Les choses se sont calmées depuis l’attaque de la cohorte, mais ça n’empêche personne de vivre dans la peur. Jamie est le premier à le reconnaitre : c’est temps derniers, il avait commencé à se reposer un peu trop sur ses lauriers et à croire que jamais les colonisateurs ne parviendraient à découvrir leur position. Stupide. Il avait suffit d’une nuit, d’une petite heure pour que leurs espoirs soient balayés et leur petite bulle de répit éclatée. Une heure pour que leur nombre diminue drastiquement et que la terreur revienne les saisir à la gorge, les paralyser et leur nouer les entrailles. Jamie s’est promis de ne plus se faire surprendre de cette manière, comme beaucoup d’autres sans doute. Il ignore s’il arrivera à se tenir à ce principe mais il va au moins essayer.  
Pour le moment en tout cas, le jeune homme n’a aucun mal à être sur le qui-vive. En fait, il n’arrive pas à se détendre depuis l’autre nuit. il faut dire qu'ils sont toujours en mouvement, essayant de s'éloigner un maximum de leur ancien QG. Ses nuits sont courtes, agitées et les cauchemars sont légions. Chaque fois qu’il ferme les yeux et glisse vers le sommeil, le coursier se retrouve dans les tunnels sombres, entouré de cadavres, cernés par des centaines de paires d’yeux à l’éclat glacial et inhumain. Leurs visages sont brouillés par cette fichue fumée qu’ils utilisent. Et puis tout à coup, un visage se détache de l’obscurité. Celui de son frère. Il sait que c’est impossible, Aidan est mort bien avant l’invasion. Mais dans ses cauchemars, il est toujours là, à l’attendre dans la noirceur pour lui mettre la main dessus. Jamie sait ce qu’il veut. Il veut le dévorer. Il réclame vengeance… Jamie se réveille toujours à ce moment, paniqué, encore épuisé et incapable de se contraindre à se rendormir. De toute manière, c'est mieux comme ça puisqu'il est préférable qu'il s'éloignent toujours plus des métros.

Et cette nuit n’échappe pas à la règle. Il n’a réussi à fermer les yeux que deux petites heures et erre depuis ce moment aux alentours du campement improvisé qui a été établit par son petit groupe en fuite, jouant les patrouilleurs. Un groupe ridicule quand on pense au nombre de survivants qu’ils étaient à la cohorte… Mais il ne faut pas qu’il pense à ça. Ni au fait qu’il représente une défense totalement minable pour le campement de cette nuit avec son arme à feu qu’il ne sait pas encore vraiment manier. Aaron a pourtant essayé de le former, mais ils n’en sont qu’aux balbutiements et il lui faudra encore plusieurs séances de tir avant de parvenir à être capable de loger une balle dans le front d’un Host. Encore que… Même avec de l’entrainement, le jeune homme n’est pas certain d’être capable d’en arriver à cette extrémité. Il a déjà du mal à vivre avec le sang qu’il a sur les mains et doute d’assumer la moindre goutte supplémentaire… De toute façon, l'arme qu'il a entre les mains et a appartenu à Julian est déchargé. Elle est simplement censé dissuader leurs éventuels poursuivants.
Il soupir et continue à pédaler, les deux mains sur son armes puisqu’il n’en a pas tellement besoin pour se diriger. Il est sur une ligne droite et stable et est assez à l’aise sur son engin pour se le permettre. Et puis si la situation l’exigeait, son fusil étant attaché à son poignet (un truc d’Aaron pour éviter de se faire désarmer trop facilement), il pourrait réagir et rattraper le tir. Enfin il faut l’espérer.
 
Ses prédictions se révèlent cela dit exactes et, lorsqu’il entend des voix féminines s’élever, il rattrape son guidon et immobilise son engin, aux aguets. Il tend l’oreille et cherche à repérer la source des voix. Seuls des aliens oseraient parler aussi peu discrètement dans un environnement hostile. Pas vrai ? La première idée de Jamie est évidement de fuir. Tout ce qu’il a à faire, c’est faire effectuer un demi-tour à son engin et repartir comme il est venu, en quatrième vitesse, pour aller prévenir d’autres hommes de la présence d’intrus. Des soldats réellement armés et capables de viser juste, contrairement à lui. Sauf qu’il n’a pas envie de passer pour un trouillard ou de mettre la vie de qui que ce soit en danger. Et puis peut-être qu’il a simplement à faire à deux civils un peu stupides…
Il faut qu’il en ait le cœur net. Alors après avoir déposé son vélo contre un des arbres bordant le chemin terreux sur lequel il évolue depuis des heures maintenant, il raffermit sa prise sur son arme inutile et se rapproche doucement des voix qu’il entend toujours. Il finit par repérer deux silhouettes brunes lui tournant le dos et marchant en se faisant la conversation. Il ne lui faut pas plus de quelques secondes pour les reconnaitre et Jamie tique d’agacement… Encore que ce qu’il éprouve, c’est avant tout du soulagement. Mais il ne l’avouera pas.
Jamie jette un coup d’œil alentour pour s’assurer qu’il est le seul à les avoir repérer et décide de les héler. Et de les faire stresser un peu, ces deux imprudentes.
« On n’bouge plus mesdemoiselles » lance-t-il d’une voix parfaitement calme. Tous les colons qu’il a croisés avaient cet air hautain et ce ton impitoyablement serein absolument détestable et glaçant…

Ils ont survécu. Ils ont survécu. Jenibelle ne pensait pas devoir à nouveau se dire ça, elle pensait, comme beaucoup, être en totale sécurité à la cohorte, comme si le danger ne pouvait plus l'atteindre, comme si quelques centaines de survivants pouvaient la protéger de monstres sanguinaires déterminé à réduire l'espèce humaine à néant. Elle y avait cru, tellement fort, elle y croyait avec tant de hargne « Nous sommes saufs , plus rien ne peut plus nous toucher » c'est ce qu'elle se répétait à la Cohorte, c'est ce que tout le monde se disait, naïvement, pour se rassurer et peut-être aussi parce qu'il y avait un fond de vérité là-dedans. Cet endroit avait réellement été un havre de paix durant plusieurs mois, permettant à d'innombrables personnes de survivre et de réapprendre à vivre, tout aurait pu continuer, Jeni' aurait pu vider le garde-manger, encore et encore, insouciante, Juliet à jouer les exorcisés du dimanche, effrayant n'importe qui... Immatures, surement, mais au moins, ainsi, elles pouvaient se sentir vivantes plus que survivante et c'était au fond ça le but du jeu, vivre plus que survivre non? Mais tout ça c'était finis, à présent plus rien n'était comme avant, plus rien ne pouvait lui laisser croire qu'elle était en sécurité, au contraire, aujourd'hui plus que jamais la belle savait que sa vie était en danger, sa vie ainsi que celles de ceux qu'elle aimait, encore une fois la mort planait autour d'eux, seulement quelques dizaines d'heures après avoir quitté le rêve paisible dans lequel ils étaient si bien. Maintenant, les rêves se transformaient en cauchemars et les cauchemars en réalité.

A chaque fois que l'Irlandaise fermait les yeux, elle ne pouvait s'empêcher de voir des cadavres, des monstres sans pitié s'en prendre à des innocents, elle apercevait les corps des membres de sa famille, flottant comme sur un océan de douceur et d'horreur... Et le pire dans tout ça c'est qu'elle ne se voyait pas, elle ne ressentait pas sa propre mort, elle n'apercevait nulle part son propre cadavre, non, Jeni' était simplement une spectatrice silencieuse, observant les autres mourir sans pouvoir faire quoi que ce soit pour eux. Le pire a ses yeux, ce n'était pas la mort, mais plutôt la survit. C'est toujours lorsqu'elle se retrouve seule au milieu de son cauchemar que Jenibelle se réveille, en sursaut, comme bien d'autres membres de leur petit groupe de survivants. Je suppose que c'est une espèce d'obligations, ne plus pouvoir rêver après ce genre d'événement, à moins d'être terriblement insensible et sociopathe sur les bords. Pour le coup, elle aurait bien voulu l'être, au moins, elle ne passerait pas ses journées à avoir peur pour Juliet, pour Eileen et pour tous ceux qu'elle côtoie aujourd'hui, même si pas mal d'entre eux ne semblaient pas particulièrement la porter dans leur cœur. La pauvre est toujours détestée de toute façon, sauf quand Juliet est dans les parages, l'effet asiatique-cute surement.

Enfin, peu importe. Passant une main sur son visage Jenibelle se leva, non sans difficulté, l'un de ses genoux c'était quelque peu... abimé, durant leur fuite, l'obligeant à se balader avec une béquille de fortune en attendant de pouvoir utiliser son fauteuil. Et oui, il n'était pas aussi tout-terrain que ça, se balader en chaise roulante dans un camp fortifié , oui, mais en pleine « jungle » , surement pas. Debout, elle observa chacun de ses compatriotes, elle en connaissait la plupart, ne serait-ce que de vue, mais ce qui la frappa surtout, ce fut leur nombre, beaucoup plus nombreux que ce qu'elle aurait pu espérer au début de tout ça. Lorsqu'elle avait fui, elle c'était imaginé que tout le monde était mort, qu'elle croiserait peut-être un ou deux survivants, mais pas autant... Surtout pas Juliet et encore moins sa cousine. Elle les avait chercher avant de fuir, passant dans les coins qu'elles fréquentaient, peu importe le danger, elle voulait être sur qu'elles soient en vie, mais elle ne les avait pas trouver et pousser par l'ennemie, elle avait dut fuir. La jeune femme s'en voulait de ne pas avoir insister, de ne pas avoir été plus courageuse et au fond, elle se doutait que Eileen et Juliet lui en voulaient...  

Laissant échapper un soupir, les yeux toujours aussi rouge, comme si elle ne parvenait plus à arrêter de pleurer, la Busby-Brooks décida de se porter volontaire avec sa cousine pour aller chercher quelques vivres, ramasser des champignons, des fruits, des conneries dans le genre, ça serait toujours ça de prit et au moins, elle pourrait discuter un peu avec sa cadette. Bref, les deux cousines quittèrent le camp, s'éloignant assez pour se retrouver dans une petite forêt, histoire de trouver de quoi manger ou au moins une rivière capable de remplir leurs gourdes. Le silence fut de mise pendant un long moment, avant que Jeni' décide enfin de parler, tout en ramassant... des feuilles … Je crois qu'elle n'avait pas trop saisis le concept de la sortie. « Au fait... Ça va? Je veux dire... Évidemment, vu la situation, c'est pas carnaval de Rio mais... tu t'en sors? » En gros, tu veux que je joue les psys ou ça ira? Elle aurait put dire ça, ça aurait été plus clair que son charabia.

En parlant de charabia, alors que les deux jeunes femmes discutaient sans vraiment faire attention, une voix vint s'élever derrière elle, une voix calme et presque glaciale, mais étonnamment familière... Jeni' fit une grimace avant de prendre son courage à deux mains et de tourner lentement la tête vers leur « agresseur » … Autant dire qu'en comprenant que ses doutes étaient fondés et qu'il s'agissait de Jamie, elle n'eut qu'une envie, lui lancer son putain de vélo à la tronche, en réalité, elle hésita même à lui tirer une balle dans la jambe, ça ne serait pas de sa faute après tout, c'est lui qui a voulu les surprendre et s'amuser avec leur stresse... Ça ne serait que justice. Heureusement qu'elle n'était pas aussi cruelle que ça. Par contre, elle avait une bonne mémoire. Elle décida donc d'en dire le moins possible et de façon calme, posée et glaciale. « Fuck. » Là, on ne peut pas dire qu'il y ait matière à discussion hein...

« Tu seras en sécurité ici, c’est une bonne cachette. » Il en avait de bonne Ethan parfois… Bien sûr Eileen était un peu médisante, mais jamais lorsqu’elle avait été en sa compagnie la jeune femme n’avait eu à essuyer une attaque de Host. Bon, c’était peut-être aussi parce qu’il faisait en sorte de les éviter. Mais jamais en sa présence elle n’avait eu peur comme cette nuit-là. Peut-être s’était-elle un peu trop accoutumé à vivre sans se préoccuper du monde extérieur. Après tout, dans ce petit cocon où elle avait retrouvé sa cousine, tout le monde faisait comme si la vie était normale. Personne n’aurait pût prévoir que les bestioles allaient les débusquer. Et au pire moment en plus ! Durant toute la fuite, Eileen n’avait pensé qu’à sa survie et à celle de Jeni. Même si, et elle avait du mal à se l’avouer, la jeune fille s’était plus concentré sur son propre sort. Eileen espérait que si sa cousine l’avait remarqué, elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Mais la belle se sentait extrêmement mal… Comme quoi la peur révèle la vraie nature des gens. Et Eileen se dégoutait pour cela. Ethan lui avait pourtant appris qu’en groupe elle avait plus de chance de survivre. Allongée sur le sol, le regard fixé vers les étoiles, elle se promit que jamais plus elle n’agirait de cette façon.

Les heures avaient passés et Eileen ne pouvait trouver le sommeil. Après la fuite dans les couloirs, l’odeur de la mort qui flottait dans les airs, les regards perdus et les cris, la belle savait qu’elle ne trouverait pas le repos. Alors autant rester éveillée plutôt que de se battre avec ses chimères. Il faisait quand même vachement froid à l’air libre. Pourtant la caresse de l’air sur sa peau, le vent dans ses cheveux, l’odeur des feuilles, des arbres et surtout la vision sans limite du ciel la rendait heureuse en un sens. Certes ils n’étaient peut-être plus autant en sécurité, mais au moins ils étaient en vie. Et cela Eileen l’appréciait plus que jamais. Certes elle aurait aimé exulter de joie ou pleurer de soulagement au creux de l’épaule de quelqu’un, mais ici, excepté Jenibelle personne ne se souciait vraiment de son sort. En même temps la danseuse n’avait jamais vraiment fait en sorte de s’intégrer. Dans la cohorte elle était surtout une ombre, voguant d’un endroit à l’autre et apportant son aide comme elle le pouvait où on avait besoin d’elle. Un coup aux cuisines, une autre fois à l’infirmerie, parfois avec les enfants… Mais si elle s’interdisait de craquer c’était aussi pour Jenibelle ! Elle était la seule famille qui lui restait, et même si elle était plus âgée qu’elle, Eileen se sentait parfois comme une grande sœur. Une relation un peu étrange qui dans une situation comme celle-ci apportait un grand réconfort.

Quelqu’un parmi les rescapés demanda des volontaires pour aller faire un tour dans les parages, histoire de voir s’il y avait de quoi se nourrir ou quelque chose d’autre… Un coup d’œil sur sa gauche permis à la douce de voir que sa cousine se portait volontaire. Sans hésiter, Eileen se leva à son tour pour l’accompagner. Elles marchèrent un moment en silence, n’ayant pour compagnie que le bruit de leurs pas sur le sentier de terre ou le craquement léger les arbres autour d’elles. A côté d’elle, sa camarade ramassait des feuilles. Eileen eu un petit sourire. Jenibelle était totalement perdue, ou alors avait l’esprit occupé. Peut-être les deux ? Quant à elle, elle se concentrait sur les bruits alentours. A sa ceinture était accroché le couteau qu’elle avait pensé à embarquer dans la fuite. La maitrise du combat d’Eileen était bien médiocre comparée à celle de Roxanne ou d’Ethan mais si elle ne pouvait pas tuer, la brunette savait au moins saisir la chance de blesser son ennemi assez gravement pour pouvoir s’enfuir. Soudain, rompant le silence, la petite voix de Jeni s’éleva.

Continuant de ramasser des pommes de pains, vraiment pratique pour allumer un feu quand on y pense, Eileen adressa un sourire à sa cousine. Mais l’avait-elle vu dans l’obscurité ? C’était certes des banalités, mais il fallait bien dédramatiser un peu la situation non ? Et puis parler faisait du bien après tout.

« A partir du moment où on a survécu, j’estime que tout va bien ! … Et puis jouer à Lost c’est plutôt drôle tu trouves pas ? »

Essayer de faire de l’humour pour ne pas inquiéter son amie. Lui faire croire que tout allait bien … Pourtant les nombreuses blessures sur son corps laissaient deviner qu’elle avait souffert. Ses bras étaient couverts de bleus, sa manie de se mordre la lèvre faisait souvent ressaigner sa légère blessure et un bandage crasseux et taché de sang au poignet finissait d’achever le tableau. Et dans sa tête ce n’était pas la joie non plus. Elle avait assassiné sa sœur, ou du moins ce qu’il en restait, et ce n’était pas vraiment ça qui la dérangeait. C’était plus le fait qu’elle avait apprécié cela. Dans un sens elle avait perdu le contrôle et cela la terrifiait. Peut-être était-ce pour cela qu’Ethan l’avait laissé, parce qu’il avait compris ce qu’elle était devenue ? Un frisson lui parcourut l’échine. Avait-elle perdu le contrôle d’elle-même ?

Alors qu’elle allait demander à Jenibelle ce qu’il en était pour elle, une voix s’éleva dans leur dos. Eileen eut un sursaut. Elle avait totalement arrêté de prêter attention à ce qui les entourait. Seule elle n’aurait vraiment pas fait long feu… Quoi qu’il en soit, dans un réflexe et alors que sa cousine se tournait lentement, elle jeta dans un réflexe ce qu’il se trouvait dans sa main sur l’inconnu. La pomme de pain, une arme qui fera fureur dans quelques mois ! Eileen aurait presque rit de cette ridicule défense. Cependant elle reconnu une des personnes avec qui elles avaient quittés leur campements lorsque les aliens avaient attaqué.

« Oh ! Excuse-moi pour la pomme de pain, c’était un réflexe… Stupide. Je t’ai pas fais mal au moins ? »

Bon au moins l’une d’elles sait se défendre. Pas très efficacement, mais sa pomme de pain l’aurait tout de même atteint en plein front qu’il n’avait pas eu le réflexe de lever les bras. Sauf que ces enfoirés d’Hosts ont des réflexes eux aussi… ouais, non, elles auraient été définitivement foutues s’il n’avait pas été le trou du cul qu’il est. Jamie tique, regarde le fruit sec s’écraser puis rouler sur le sol avant de lever ses yeux délavés pour les pointer à nouveau sur les deux brunettes.
L’une à l’air furieuse, l’autre plutôt penaude. La folle et… l’autre. Enfin c’est peut-être un peu facile de se baser uniquement sur l’attitude de Jenibelle (c’est Julian qui lui a appris son prénom) lors de l’attaque de la cohorte. Lui aussi, dans la panique, s’était révélé un peu…différent d’à son habitude. Plus sec, moins tolérant. D’où le surnom de la folle qu’il avait attribué à la jeune femme. Peut-être qu’elle est cool.
« Fuck. »
Ah bah non. Encore qu’il vient de la surprendre et de lui faire peur, alors il a peut-être mérité.

Jamie renifle et remonte son pantalon qui a dû mal à tenir sur ses hanches fines depuis qu’il a perdu du poids. L’Apocalypse a tendance à avoir ce genre d’effet sur votre organisme…
Tentant toujours l’arme inutile que Julian lui a refilée, il se remet en marche adressant un regard à celle qui s’excuse avant d’hausser négligemment une épaule.
« Nah, ça va. Puis c’était pas stupide. Disons qu’ça manquait juste d’un peu…d’un peu d’force on va dire. Mais au moins t’as l’air de savoir viser. »
Il se fend d’un sourire en terminant de les rejoindre, s’arrêtant face à elle pour les observer tour à tour. Il n’a pas spécialement l’impression d’être le bienvenu, mais ça ne l’a jamais trop dérangé. C’est un truc de Taggart. Son imprévisible et ivrogne de paternel n’était le bienvenu nul part et mettait tout le monde mal à l’aise, mais ça ne l’empêchait pas de venir prendre ses aises, au contraire. Plus vous aviez l’air ennuyé par sa présence, plus il venait vous faire chier… Les repas de famille étaient toujours fort amusants ! Sa petite branchette n’était jamais conviée et pourtant toujours présente grâces aux quelques alliés qui laissaient filtrer l’information du  lieu et de la date du rendez-vous. Ils avaient toujours une bonne excuse. Il y aura tante Eleanor avec laquelle nous pensions que vous ne vous entendiez pas ; on a jugé que ce serait mieux de ne pas faire déplacer Jamie, j’ai appris qu’il était épileptique le pauvre ; on va beaucoup boire et j’ai cru comprendre que Johnson avait arrêter la bouteille ; oh évidemment on comptait vous inviter, mais avec le handicap du petit Aidan… on ne voulait pas que vous soyez mal à l’aise… Tous des connards sans âme. Ils avaient dû être implantés les premiers…
   
« Ca va comme vous voulez ? »  les questionne le grand blond, leur servant son plus beau sourire. « Vous faites quoi là ? Un collier de fleurs ? »
Apparemment, au moins l’une d’entre elle est totalement hermétique à son humour. Du coup, avant qu’elle s’énerve sur lui une fois encore, Jamie reprend la parole et lui coupe l’herbe sous le pied.
« Au fait, j’voulais m’excuser pour la manière dont j’t’ai parlé, traité l’autre nuit… On était tous à cran, j’pense que tu peux comprendre. Enfin voilà, j’voulais juste te l’dire. Moi c’est Jamie au fait. Jamie Taggart » leur sourit-il encore, tendant une main à Jenibelle pour qu’elle la serre et conclut ainsi leur pacte de paix…

« A partir du moment où on a survécu, j’estime que tout va bien ! … Et puis jouer à Lost c’est plutôt drôle tu trouves pas ? » « Ouais c'est pas faux! » … haha ouais, parce que « c tro kifan 2 joué a lost é 2 riské sa vi lol » … Non mais dans quel monde vit-elle cette Eileen? Jouer à Lost ça n'a rien d'amusant et pourtant , c'est bien connus, Jeni' était du genre à trouver sympathique des choses qui ne l'était carrément pas. Elle pouvait s'éclater à un enterrement et faire une tête de six pieds de long à un baptême. Elle n'a jamais eu réellement le sens des priorités, mais pour le coup, là, aujourd'hui, perdu dans l'immensité d'une planète conquise par une race extraterrestre psychopathe, non, elle n'arrivait pas à trouver un côté fun à ça, pas depuis que son garde mangé avait disparu et qu'elle ne pouvait plus voler la bouffe comme bon lui semblait. Sa cousine était surement en plein dénis, du genre à essayer de se persuader que finalement, c'est pas trop terrible, simplement pour ne pas avouer la peur terrible qui rongeait chaque partie de son corps, et au fond, c'était peut-être mieux ainsi. Passer ses journées à paniquer et à pleurer sur son sort ne l'aiderait pas plus que de se persuader qu'il y a pire, alors des deux maux, elle avait choisi le moindre, à raison. Jeni lui offrit donc un sourire, comme pour l'encourager dans cette voix, lui faire comprendre qu'elle avait raison et qu'elle devait continuer à positiver, peu importe ce qui pourrait se passer.

Elle aurait bien voulu continuer à ramasser des feuilles avec Eileen, malheureusement, un taré du bulbe décida de faire son entrée fracassante dans la conversation, obligeant la pauvre cousine de Jeni' à lui lancer une pomme de pins dans « laggle » . La Belle aurait bien voulu faire pareil, mais entre ses douces mains elle n'avait que des feuilles et peu importe son imagination débordante, elle ne trouvait pas un moyen « mcgayver-iens » de lui faire mal avec ça. Elle se contenta donc de lui balancer un « fuck » lorsqu'elle comprit qu'il s'agissait de ce chère Jamie. « Oh ! Excuse-moi pour la pomme de pain, c’était un réflexe… Stupide. Je t’ai pas fais mal au moins ? » Espérons que si. « Nah, ça va. Puis c’était pas stupide. Disons qu’ça manquait juste d’un peu…d’un peu d’force on va dire. Mais au moins t’as l’air de savoir viser. » Dommage. Cela étant, il semblait plus courtois que dans les tunnels. Apparemment, il était le genre de personne à devenir véritablement insupportable dès que le danger rodait. Ou alors la tête de Jeni' ne lui revenait pas et dès qu'il l'avait rencontré il s'était décidé à l'emmerder et à la traiter comme de la bouse. C'était aussi une possibilité. Notons quand même qu'il avait accepté de lui injecter son antidouleur lors de la grande évasion de la cohorte, sans aucune retenue, lui offrant un mega-giga-bleu sur le bras, certes, mais au moins, il lui avait permis de s'enfuir plus ou moins facilement. Assez pour oublier le reste? … non.

« Ca va comme vous voulez ? [...] Vous faites quoi là ? Un collier de fleurs ? » * Ça allait jusqu'ici... * Pensa-t-elle. Elle aurait bien voulu répondre plus directement à ses propos, mais le bougre lui coupa l'herbe sous le pied, elle se contenta donc de lui offrir un sourire tout sauf avenant. En somme, elle semblait hésiter entre le frapper avec sa « canne » et... le frapper avec sa canne, qui n'est pas une canne d'ailleurs, mais là, tout de suite, j'ai oublié comment ça s'appelle exactement. Dilemme dilemme. Jenibelle ne fut pas surprise par ses excuses, simplement parce qu'elle les méritait, toutefois, elle était trop rancunière pour totalement oublier tout ça. Jamie n'était pas la seule personne à l'avoir littéralement traité comme une moins que rien la veille, mais la fin du monde l'obligeait à se montrer moins maniaque sur le sujet, elle décida donc de se montrer fairplay.  « Au fait, j’voulais m’excuser pour la manière dont j’t’ai parlé, traité l’autre nuit… On était tous à cran, j’pense que tu peux comprendre. Enfin voilà, j’voulais juste te l’dire. Moi c’est Jamie au fait. Jamie Taggart » « Peu importe. Je ne m'en souviens même plus. » FAUX. « Moi c'est Jenibelle Busby-Brooks. Et elle c'est ma cousine, Eileen Wayne, comme Batman... » Excuse me , wtf? Pourquoi se sentait-elle obligé de préciser « comme batman » à chaque fois qu'elle parlait du nom de famille de sa cousine? C'est fou quand même. Enfin bref, on sentait bien dans sa voix une pointe d'amertume et de rancœur, mais légère, à peine plus perceptible qu'un litre de sauce piquante dans un bol de soupe.

Il sent bien que ses petites piques agacent (surtout celle sur les colliers de fleurs), mais c’est plus fort que lui. Il a toujours aimé voir les lèvres des filles se serrer de réprobation face à lui, leurs yeux se plisser avec rancœur et leurs narines se dilater de frustration. Qui aime bien châtit bien il paraît, et le couriser aime toutes les femmes, sans distinction. Enfin si, évidemment, Jamie a ses critères, comme tout être humain… Mais faire chier les filles et les voir sortir de leurs gonds, c’est son truc. Puis au fond, ça leur plait aux gonzesses et il ne va jamais trop loin. Juste assez pour qu’elles se souviennent de lui et aient envie de l’approcher pour le faire changer d’opinion sur leurs petites personnes adorables. La phase deux, celle de la séduction, a tendance à s’engager plus facilement après ça. Un boulot à temps complet d’être un séducteur du dimanche !  

Il sourit, son air emprunt de moquerie dirigée vers celle qui se présente à lui sous le nom de Jenibelle. Celle à qui il a présenté des excuses il y a instant. Il manque d’ajouter un commentaire sur son nom un peu étrange, ou du moins aux consonances amusantes, mais la brunette plaisante elle-même sur le nom de sa cousine, lui coupant l’herbe sous le pied. Et ce n’est sans doute pas plus mal pour sa sécurité…
Son sourire s’élargit encore un peu tandis qu’il serre la main d’Eileen, avant de la passer dans ses cheveux blondins coupés à la va-vite par il ne sait plus quelle fille de la Cohorte.  
« Pour c’qu’ils nous servent aujourd’hui nos comptes en banque » réplique-t-il en haussant une épaule, avant d’observer les deux jeunes femmes tour à tour, dans l’espoir qu’une d’elles lance la conversation.
Il n’est pas certain que Miss  Busby-Brooks souhaite vraiment qu’il s’attarde et renonce à l’idée qu’elle se charge de ça, mais heureusement, sa cousine n’a pas l’air aussi pressée que ça qu’il leur fausse compagnie. Elle vient de devenir sa nouvelle meilleure amie. Enfin façon de parler, bien évidemment.

« Et donc, tu fais quoi dans la cohorte toi ? »
« Ca s’voit pas ? J’assure la protection du groupe avec une arme déchargée et de laquelle je n’sais même pas vraiment m’servir » leur sourit Jamie, sans se démonter, présentant son arme aux deux filles. « Vous êtes de corvée ? »
Tout le monde essaye de se rendre utile. C’est bon pour le moral d’après ce qu’il en sait, mais ça les oblige à se disperser et c’est une idée qu’il juge très moyenne… Mais il n’est qu’un troufion, doublé d’un imbécile comme aimait le lui rappeler sa meilleure amie, alors qu’est-ce qu’il en sait ?
Pendant que les filles répondent, Jamie jette un coup d’œil aux alentours, histoire de s’assurer que personne ne risque de les surprendre, l’oreille vaguement tendue mais plus concentrée sur les filles que sur le repérage. Pas très efficace du coup mais, quand bien même il repérerait un bruit suspect, il n’y a pas grand chose qu’il pourrait faire pour se défendre ou défendre les demoiselles à ses côtés.  

« Ca vous gêne si on reste ensemble ? J’ai laissé mon vélo par là-bas alors… si ça vous va, on peut continuer c’qu’on a à faire en s’y dirigeant » propose-t-il quand elles se taisent, désignant l’endroit d’où il vient du pouce, son regard azuré passant de l’une à l’autre des cousines.

 

Voilà, chacun s’était présenté, tout le monde avait lancé sa petite vanne pourrie, maintenant on rentre chez soi et on s'oublie. C'est ce que pensa Jeni en observant la scène, prête à tourner les talons dès que sa cousine en ferait autant, d'ailleurs elle commença à regarder à droite puis à gauche, cherchant la direction dans laquelle elles pourraient s'en aller, tout en priant pour que ce soit l'opposé de celle de Monsieur Grincheux-Méchant-Hawt-Blond. Ouais, désormais ce serait ça son surnom, Monsieur Grincheux-Méchant-Hawt-Blond, c'est parfait. Alors que cet éclair de génie illuminait encore le cerveau de la belle, Eileen décida de tout foutre en l'air en une seule et unique phrase. « Et donc, tu fais quoi dans la cohorte toi ? » À ses mots, Jeni tourna la tête violemment vers sa cousine, l'air presque choqué qu'elle ait décidé de lancer une conversation si vaste en posant cette question. C'était certain maintenant, elles ne pourraient plus lui échapper, c'était fichu.

La brunette écouta tout de même, car mine de rien elle était intéressée par la réponse qu'il allait leur donner, même si elle ne l'avouerait jamais, et comme elle s'en doutait : il ne servait à rien. Remarquez, c'est un peu l'hôpital qui se fou de la charité, vu que Jenibelle, elle, ne servait pas à plus de choses que Jamie. À part piller le garde manger et réussir, de temps à autre, une fois sur trois, à réparer une quelconque radio, elle n'était pas capable de grande chose. Un point partout. « Vous êtes de corvée ? » « Ouais, enfin, on est volontaire... volontairement de corvée... » Dit-elle en souriant autant que possible, même si elle se sentait un peu mal à l'aise. En fait, elle ne le détestait pas pour la façon dont il l'avait traité, disons simplement qu'elle se sentait profondément humilié et que le revoir , comme ça, lui donnait l'impression qu'il l'humiliait encore et encore, malgré le fait qu'il essayait de toute évidence d'être sociable et plus ou moins gentil. Que voulez-vous, c'est dur d'oublier ce genre de chose quand on est aussi fragile que Jenibelle. Elle est comme ses bonbons enrobés d'un croustillant chocolat noir intense et fourrés à la crème de marshmallow, dur à l'extérieur une guimauve à l'intérieur.

« Ça vous gêne si on reste ensemble ? J’ai laissé mon vélo par là-bas alors… si ça vous va, on peut continuer c’qu’on a à faire en s’y dirigeant » Alors il avait réussi à sauver son vélo? Y'a que moi que ça choque ou bien... ? Non parce que ce type semble davantage attaché à son deux roues qu'à la vie de ses compagnons. Des dizaines, même des centaines, de personnes ont été capturées pendant cette attaque et lui, il a sauvé son fucking vélo en premier. C'était quand même un peu glauque cette passion qu'il avait pour son engin.... C'est la pensée qui traversa l'esprit de la belle alors qu'elle lui offrait un sourire un peu crispé. « Oui, tant qu'à faire autant rester ensemble... mais... tu te déplaces jamais sans ton vélo hein? T'étais... cycliste ou un truc comme ça avant? » Oui, elle avait beau se persuader de ne pas vouloir lui parler , là, Jeni' ne pouvait clairement pas s'en empêcher. Ce gars SE BALADE EN VÉLO EN PLEIN APOCALYPSE ! Me dite pas que tout est normal dans sa tête, y'a un neurone mal connecté quelques parts, une case mal remplie, j'en sais rien, quoi qu'il en soit, ça reste assez … bizarre comme façon de se déplacer... C'est un peu comme se balader à cheval dans un monde rempli de zombies, personne ne fait ça...

L’ambiance semble se détendre un peu, ce qui est loin de déplaire à Jamie. Après la nuit de merde qu’il a passé, après l’attaque et la trouille qu’il éprouve encore, se détendre un peu est apprécié. Puis trainer avec des filles est toujours cool. D’autant qu’elles sont mignonnes. Bon, au moins l’une des deux a l’air d’avoir un caractère de cochon mais c’est pas plus mal au final. Il aime les filles de caractère. Puis c’est peut-être qu’une sale première impression…
Peut-être qu’elle le traite de cette manière parce qu’elle est folle de son corps et veut attirer son attention comme ça. Mouais, faut pas rêver quand même. Entre espoir et connerie, la barrière est mince.
N’empêche que Jenibelle lui pose des questions et semble donc s’intéresser à sa vie. C’est toujours bon à prendre. Ok, il a l’impression de sentir un peu de moquerie dans son ton, mais tant pis. Il ne va pas jouer les difficile. C’est pas comme s’il pouvait décider d’aller voir d’autres nanas ailleurs. Y a plus tellement l’embarras du choix…

Il observe tour à tour les deux brunettes qui lui causent de Betsy, puis frotte ses yeux brûlants de fatigue. Peut-être qu’il ferait bien de garder ce détail sous silence dans un premier temps d’ailleurs. Autant Dahl se marrait toujours à l’entendre appeler ses engins par des prénoms de putes sur le retour, autant les deux demoiselles pourraient… trouver ça choquant ou ridicule. Voire flippant. Il en a vu des types qui avaient perdus la boule depuis le début de ce merdier et préfère passer pour sain d’esprit.
« Nah c’est pas indiscret. J’étais coursier avant en fait. Pas l’boulot du siècle mais ça m’permettait de bosser en extérieur, de faire des rencontres, de voir du  paysage, de m’sentir utile aussi. Y a des gens qui sont de parfaits connards avec les livreurs, mais y en a d’autres qui sont super cool ! Parfois ils attendent des colis cool puis ils sont tellement contents que j’leur apporte  dans les temps, en bon état et avec le sourire, qu’ils m’invitent à boire un coup, ce genre de choses. Enfin c’état vachement sympa… »
Il sourit. Un sourire emprunt de nostalgie comme il s’en peint souvent sur les visages émincés par les privations des survivants qu’il rencontre.
« Et ouais, du coup j’ai un porte bagage. On pourra l’utiliser si vous voulez. Il est juste là » ajoute-t-il alors qu’ils arrivent en vue de Betsy.
Il réalise alors qu’il a commis un impair et aurait dû au moins proposer aux filles de les débarrasser un peu sur le trajet. Pt’être que la remarque d’Eileen était un genre de reproche à ce sujet…  Enfin, puisqu’il va se trimballer leurs affaires à partir de maintenant ; disons qu’ils vont être quittes.

« Et vous, vous faisiez quoi avant qu’le monde parte en couilles ? » demande-t-il alors qu’ils se rapprochent du deux roues.
Il fait un peu de place dans son panier et…

Et puis il est plein. Les filles ont les mains vides et sont en pleine conversation et Jamie n’a aucune idée de quoi elles discutent. Le jeune homme les observe tour à tour, les sourcils légèrement froncés, et tente de raccrocher les wagons. Il voit Eileen sourire et se tourner vers lui alors il décide que la meilleure chose à faire est de lui rendre son sourire.
« Faudrait qu’on bouge un peu » finit-il par proposer, histoire de mettre un terme à cette conversation qu’il n’a absolument pas suivie.
Les filles passent devant et il se charge de leur emboiter le pas en quidant le vélo. Pendant quelques secondes, ça fonctionne. Il pense que tout va rouler, à l’image de Betsy, sauf que ça n’est pas le cas.  

Son champ de vision se fait tout à coup envahir par des points grisâtres. Il sait ce qui va suivre mais il n’a pas l’occasion de réagir. Il ne l’a jamais.
La seconde suivante, entrainant son vélo et tout son contenu dans sa chute, Jamie s’effondre en bordure du chemin de terre, le corps agité de soubresauts.  

Finalement, Jamie n'était pas si inintéressant et agaçant que cela. Bon, Jeni' était trop orgueilleuse pour oublier si facilement ce qui s’était passé la veille, toutefois, l'ambiance se détendait quand même et elle se montrait plutôt intéressée par ce qu'il disait, autant par curiosité que par envie de plus ou moins  « arranger » les choses entre eux. Après tout, ils faisaient partie des rares survivants de l'espèce humaine, ce serait dommage qu'ils se détestent alors que leur vie ne tenait qu'à un fil... Et puis sait-on jamais, un jour peut-être, ils seraient obligés de repeupler le monde ensemble, alors mieux valait qu'ils s'entendent, au cas où. Bref, curieuse, la belle osa demander à son vis-à-vis la raison de cet amour pour les engins à deux roues, Eileen aussi semblait assez intéressée par le sujet, même s’il était délicat de parler facilement de leurs vies passées. En parler, même succinctement, c'était se rappeler de ce qu'ils avaient perdu, des rêves qu'ils ne réaliseraient jamais, des actes du quotidien qu'ils n'auraient jamais plus la chance de revivre, des êtres perdus au combat... Ce n'est qu'une fois sa question posée que la jeune femme pensa à ce détail, se demandant si mine de rien elle n'avait pas fait une faute de goût en posant cette question. Heureusement, Jamie se montra plutôt loquace. « Nah c’est pas indiscret. J’étais coursier avant en fait. Pas l’boulot du siècle mais ça m’permettait de bosser en extérieur, de faire des rencontres, de voir du paysage, de m’sentir utile aussi. Y a des gens qui sont de parfaits connards avec les livreurs, mais y en a d’autres qui sont super cool ! Parfois ils attendent des colis cool puis ils sont tellement contents que j’leur apporte dans les temps, en bon état et avec le sourire, qu’ils m’invitent à boire un coup, ce genre de choses. Enfin c’état vachement sympa… » Tout s'explique. Pour lui, le vélo était sans doute plus naturel que la marche, et à y regarder de plus près il gardait toujours une certaine avance sur les autres grâce à ça, évidemment, comme tout le monde, sans doute préférait-il se balader en tank, mais en attendant, une bicyclette, c'est plutôt sympa. On n’atteint pas les summums de la sexy attitude avec, c'est sur, mais quand même, c'est utile. Par contre, elle aurait bien voulu le rencontrer avant tout ça, parce que dans son quartier, les livreurs étaient tout sauf assez sympathique pour les invités à rentrer chez sois, d'ailleurs, elle pensa qu'au final, s’il rencontrait tant de clients si « gentils » c'était sans doute parce qu'il était pas mal et qu'en tant que cycliste, il devait avoir des fesses en béton armé, chose que toutes les femmes savent. Hormis ça, il n'y avait pas d'autre explication à la gentillesse de ses gens.

Bref, Eileen posa une question plutôt intelligente, pour une fois (a), mais Jenibelle décrocha un peu de la conversation. Parler du passé de Jamie lui fit penser au sien, à la famille qu'elle avait laissée en Irlande et qu'elle ne reverrait jamais. Elle savait qu'ils étaient en vie, ils vivaient en campagne, la plupart étaient militaires et avait l'esprit d'équipe, tout ce qu'il faut pour survivre. Ils étaient donc en vie. Elle avait besoin d'y croire, même si cela sous-entendait qu'elle ne pourrait jamais plus les prendre dans ses bras. « Et vous, vous faisiez quoi avant qu’le monde parte en couilles ? » Cette question parvint à la sortir de sa torpeur, elle offrit un sourit mélancolique à ses camarades avant de répondre spontanément. « Ho j'étais étudiante en ingénierie informatique entre autre et je travaillais en tant qu'hôtesse dans un restaurant gastronomique... Une geek qui aime bouffer quoi... » Ou comment perdre toutes ses chances avec un homme en dix leçons, par Jenibelle Hosha Busby-Brooks.

Par la suite, tout le monde mit son petit bordel dans le magnifique petit panier, summum de la virilité, de Jamie. Eileen et Jeni' échangèrent quelques petites banalités en cours de route, puis tout d'un coup, il se passa quelque chose d'assez … surprenante. Le blondinet proposa de s'en aller, ce qui était une bonne idée, et alors que tout le monde commençait à suivre... Il tomba raide sur le sol. Enfin raide, pas vraiment, puisqu'il semblait avoir des sortes de convulsions... « Oh mon dieu! » Ni une ni deux la jeune femme tomba à genoux devant ce pauvre Jamie, n'osant pas le toucher, ne sachant pas trop quoi faire sur le coup, trop surprise par cette attaque éclaire. « Je crois... je crois qu'il a une crise d'épilepsie... Il faut... faut lui ouvrir la gorge... » Heu... non? « ...Non non... le mettre sur le côté, oui oui, faut le mettre sur le côté! » Avec l'aide de Eileen l'irlandaise parvint à mettre Jamie sur le côté, malgré la bombe nucléaire qui explosait en boucle dans sa tête.

Cela faisait du bien à Eileen de discuter comme si de rien était, comme si la menace constante de se faire surprendre par les traqueurs n’était qu’une histoire que l’on racontait aux enfants pour leur faire peur. Comme elle aurait aimé revenir à cette période ou rien ne lui faisait plus peur que l’annonce des rôles pour le prochain ballet, ou lorsqu’elle s’inquiétait pour Roxanne lorsqu’elle devait travailler de nuit… Mais dans un autre sens, si rien de tout cela n’était arrivé, jamais la danseuse n’aurait rencontré Hunter. Beaucoup de mal pour un bien dirait-on…

Poliment, la brunette écouta la réponse du garçon. Cela devenait d’un seul coup beaucoup plus logique le fait qu’il se trimballe toujours avec un vélo. C’était comme elle, avant elle ne sortait jamais sans une paire de chausson de danse. Le petit groupe se rapprocha du vélo de Jamie et Eileen pu enfin se débarrasser de tout ce qu’elle avait dans les mains. Bon, en soit c’était pas grand-chose, mais ça restait tout de même gênant ! Pendant ce temps, Jeni répondait à la question du cycliste puis ce fut au tour d’Eileen de le renseigner sur sa vie passée.

« J’étais ballerine à l’Opéra de New-York. »

Autant dire qu’avec sa petite frimousse et sa voix douce, le fait de révéler son ancien métier rendait le rôle de survivante d’Eileen bien moins crédible. Mais évidemment, tout cela lui manquait. Le strass, les paillettes, les heures d’entrainements et l’adrénaline qui affluait lorsque l’orchestre entamait les premières notes. Cependant il ne fallait pas s’apitoyer, elle était en vie et c’était ça le plus important !

Elle discutait tranquillement avec sa cousine, échangeant des banalités sans grande importance. Mais c’était vraiment quelque chose que les deux jeunes femmes n’avaient pas fait depuis longtemps. Jamie, non loin d’elles, ne participait pas à la discussion mais cela ne semblait pas le déranger. Et puis soudain un bruit métallique fit sursauter la belle. Jamie était étendu sur le sol, convulsant. Comme souvent lorsqu’elle était apeurée ou stressée, la vulgarité était un fidèle compagnon de la jeune fille.

« Oh putain ! »

Alors que Jenibelle s’agenouillait auprès du garçon, Eileen restait interdite. S’il avait été victime d’une crise de tétanie, elle aurait su quoi faire… mais là ! Sa cousine marmonnait à côté de Jamie tandis que la brunette implorait toute les forces inimaginables sur cette Terre afin que le blondinet ne meure pas. Il y avait déjà eu bien trop de pertes ces derniers temps ! Et puis elle remarqua que Jeni essayait de tourner Jamie. Bonne idée, ça lui éviterai de s’étouffer ! Enfin si ses convulsions se calmaient… Tandis que son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, elle n’entendit pas qu’une nouvelle personne s’approchait. Elle sursauta lorsqu’il prit la parole, tandis que sa cousine répondait à sa première question.

« Non, je sais pas. Pas trop je crois. »

Oui Eileen, merci pour ta grande précision ! Le rouge lui monta légèrement au visage. Elle avait une sainte horreur d’être inutile ou incompétente. C’était une chose que la danse lui avait appris : toujours se dépasser.
L’inconnu prit les choses en main et finalement Jamie sembla revenir à lui.

« Tu penses pas qu’on devrait attendre un peu qu’il reprenne ses esprits ? C’est peut-être mauvais de vouloir le bouger ? ‘Fin je connais pas cette maladie, mais peut-être que Jamie pourra nous dire quoi faire ? T’as pas de l’eau ? »

La jeune fille parlait vite, et on pouvait sentir la peur poindre dans sa voix.

Est-il possible d’être plus fatigué qu’il l’est en cette seconde ? Jamie ne le pense pas. En même temps, il a bien du mal à penser tout court. Bien du mal à garder les yeux ouverts. Le décor a tourné pendant un long moment et maintenant c’est un peu mieux. Il voit toujours des genre d’insectes grisâtres voltiger partout dans son champ de vision ceci dit. Ca n’lui paraît pas normal, en même temps il serait bien incapable de débattre sur ce qu’est la normalité là tout de suite.
Jamie a vaguement conscience d’être allongé sur le côté. Son corps est sur quelque chose de dur et humide, froid aussi, mais sa tête est confortablement calée dans quelque chose de doux et chaud. Un vêtement appartenant à Jenibelle qu’elle a glissé sous son crâne pour éviter qu’il ne se fasse trop mal, mais ça il l’ignore et continuera de l’ignorer puisque ce moment est et restera flou pour lui.
Pour l’heure, il lutte contre le sommeil. En vérité, il voudrait y céder et sombrer pour de bon, mais chaque fois qu’il s’y essaye, il se sent secoué par quelqu’un. Et puis on lui parle. Il entend des voix qui lui semble d’abord venir de très loin puis se font plus net au fur et à mesure qu’il remonte à la surface. Ca reste tout de même très nébuleux pour le grand blond.

Après un temps indéfini, il parvient à ouvrir enfin les yeux plus de quelques secondes et son regard croise celui d’un homme. Il lui est familier mais il serait incapable de mettre un nom sur le visage qui va avec les yeux verts. De toute façon, il se fout du nom du type.
Son attention se porte rapidement sur la bouche du mec qui s’acharne à s’agiter et à laisser échapper des sons qu’apparemment, il est censé entraver.
« Hein ? »
Le premier mot qu’il parvient à prononcer. L’autre se répète mais ça reste vague. Alors Jamie décide de construire sa propre phrase, que ça réponde ou pas aux questions du gars.
« J'ai froid. »
Là-dessus, il referme ses paupières et savoure le contact chaud sous sa joue. Mais ça ne dure pas. On le secoue encore par l’épaule et il rouvre les yeux, sursautant légèrement. Le mec lui parle encore.  Cette fois Jamie comprend : on lui demande s’il va bien.
« J’suis fatigué… »
Et il essaye de se rendormir. Sauf que le mec – Julian, ça y est, il sait – n’est pas décidé à le laisser dormir. C’est hyper contrariant. Les lèvres de Jamie se tordent d’ailleurs en une moue chagrinée, comme s’il s’apprêtait à pleurer. Et puis son visage redevient impassible et il se contente d’observer le décor. Il voit une fille à côté du mec. Une brune. Il ne connaît pas son nom mais elle est jolie. Il s’apprête à le lui dire mais renonce face à l’effort qu’il sait que ça lui demanderait. Jamie se contente donc d’être étendu et de les fixer, jusqu’à ce que Julian se remette à lui parler.
Cette fois il lui demande s’il sait ce qui vient de se passer. Aucune idée mec. Pourquoi tu m’parles de toute façon ?
« Nan… »
La fille lui dit quelque chose, mais il ne comprend rien. Il a l’impression qu’elle n’articule pas. Sa voix a l’air étrange, distordue.
« Hein ? »
Elle se répète. Crise d’épilepsie.
« Ah… »
Bon, voilà, il sait. Bonne nuit. Jamie tente de se renfoncer dans le sommeil mais une fois encore, on vient l’emmerder. Il soupir et rouvre les yeux, essayant de se redresser pendant que les questions fusent encore. Jamie ne cherche pas à y répondre mais tente de se redresser un peu, en vain. Il arrive à peine à soulever le poids de sa propre tête. Tout son corps lui paraît engourdit, affreusement lourd.  Putain, c’qu’il est fatigué…

Il y a du mouvement. La fille se redresse et s’éloigne et il aperçoit une seconde nana, jusque là dissimulée par la première. Elle vient prendre place à ses côtés et lui parle. Pourquoi est-ce qu’ils veulent tous lui faré la conversation au juste ?
Elle veut apparemment savoir c’qu’ils doivent faire.
« Bah… J’sais pas » répondit-il le plus honnêtement du monde.
Il essaye ensuite de se redresser à nouveau, lassé par la vue qu’il a et de se sentir si ridiculement petit face aux trois géants qui lui font face. Encore une fois, il n’arrive à rien. Finalement, Julian vient à son secours et tente de l’aider à s’asseoir.  Pas évident. Jamie se laisse faire et s’appuie contre le garçon, le temps d’être capable de tenir seul.
« J’suis fatigué » trouve-t-il judicieux de les prévenir encore, d’une voix à peine audible tant elle est faible.
 

Qu'est-ce qui est pire que de périr durant une attaque d'alien? … Tic tac, tic tac. La réponse est : mourir d'une crise d'épilepsie APRÈS avoir échappé de justesse à une attaque d'aliens. Franchement, cette anecdote aurait eu largement sa place dans les meilleures VDM de l'année. Aujourd'hui, j'ai échappé à une attaque d'extra-terrestres, j'ai eu beaucoup de chance. Le lendemain, je suis mort d'une crise d'asthme. VDM. Oui, asthme, épilepsie, c'est pareil, ça fait chier et c'est dangereux, dans les deux cas la mort pouvait être au rendez-vous et pas de la plus belle façon qui soit. En tout cas, Jeni paniquait hautement à côté du corps convulsant de se pauvre Jamie, elle n'avait aucune envie de le voir mourir maintenant alors qu'ils avaient échappé à tant de choses, de plus, comment pourrait-elle ne pas se sentir responsable s’il venait à mourir alors qu'elle était à deux centimètres de lui? Surement pouvait-elle faire quelque chose? Mais quoi? Jamais elle n'avait rencontré d'épileptique, à part dans les séries médicales et c'est d'ailleurs grâce à cela qu'elle reconnue plus ou moins cette attaque fulgurante et qu'elle eut la bonne idée de le mettre sur le côté. Même si entre nous, le doute persistait dans son esprit. Était-ce vraiment les gestes pour sauver un épileptique ou ceux pour sauver un homme d'un AVC?..... Peu importe. C'était trop tard maintenant, Eileen l'avait aidé à retourner le jeune homme et là , alors que la panique s'emparait des deux cousines, Julian décida d'arriver comme une merde de cheval sur un terrain de foot! On a franchement pas idée de surprendre les gens comme ça en pleine apocalypse, l'une des deux aurait pu avoir une arme et lui tirer une balle dans la tête sans faire exprès, surprise par son arrivée. Inconscient, ce type était inconscient. Heureusement qu'il était mignon. Mais ne nous égarons pas.

Jenibelle lui répondit sans vraiment s'adresser à lui, à dire vrai, ce n'est qu'à sa seconde question que la jeune femme remarqua, ou en tout comprit vraiment, la présence du damoiseau. Avant cela, il était plus une ombre surprenante qu'une vraie personne, comme si son cerveau accumulait trop de choses d'un coup et qu'il n'avait enregistré que la moitié des informations sur Julian. C'est ensuite Eileen qui prit la parole , alors que Jeni', elle, restait silencieuse, une main sur l'épaule de Jamie, les yeux grands ouverts, complétement abasourdis par la scène dans laquelle elle était à la fois actrice et spectatrice. "faut qu'on le ramène au camp" alors qu'il fait une attaque? Mauvaise idée. Malheureusement, la belle n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, puisque son vis-à-vis souleva un point plutôt important : le blessé ne bougeait plus. Autant dire que là, tout de suite, le cœur de Jenibelle fit un arrêt sur image de quelques secondes, tétanisé par cette annonce monstrueuse. Cet homme ne pouvait pas mourir comme ça, elle était en train de lui parler quelques minutes auparavant, ils s'échangeaient des banalités, elle essayait même d'arranger les choses et de ne plus trop lui en vouloir pour la veille, alors non, non, c'était dignement impossible qu'il meurt comme ça, si vite, presque dans ses bras. Après son cœur, c'est son cerveau qui cessa de fonctionner. Elle ne bougeait plus, incapable de contrôler son corps, indéniablement choqué par cette potentielle vérité.

Julian se mit à mettre des gifles à ce pauvre Jamie, ce qui n'aida pas franchement la brunette à se détendre, au contraire, elle fut assez surprise par ce geste, même si le résultat fut au-delà de toutes ses espérances. Le bougre reprenait vie, toujours à moitié comateux, mais il ne ressemblait désormais plus à Frodon après avoir été piqué par l'araignée géante Shelob et Jeni' pouvait enfin respirer, laissant échapper un long soupire de soulagement. "On devrait profiter qu'il soit calme pour le ramener au camp, que quelqu'un l'examine, nan ? [...] Je peux essayer de le porter si il faut mais faut prendre ses affaires. Il y tiens j'crois." Sa cousine ne semblait pas tout à fait d'accord avec ça, la brunette, elle , ne savait pas trop quoi faire, les deux idées lui semblaient plutôt bonnes, chacune avait des arguments valables... « Je sais pas si on peut attendre très longtemps... On a qu'à le laisser reprendre ses esprits quelques minutes et après le ramener au camp... par contre, je suis pas sûre qu'on devrait lui donner à boire... Il pourrait peut-être s'étouffer ou un truc comme ça non? » Pas faux. Jeni s'apprêtait à préciser qu'elle préférait s'occuper du vélo que de porter Jamie, notamment à cause de son genou, mais le malade reprit ses esprits, plus ou moins, parvenant à articuler quelques mots, ou plutôt quelques onomatopées, mais, peu importe , au moins, il vivait. Elle se mit à essayer de « rembourrer » le vêtement qu'elle lui avait glissé sous la nuque, pour le rendre plus confortable, tout en laissant Julian lancer quelques phrases à Jamie, le pauvre ne parvint pas vraiment à obtenir de réponse très claire, l'ancien livreur ne semblait même pas savoir ce qui venait de se passer. « T'as fait une crise d'épilepsie Jamie... » Il ne comprend pas. « UNE CRISE D’ÉPILEPSIE! » Affirme-t-elle en articulant beaucoup trop comme s’il n'avait que deux ans et qu'il était sourd. Cependant, il semblait avoir compris, c'est le principal.

Jeni' ne pouvait s'empêcher de sourire, à dire vrai elle aurait même embrassé n'importe qui tellement elle était heureuse de le voir en vie. Une mort de plus, si brusque, dans un moment si dramatique, ça l'aurait traumatisé à vie et plus encore. « Je vais m'occuper de son vélo! » Dit-elle en se levant et en sous-entendant, vous, essayez de décider ce qu'on doit faire maintenant.

Eileen était restée un peu en arrière durant toute la durée des convulsions de Jamie. Jenibelle et le garçon du tunnel avaient pris les choses en main et elle aurait été plus une gêne qu’autre chose. Cependant elle restait prête à intervenir si jamais les choses s’aggravaient et que l’un des deux lui demandait d’intervenir. Mais finalement Jamie repris ses esprits. Avec un soupir de soulagement la danseuse se détendit un peu. Il restait tout de même encore à retourner au camp…

Jenibelle se chargea du vélo tandis que le mignon, Eileen décida de le nommer ainsi vu qu’elle ne connaissait pas son nom, portait Jamie. Ca n’allait pas être une mince affaire de rentrer dans l’état actuel des troupes : une blessée, un garçon encore dans les vapes, un autre le portant et une dernière ayant la force d’un écureuil. Si un traqueur passait dans le coin, la belle aurait mit sa main à couper qu’il se serait étouffé de rire. Et pourtant, c’était eux les survivants ! Dans un sens c’était quand même plutôt rassurant. Ca voulait dire que malgré tout, chacun avait sa chance dans ce merdier…

Eileen s’apprêtait à emboiter le pas à la petite troupe lorsqu’elle remarqua l’arme du blondinet sur le sol. Il l’avait certainement lâché en s’écroulant et on ne pouvait décemment pas abandonner ce genre de chose au milieu de nul part. La belle se baissa donc pour attraper l’arme. Bien qu’elle fût vide, elle n’en était pas moins utile. Déjà ne serait-ce que pour intimider l’adversaire… Le bluff était quelque chose à tenter dans tous les cas… Et même, un coup de crosse dans le nez ou de canon entre les côtes permettrait à la fine équipe de s’enfuir. De toute manière, que pouvait-il arriver de pire après la terrible nuit du métro ? Même si Jamie avait fait une crise, il semblait aller bien. C’était un signe !

La belle leva la tête vers le ciel. Ou était Hunter en ce moment même ? Allait-il bien ? Ne ferait-elle pas mieux de l’oublier ? Après tout, il était parti sans rien dire… Il pensait qu’elle serait en sécurité ici c’était un fait, mais pourquoi l’avait-il laissé ? Eileen se mordit l’intérieur de la joue et reprit rapidement ses esprits. Elle était à hauteur du mignon, et ne pouvant se permettre de l’appeler comme ça plus longtemps elle lui adressa la parole.

« Je pense que tu connais déjà Jenibelle et Jamie, mais on a jamais eu l’occasion de se présenter, je m’appelle Eileen. Si jamais tu as besoin d’aide pour le porter dis-moi, j’essayerai de t’aider. »

La brunette regarda Jamie en lui adressant un petit sourire. Il avait reprit des couleurs et semblait tout de même aller mieux malgré son petit… accident. Quant a Jeni, elle avançait en tenant le vélo, l’air plutôt sur d’elle. En regardant autour d’elle, Eileen se rendit compte à quel point chaque recoin se ressemblait…

« Jeni, tu es sur de la direction à prendre ? »

 Bon, ok, ça sert à rien d’essayer de se relever. Il s’en rend rapidement compte. Il a déjà du mal à tenir sur ses fesses, mais ça valait quand même le coup d’essayer. Ne serait-ce que parce qu’il a vaguement conscience qu’il y a deux nanas dans les environs et qu’il a toujours été du genre à vouloir impressionner le sexe faible. En l’occurrence, le faible sexe de cette scène-ci : c’est lui. Et c’est ce qui le fait certainement le plus chier dans toute cette histoire.
Il déteste l’état dans lequel il se trouve actuellement. Jamie se sent stupide, honteux, et s’il se savait assez doué pour survivre seul, le coursier prendrait probablement la fuite après ça. Sauf qu’il n’a pas les épaules pour affronter l’apocalypse sans escorte…
Quand il croise le regard de Julian qui veut l’aider, il sent les larmes lui monter aux yeux et son estomac se tordre. Il peine à garder la maitrise de lui-même et à empêcher les vannes de s’ouvrir, mais c’est tout juste. Il est épuisé et ça lui demande un effort considérable de concentration et de volonté. C’est affreusement gênant putain.
« J’suis désolé » coasse-t-il juste avant que Julian ne le hisse sur son dos.

Du coup Jamie s’accroche effectivement comme il peut et se laisse conduire, incapable de faire autrement de toute manière. Il déteste être un poids mort. Il déteste avoir à se faire trimballer de cette manière par de parfaits inconnus qui, au mieux, le trouve pitoyable, au pire, ont pitié de lui à cet instant.
Et puis il perd peu à peu le fils de ses pensées et, bercé par les mouvements de son porteur, commence à somnoler. La position ne lui facilite pas franchement la tâche, mais il est trop HS pour vraiment s’en formaliser.

Du coup, il ne voit pas franchement le décor défiler et, quand il arrive à reprendre un peu pied à la réalité, Julian est en train de le déposer avec l’aide d’une des filles contre un arbre. Il entend leur voix mais ne cherche pas à comprendre ce qu’ils disent. Il les voit s’agiter encore un peu et préfère fermer de nouveau les yeux et se laisser gagner à nouveau par la torpeur.

Quand il les rouvre, deux bonnes minutes plus tard, il a l’air bien plus alerte. En réalité, il est simplement paniqué.
« Mon vélo ? J’ai oublié mon vélo ! »
Mais Jenibelle le rassure très vite sur ce sujet et lui montre son engin du doigt. Le coursier pousse un franc soupir de soulagement et tente de se redresser pour aller sentir son contact froid mais rassurant. Il n’y arrive pas franchement et la jeune femme lui conseille de rester encore un peu couché. Elle lui parle de Julian qui est allé chercher une certaine Fantine. C’est un prénom chelou.
« C’un prénom chelou » marmonne-t-il avant de rejetter à nouveau son crâne blondin contre le tronc où on l’a calé.  

Et puis il perd encore le fil. Il est encore sollicité un moment indéfini plus tard, par une petite asiatique qu’il a croisée il y a peu de temps. Ah oui, cette Fantine là… Elle lui braque une lumière dans les yeux, elle le tripote un peu, elle lui demande comment il se sent et il répond bravement à chacune de ses questions.
Apparemment il s’est cogné la tête et il s’est blessé à la langue. Ouais, ça lui arrive tous les trente-six du mois, c’est pas bien grave.
Il l’entend demander à Julian de l’aider à rejoindre le camion de tête et Jamie recommence à s’inquiéter.
« J’peux pas, j’ai mon vélo… »
Et on le rassure encore une fois avec ça. Du coup il est bien obligé de faire confiance et de se laisser faire. Mais ça l’emmerde franchement. Il arrive au moins à récupérer son sac à dos auquel il se cramponne comme si sa vie en dépendait. Il se prépare à obéir aux ordres quand Julian réclame un moment d’intimité avec lui.

Jamie fronce les sourcils, ne comprenant pas trop ce qu’il lui veut, mais dès qu’ils sont seuls, l’autre le renseigne et Jamie pense de nouveau qu’il va se mettre à chialer de honte et de frustration. Il faut qu’il se change. Il s’est pissé dessus…
« J’vais m’débrouiller. Laisse-moi juste deux minutes pour… »
Sauf qu’ils n’ont pas deux minutes. Leur temps est compté depuis l’attaque et il le sait. Encore que, tout ça lui avait un peu échappé ces dernières minutes.  

Une fois changé, un peu plus éveillé que précédemment, il parvient à se hisser sur ses jambes, soutenu par Julian. Ils avancent lentement vers le camion et Jamie se hisse à l’arrière, avec quelques autres personnes. Deux vieillards, deux blessés incapables de tenir sur leurs guiboles et un gosse en bas âge dans les bras d’sa mère. Les putains d’invalides. Et il fait partie de leur joyeuse bande à présent…

Jamie prend place avec l’aide de Julian qui finit par l’abandonner là en promettant de veiller sur Betsy. Jamie échange alors quelques mots avec ses voisins d’infortunes (surtout pour leur expliquer la raison de sa présence dans le carré VIP des nazes), et puis, se servant de son sac comme oreiller, il s’étend dans le coin où son pote l’a installé et s’endort en moins de trois minutes.