Aaron. Il s’appelait Aaron et c’était tout ce qu’elle savait sur lui. Leurs routes s’étaient croisés pendant qu’elle faisait le plein dans une station-service abandonnée ; ils avaient sympathisé, envisagé de passer la nuit à jouer aux cartes. C’était ça qui l’avait décidée à baisser sa garde : le beau paquet de cartes tout neuf qu’il lui avait montré en lui proposant une partie. Finalement, ils se retrouvaient en plein milieu de la cambrousse avec quelques bouteilles vides autour d’eux, à enchaîner les parties sans se décider à fermer l’œil. Peut-être qu’au fond, elle savait qu’elle ne pouvait pas lui faire confiance. Ou peut-être qu’elle n’avait simplement pas envie de dormir. « Dahl, c’est ça ? » « Ouaip’. D, A, H, L. Quoi, t’as déjà du mal à le retenir ? » « Nah, c’est pas ça. C’est juste que… c’est pas un prénom. » Elle piocha une nouvelle carte avec un sourire en coin. Combien de fois l’avait-elle entendue, celle-là ? Elle haussa les épaules à l’intention de l’homme. « J’en connais bien qui s’appellent Bambi. Je préfère ça que de me trimballer l’image d’un faon dépressif dont la mère vient de se faire tuer. » Aaron fit une moue peu convaincue en réorganisant sa main, comme s’il remettait en doute l’existence même de personnes se prénommant Bambi. Ou alors était-ce la nouvelle carte qui ne lui convenait pas ? Il avait ce tic qu’elle avait rapidement remarqué chez lui qui consistait à froncer les sourcils en se mâchonnant l’intérieur des joues. C’était le pire joueur de poker qu’elle avait jamais rencontré. Et elle en avait fait, des rencontres.

« Alors, tu fais quoi ? » « J’te regarde. » Il haussa les sourcils, levant les yeux de ses cartes pour la dévisager ce à quoi elle répondit par un large sourire de canaille. Sans le quitter du regard, elle attrapa une nouvelle carte et passa sa langue sur sa lèvre supérieure. « Tu vas perdre. » « N’essaie pas de me déstabiliser. » « J’essaie pas, tu l’es déjà. Tu ferais mieux de te coucher. » De nouveau le tic vint perturber l’impassibilité de ses traits, au plus grand bonheur de Dahl qui s’autorisa même un clin d’œil provoquant. Entre eux, une petite pile d’objets personnels représentait leur mise. Ces dernières manches, elle n’avait pas hésité à risquer gros en sachant qu’elle avait toutes ses chances de remporter la victoire. Hey, elle avait même gagné deux tubes de dentifrice, une capote, un bidon d’essence à moitié plein et des balles pour son Magnum. Pendant qu’elle s’extasiait mentalement sur le futur butin qui serait sien, l’humeur d’Aaron descendait en flèche. « Tu triches. » « J’suis meilleure que toi, c’est tout. On fait pas d’poker si on sait pas bluffer. » Il abattit ses cartes dans un râlement, certain d’avoir une main suffisamment conséquente pour lui rabattre le clapet ; malheureusement pour lui, le carré d’as qu’elle avait constitué le battait à plates coutures. Il l’observa d’un œil noir ranger ses trophées dans son gros sac à dos difforme, un cigare collé dans le coin de sa bouche, en chantonnant les paroles décousues d’une chanson qu’il ne connaissait pas. Cette fille l’avait plumé, et maintenant elle voulait se tirer avec la bouche en cœur. « T’as une trop grande gueule, Dahl. » La façon dont il insista sur son prénom lui hérissa les poils de la nuque. Avec des gestes très lents, elle fit mine de s’emparer de la crosse de son arme tout en se retournant vers lui, mais le déclic caractéristique d’un revolver la fit s’immobiliser. « Fais pas ça, putain. » « Rends-moi toutes mes affaires, file-moi aussi quelques-unes des tiennes. » « T’as joué, t’as perdu. » « Je presse la détente, t’es morte. » Elle haussa les épaules, indifférente. « On doit tous crever un jour ou l’autre, Aaron. J’étais toi, j’rangerais mon arme et je partirais la queue entre les jambes. Sinon, c’est toi qui va mordre la poussière. » « Ferme-la. Fais c’que je te dis. »

Les secondes s’étirèrent autour d’eux, se transformant en minutes durant lesquelles Aaron ne baissa pas un seul instant son arme. Il allait tirer. Il allait le faire. Elle pouvait voir dans son regard qu’il n’hésiterait pas. A force de traîner seul, on commençait à développer un instinct de survie qui autorisait le meurtre d’autres humains ; Dahl avait toujours refusé ça, ça aurait été une façon bien trop rapide de livrer son monde aux aliens et elle préférait leur exploser la tronche à la place. Néanmoins, à cet instant précis, elle aura adoré donner une raclée à ce type. Elle avait eu raison de ne pas lui faire confiance. « Dex. Quand tu veux mon vieux. » Avant que l’étonnement n’apparaisse sur le visage du Traveller, une forme sombre bondit des ténèbres pour le mettre à terre, grondant et bavant sur son torse à qui mieux-mieux. L’arme étant tombée non loin de lui, Aaron tenta de la récupérer, mais la jeune femme fut plus rapide. « Gentil, Dex. » « Putain mais c’est quoi ce bordel !? » « Je t’avais demandé de ranger ton arme. T’as joué, t’as perdu. » répéta-t-elle avec un haussement d'épaules. Elle profita que l’énorme molosse tienne en respect l’homme pour faire un dernier tour du campement, récupérant uniquement ses affaires et laissant là celles qui appartenaient à Aaron – elle n’était pas une voleuse, même s’il avait sûrement mérité une bonne petite leçon. Elle enleva chaque balle de son revolver et les jeta complètement au hasard autour d’elle puis, satisfaite, ordonna au rottweiler de libérer sa proie. Le chien vint instantanément se placer à ses côtés, ses petits yeux noirs rivés sur le Traveller.

« Maintenant, je vais partir. Sois gentil, reste couché. » « J’te retrouverais, Dahl. » « Ou bien tu te feras choper demain matin par des sang-froid, qui sait ? T’aurais pas été aussi con, on aurait pu faire équipe. Seulement t’as voulu jouer au plus malin… » dit-elle en s’éloignant progressivement de leur bivouac, une main posée sur son Magnum et l’autre agrippant le collier de Dex. « Le jour où t’apprendras qu’il faut qu’on se serre les coudes et pas qu’on s’tire dans les pattes, n’hésite pas à m’appeler. Et améliore ton jeu, sinon j’aurais aucun mal à t'battre la prochaine fois. » « Casse-toi, putain. » Le brusque grondement furieux du moteur couvrit partiellement son grand éclat de rire. « A un de ces jours, Aaron. » Et voilà qu’elle filait cheveux au vent, un rottweiler dans son side-car, un énorme sac à dos attaché au siège. Parce qu’au fond, c’était ça sa vie depuis plus d’un an. Toujours en mouvement, toujours prête à dégainer au moindre comportement suspect, toujours seule. Elle avait eu de la chance au début de l’invasion. Un vieil ami complètement taré de l’aviation avait pu l’héberger dans son « bunker spécial fin du monde », mais elle n’avait pas supporté plus de deux semaines d’être enfermée sous terre. Il avait accepté de la laisser partir avec des vivres, une arme, juste le strict nécessaire pour ne pas crever en plein désert. Sa bécane, elle l’avait dénichée dans un vieux garage abandonné par les humains. Elle avait dû apprendre à la réparer, même si lesdites réparations tenaient davantage du bricolage d’amateur que du travail d’un professionnel. Mais la moto tournait encore après un an, malgré quelques cafouillis au démarrage. Quant à Dex… Dex lui avait sauvé la vie un jour qu’elle s’était infiltrée dans une banlieue bondée de Hosts. Elle pensait avoir affaire à de simples humains un peu secoués par les évènements, et sans l’intervention du rottweiler elle aurait sûrement fini avec un morceau d’alien dans le crâne. C’était juste avant qu’elle ne trouve le bolide avec son side-car. Un an, lui aussi, qu’il cheminait à ses côtés et qu’il lui servait généralement de « détecteur à Hosts. » C’est un bon chien, loyal et obéissant. Elle s’est attachée à lui plus qu’aux personnes qui ont croisé sa vie ces derniers mois ; parce qu’au fond, c’est difficile de tisser des liens avec les humains lorsqu’ils tentent de vous détrousser ou qu’ils jouent en réalité la comédie pour mieux vous capturer. Des envahisseurs, y’en a partout, derrière chaque visage.

Alors forcément, Dahl est devenue un peu trop méfiante, mais jusqu’ici ça lui a toujours sauvé la vie. Il lui arrive encore de penser à son ancienne existence, plus simple et plus calme. Aux amis qu’elle avait. A son meilleur ami, cette tête brûlée de Jamie qu’il fallait toujours qu’elle remette sur les rails avant qu’il ne décroche. C’était plus facile de penser qu’il était mort plutôt que de l’imaginer en hôte. A cet instant précis, aujourd’hui, elle n’avait qu’une seule certitude : elle devait survivre et sauver autant de vies que possible sur le chemin. Autant de personnes qui voudraient bien qu’elle leur tende la main. Quant aux autres… qu’ils ne se mettent pas en travers de son chemin.

Hi people ! Alors derrière notre belle blonde insolente, c'est moi, Jessica, vingt-et-une piges. J'habite en France, mais j'ai des horaires assez décalés donc il ne sera pas rare de me voir me connecter tard. Très tard. Anyway, ça fait des années que je fais du RP, sous différents rôles et dans des univers très différents. Je vous aime déjà. Peace & Love. Surtout love.