« RAAARGH ! » Elle écrasa son pied contre l'arbre avec toute la force dont elle était capable. Une fois, deux fois, avant qu'elle ne se lasse finalement de ce manège et qu'elle appuie avec résignation son front contre le chêne. « Saleté d'arbre. » Elle se défoulait sur lui à défaut de n'avoir personne d'autre à insulter. La solitude n'avait jamais été pour elle, encore moins dans ces conditions. Parce qu'on ne l'avait jamais préparé à faire face à la fin du monde et parce que survivre seule dans la nature s'opposait à tout ce qu'elle avait vécu avant ça. Sans la cohorte et sans Julian elle serait déjà morte depuis longtemps. Lacey était consciente qu'elle leur devait la vie. Seulement il n'y avait plus personne pour l'aider. Cette nuit là elle avait essayé de porter son aide aux autres pour finalement se rendre à l'évidence que la seule échappatoire était de fuir. Elle avait tiré quelques balles et cherché à retrouver ceux qu'elle connaissait. Mais toutes les ombres se ressemblaient et il lui était très vite devenu impossible de se repérer. A présent elle était là, avançant dans l'espoir de retrouver d'autres survivants. Un scénario qui se répétait comme un cauchemar. Elle avait seulement envie de crier de colère et d'envoyer ce putain de monde de merde aller se faire foutre, mais elle se taisait, fatiguée de ressentir cette haine abondant en elle. C'était le troisième jour sans résultat. Si elle savait au moins dans quelle direction aller elle ne serait pas là à tourner en rond.

Elle laissa quelques minutes passées sans se détacher de l'arbre, l'odeur humide de l'écorce lui montant à la tête. « Ressaisi toi. » Ses yeux se rouvrirent, ravivant une détermination qu'elle manquait de perdre à chaque nouvelle journée. Ce n'était pas une foutue bande d'aliens qui viendrait à bout d'elle. Plutôt mourir que de laisser son corps être utilisé par un autre. L'idée d'être la dernière lui était impossible. Beaucoup aurait eu plus de chances de survivre qu'elle. Elle avait surtout peur d'avoir perdu cette petite communauté qu'elle haïssait autant qu'elle aimait. Malgré les événements qui avaient pu se dérouler, dormir au sein d'un camp protégé et surveillé était toujours plus rassurant que de dormir au milieu de nulle part sans personne pour assurer nos arrières. Lacey replaça son sac sur son épaule. La seule chose qu'elle avait pu prendre avec elle et qui était pratiquement vide. Elle se remit à marcher, passant régulièrement sa main sur son visage pour résister au pessimisme qui voulait l'envahir. L'après-midi débutait. Trop vite à son goût. Les heures défilaient et c'est presque sans y croire qu'elle aperçu une nouvelle silhouette dans son champ de vision. Elle s'empressa de s'approcher, attrapant l'arme qui l'accompagnait depuis presque un an. Il ne devait lui rester que deux balles mais elle ne s'en était pratiquement jamais servit sur personne. Son jouet avait plus d'utilité comme moyen de pression que comme moyen de tuer. Elle le pointait insouciamment sur n'importe qui, aimant la sensation d'être respectée et s'en amusant même. Le tenir dans sa main intensifiait sa confiance en elle, comme en cet instant. Elle avançait vers la jeune femme flânant tranquillement assise devant elle sans une once d’appréhension. Elle se sentait soulagée même si sa posture agressive laissait transparaître le contraire. Un soulagement brève. « J'y crois pas... » Veigh. La dernière personne qu'elle avait envie de croiser dans toutes les circonstances imaginables. Même dos à elle elle ne pouvait que la reconnaître. Il lui suffisait de la voir apparaître dans le paysage pour lui donner expressément l'envie de la remettre comme il fallait à sa place. Elle avait du mal à le reconnaître mais même si à la simple vu de son visage elle aurait immédiatement l'envie de lui en décoller une, revoir une tête familière venait d’apaiser ses craintes. « Debout la pétasse. » Pas de quoi la rendre plus aimable. Elle apparut assez près derrière elle pour qu'elle puisse l'entendre sans cesser de lui pointer son arme dessus. « T'es pas avec ton papa chéri ? » Elle aurait préféré qu'il soit là, voir sa fille sans lui n’annonçant rien de bon. Il n'était pas la personne dont elle était la plus proche mais elle l'aimait bien. Plus que Veigh c'était certain. Son regard se tourna furtivement autour d'elle comme si elle le cherchait du regard. Elle le reporta à nouveau sur elle sans quitter cette expression froide et méprisante. « A moins qu'il est fini par en avoir marre de toi. » Elle ponctua sa phrase avec un sourire.  

« Putain de merde! » Laissa-t-elle échapper en trébuchant sur une branche, tombant lamentablement au sol. Elle était énervée. Elle était effrayée. Elle était perdue. Comment les choses avaient-elles pu tourner de cette façon-là? Comment sa vie, si bien rangée depuis quelque temps, avait-elle pu se retourner comme ça? Comme si rien n'était stable, comme si rien de ce qu'elle faisait n'était capable de la protéger contre ses vermines. C'était donc ça son existence à présent? Vivre en s'imaginant, naïvement, être en sécurité, et finir seule, au milieu d'une forêt à espérer croiser un autre être vivant? À cette pensée Veigh se stoppa, s'adossant à un arbre tout en passant ses mains sur son visage. Elle devait respirer, profondément, pour se détendre un peu et ne pas penser à tout ce qu'elle venait de laisser derrière là. Son père et l'enfant dont elle avait la charge notamment. Elle le lui avait confié, pour qu'ils s'en aillent tout les deux, elle savait qu'en cas de danger extrême, son père serait plus à même de protéger le petit garçon, contrairement à elle et même si cela avait été difficile, plus qu'elle ne l'aurait jamais imaginé, la belle savait qu'elle avait fait le bon choix. Après ça elle était retournée dans sa tente, espérant récupérer des données plus ou moins importante sur les hosts, elle ne pouvait pas se permettre de voir détruit tout ce qu'elle avait fait depuis qu'elle travaillait sur eux, ça serait comme revenir au point de départ, ce qui n'aiderait personnes sur le long terme. Une arme entre les mains, elle emballait tout un tas de documents, les glissant dans son sac à dos avec précipitation et c'est là qu'il est rentré, ce type, qu'elle a tout de suite reconnu, ou plutôt , qu'elle n'a pas reconnu. Il n'était pas un membre de la cohorte, alors forcément, il était l'un des leurs. Il se jeta sur elle, la poussant contre une étagère et là, elle remercia son ex-mari de lui avoir appris tant de choses sur le combat rapproché. Elle ne parvint qu'à le repousser, mais suffisamment pour lui tirer dessus... Il était mort. C'était la première fois qu'elle en tuait un comme ça, alors qu'il était en vie, alors qu'elle avait croisé son regard quelques secondes plus tôt. Et elle n'avait pas l'impression de regretter, surement est-ce cette vérité qui l'avait le plus perturbé.

Veigh resta statique quelques minutes avant d'être tiré de sa tétanie par une explosion à l'extérieur. Elle secoua la tête, récupérant son sac et les derniers documents dont elle avait besoin, puis elle s'en alla, arme aux poings, courant à travers les débris, les corps, les hurlements, préférant ne pas s'attarder sur les autres, elle devait survivre, car elle pouvait changer les choses, elle en était persuadée, alors mourir en héros n'était clairement pas une option. Et puis elle le savait, tous ceux à qui elle tenait étaient déjà loin, c'était certain. Elle s'en persuadait. C'est ainsi, difficilement, que la scientifique c'était retrouvé seule, loin de cette miniguerre, se réfugiant dans une forêt, courant sans s'arrêter, de peur d'être poursuivis par l'un de ses monstres et la voilà maintenant, quelques jours après l'attaque, toujours aussi seule, mais en vie, ce qui était déjà bien non? Déterminée, comme toujours, Veigh continua de marcher, son sac sur l'épaule, son arme facilement accessible, il ne lui restait que 6 balles, mais au moins, elle n'était pas totalement sans défense. Attrapant sa gourde, la jeune femme bu une gorgée, avant d'en avoir marre, marre de marcher, marre de se battre toute seule, marre de tout. Alors, elle décida de s'asseoir à même le sol et d'attendre, tout simplement. Attendre quoi? Sans doute que le courage lui revienne ou qu'un quelconque danger apparaisse pour l'obliger à bouger. Elle aurait d'ailleurs préféré, largement, croisé un host plutôt qu'entendre cette voix familière raisonner dans son dos. « J'y crois pas... » Elle ferma les yeux, laissant échapper une insulte en coréen, presque murmuré. Pourquoi elle? Cette fille que Veigh ne supportait absolument pas, et ce, pour mille et une raisons? C'était une blague du destin? Un putain de jeu organisé par des dieux capricieux? Fucking karma j'ai envie de dire. « Debout la pétasse. » Fantastique, elle avait sans doute un flingue et elle pensait pouvoir jouer les rambo. C'est que Veigh imagina en ce levant, l'air blasé, lui faisant volte-face et constatant qu'elle avait raison, comme toujours. « T'es pas avec ton papa chéri ? […] A moins qu'il est fini par en avoir marre de toi. » Son papa chéri. Rien que le fait qu'elle parle de lui énervait la belle au plus haut point. Elle les avait vus ensemble, discuter, ce faire des sourires faussement amicaux, elle savait bien se qui se tramait entre ces deux-là, même si elle n'en avait aucune preuve, elle était persuadée que cette petite bitch l'avait séduite et agressé sexuellement. Bon d'accord, son père était un mec costaud et il savait sans doute ce qu'il faisait, mais elle préférait clairement croire que ce n'était pas le cas. « Excuse-moi, je te comprends pas... je ne parle le salop* ... » Dit-elle avec un sourire narquois et tout en dégainant son arme, cachée jusqu'ici à l'arrière de son pantalon. Elles étaient toutes les deux humaines, et pourtant, elles se pointaient chacune une arme sur la gueule, comme si c'était le moment de jouer les idiotes garces sur les bords. Haa les filles, je vous jure. « Génial, on a toutes les deux un gros flingue, alors on fait quoi? Tu crois que tu peux m'abattre? C'est pas facile de tuer quelqu'un de sang froid, c'est plus simple de jouer les Rambo mais de pas appuyer sur la gâchette, ce qui a l'air d'être ton truc... Par contre autant être claire. T'abattre ne me causera aucun problèmes moraux. » Le pire, c'est que c'était surement plus vrai qu'elle ne l'osait l'avouer.

Dés la première seconde où elle l'avait vu elle avait su qu'il lui faudrait serrer les dents pour l'entendre parler sans grimacer. C'était presque inhumain de détester quelqu'un à ce point. Presque anormal si la moitié de la population mondiale ne lui faisait pas ressentir la même chose. Lacey n'avait pas besoin d'une arme pour assouvir ses pulsions meurtrières. Une prise et un rasoir électrique et elle lui aurait fait la boule à zéro à cette asiatique emmerdeuse. Mais voilà elle n'avait pas ses outils de torture sous la main. « C'est vrai qu'il n'y a pas eu assez de morts depuis trois jours alors fais toi plaisir. Je préfère encore me prendre une balle dans la tête que de devoir voir ta sale tronche une seconde de plus. » Elle leva les yeux au ciel en s'approchant d'un pas pour lui souffler un peu plus bas. « Si j'avais voulu te tuer je l'aurai fait depuis longtemps. Je vais pas gaspiller le peu de munitions qu'il me reste pour ta petite personne. » Ce n'était pas réellement sa passion principale de tuer chaque personne qui lui gâchait la vue. A ce rythme elle aurait vite décimé une bonne partie du continent. Elle laissait ça aux psychopathes et gardait le sadisme de pousser les autres à bout pour le plaisir de les voir pleurer et se soumettre à sa souveraineté. Celle de son royaume imaginaire mais tant qu'elle se satisfaisait. Au fond c'était peut être elle la psychopathe. « Où est ton père ? » Pas avec elle ça semblait évident. Peut être mort ou embarqué comme beaucoup lors de l'attaque. Des tournures que Lacey tentait d'oublier pour ne pas se miner un peu plus le moral et garder quelques secondes l'espoir qu'il était en vie. L'espoir qu'elles n'étaient pas restées toutes les deux sur terre avec la mission de repeupler le monde. La bonne blague. Absurde et effrayante. Elle était lassée. Certes elle n'était plus seule et si l'ont passait outre le fait qu'elle se retrouvait avec Veight, l'espoir de revoir d'autres survivants se faisait plus intense. Mais voilà elle n'était plus sure de rien. Elle avait faim, elle en avait marre et elle se demandait combien de temps encore ce cirque allait durer. Si elle avait pu se pincer et se réveiller sur son matelas à eau, sa couette et ses millions de coussins en train de lui tenir chaud. Quelle ambition.

Elle abaissa son arme sans orgueil. Si ça lui faisait plaisir et si ça lui extorquait les réponses qu'elle attendait de sa bouche. A croire que c'était compliqué de répondre à une simple question comme celle-ci. A croire qu'elle était encore plus stupide qu'elle se l'était imaginé. Dieu seul savait qu'elle faisait tout en cet instant pour rester une fervente fausse chrétienne qui ne porte pas la main sur son prochain. Elle s'imaginait encore être une princesse après tout. Pas une coréenne, chinoise, japonaise scientifique ratée et grande gueule. A la base elle n'avait rien contre les asiatiques. Elle s'était même donné la mission d'apprendre le japonais avant l'attaque. Avant que le simple fait de pouvoir parler en son nom devienne une chance. Elle était à la fois triste lorsqu'elle repensait à ce futur qu'elle s'était imaginé et qu'elle n'atteindrait jamais et en même temps heureuse. Heureuse de quoi elle ne le savait pas. Peut être simplement du fait de repenser à des moments qu'elle s'imaginait heureux. Parce qu'en dehors du fait qu'elle avait écarté les cuisses à la mauvaise personne et que devoir apprendre de son père avait été loin d'être facile, ses plus graves problèmes se résumaient au choix qu'elle avait chaque matin à faire devant ses chaussures de luxes. Qu'est ce qu'elle ne donnerait pas pour une paire de Louboutins. Elle serait même prête à se ridiculiser en marchant avec dans la nature sauvage pour le plaisir de pouvoir en porter encore une fois. Puis elles pourraient toujours planter dans la tête de Veigh un bon talon de 15 centimètre dans la tête. C'était malsain. Sans compter que la situation actuelle n'était pas empreinte à arbitrer un duel entre les deux. Seulement certains sentiments sont loin d'être faciles à oublier. Au moins les leurs étaient à double sens. Une chose dont beaucoup de personne serait jaloux. « C'est bien parce que je peux pas te voir en peinture que j'ai envie de passer le moins de temps possible avec toi. Alors parle pour quelque chose pour une fois et plus vite je pourrai me casser et m'ôter l'image horrifiante de ta tête dans mon esprit. » Lacey haussa les sourcils en entrouvrant la bouche, à la fois agacée et prise d'impatience. La même tête qu'aurait fait cette défunte reine d’Angleterre devant son thé de l'après midi un peu trop tiède. Avec une pointe d'instinct meurtrier en plus.