanche, avec des meubles de la même dégaine, une odeur de médicaments. Puis, cette femme pour me tenir légèrement la main. Passant ma langue sur mes lèvres, j'inspire un moment avant de reposer mon attention sur elle. Ses traits sont fins, son allure est presque impressionnante, comme si malgré cette apocalypse, elle avait gardé de sa candeur. Ma voix ne désire pas se faire entendre, ce n'est pas faute d'essayer d’émettre un son. Je n'ai pas assez bu, pas assez mangé, pas assez de tout. Visiblement amusée, en même temps rassurée, elle se fait à l'image de la mère parfaite que j'avais encore il y a plusieurs années. Capable de ne pas se laisser aller à des sentiments trop extrêmes, d'un optimisme presque dépitant, que je pourrais lui jalouser. Mes cheveux font office d'une botte de baille, je fais bien pâle figure à ses côtés, en temps normal, je pourrais me sentir honteuse. Mais, depuis des mois, plus rien ne l'est. Terminé les heures à s'éterniser devant le miroir, terminé l'abus de douche, terminé le gain facile. J'arrive à me mettre presque assise, encore un peu sonnée, la femme se redresse d'un coup, cherchant un verre d'eau. J'ai un véritable trésor entre les mains, j'aborde un large sourire qui me fait à la fois grimacer, lèvres gercées à souhait, je pousse un bref soupir avant d'avaler cul sec le liquide salvateur. C'est presque brûlant, agréablement, bêtement. Je me suis souvent répétée que ce débarquement, n'était qu'une piteuse épreuve, pour nous faire comprendre les véritables bonheurs que la vie peut nous offrir. Et plus j'y pense, moins j'en suis convaincue. Bien au contraire, autant tout nous arracher pour mieux conquérir.
« Comment tu t'appelles ? » Lui dire ? Ne pas lui dire ? Elle peut être n'importe qui, n'importe quoi, vouloir m'utiliser en tant qu'objet. A raisonner d'une telle façon, je vais finir par perdre l'esprit, comme Elias. Maintenant, je pense qu'il est dévoré par des insectes, la balle incrustée dans son corps. Quant à l'autre ? Certainement dans un mur. Déglutissant difficilement, je rapproche mes jambes de ma poitrine, pose mes mains sur mes genoux et jette un regard presque méfiant envers cette femme. Elle n'est pas comme lui. Moi non plus. Nous avons encore cette flamme qui nous permet de voir le bien, plus que le mal.
« Jules. » Une petite pause, je tends ma main maigrelette dans les airs.
« Juste Jules. » Et rien de plus, rien de moins. Parce qu'aujourd'hui, peu importe son nom de famille, la galère sera toujours la même, autant que les ombres qui nous tirent vers le coeur des ténèbres.