« Papaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa!!!!!!!!!! » C'est avec tout le souffle dont elle disposait que Jenibelle hurla ce petit mot si important pour elle. Assise sur sa valise, tentant sans aucun doute de la fermer malgré un surplus d'affaires évident, la belle cria de nouveau lorsqu'elle se rendit compte que personne ne montait dans sa chambre. Elle avait besoin d'aide, une aide psychologique certes, mais à cet instant précis c'était surtout de bras musclé dont elle avait besoin... Et justement, une double paire de bras fit son apparition soudainement, pas ceux de son père, mais tant pis, ça irait pour l'instant. « Aidez moi à fermé ma valise les chnuks. » Les chnuks. Traduisez « les petits frères » dans une langue que seule la fratrie Busby-Brooks connaissait. Vous savez, c'est bien connu, les jumeaux ont tendances à créer leur propre dialecte pour pouvoir communiquer entre eux sans que personne ne sache vraiment de quoi ils causent, et bien c'était pareil avec toutes la fratrie de Jenny. De un parce que ladite fratrie n'était constituée que de jumeaux ou triplés (faux ou vrais) et de deux parce que c'était cool de pouvoir parler une langue inconnue devant ses potes. Bref, les deux petits frères se mirent donc à aider leur grande sœur, sautant de toute leur maigre force sur la grosse valise pendant que la jeune femme tentait désespérément de la fermer et après presque vingt minutes d'efforts elle y parvint enfin, tombant sur son lit, exténuée. « Personnes nous parlent de cet aspect d'un déménagement dans la brochure des universités américaines... » Et oui, aujourd'hui, Jeni' allait quitter son Irlande natale pour le pays de tous les rêves, pour les États-Unis. Elle venait d'être acceptée dans une prestigieuse université et le moment du départ était à présent arrivé, ce qui ne plaisait pas vraiment à tout le monde dans la famille. La jumelle de Jeni' par exemple, elle n'appréciait pas de savoir sa sœur si loin, surtout qu'elle la connaissait mieux que personnes, elle savait à quel point elle était totalement et indéniablement maladroite, insociable et incapable de se débrouiller seule. Mettre cette femme dans un pays étranger c'était comme laissé un bébé seul dans une voiture en plein soleil, en mille fois pires. Elle était persuadée que son ainée allait simplement se faire kidnapper, torturer et livrer en morceau le jour même de son atterrissage sur le sol américain. Pessimiste? Peut-être. Jalouse? Indubitablement.

Enfin, malgré ses protestions, Jenibelle, pour une fois, avait décidé de suivre son propre destin, sans tenir compte de l'avis de sa famille, car la majorité de ses frères n'étaient pas non plus très contents de se départ improvisé... Sans parler de son père, qui n'arrêtait pas de pleurer depuis trois semaines... La famille Busby-Brooks étaient nombreuse, mais aussi très soudée, jamais aucun d'entre eux n'avait vraiment quitté le nid familial, évidemment, certains étaient mariés et avaient même des enfants, toutefois, ils vivaient non loin, dans des maisons pratiquement collées à la demeure du patriarche. En somme, ils étaient une sorte de mafia bisounoursienne incapable de vivre les uns sans les autres et se faisant des bisous à longueur de journée. Alors oui, voir la plus frêle du clan s'envoler pour la ville de tous les dangers, ce n'était pas évident .

« Surtout, ne parle pas aux inconnus! Et si tu croises quelqu'un avec une capuche, change de trottoir... Évite de manger dans des restaurants louches, j'ai vu une émission là-dessus, c'était horrible... N'oublie pas tes cachets... et » La liste des cent vingt commandements à suivre de Monsieur Busby-Brooks continua encore longtemps. Tout en l'écoutant d'une oreille, Jenibelle eut le temps de faire enregistrer ses bagages, de jouer au poker avec quelques un de ses frères, de tomber amoureuse d'un type qu'elle ne recroiserait sans doute jamais et d'arriver jusqu'au quai d'embarquement.... Toute la famille était là, réuni, attirant les regards de tout les passants, il faut dire que voir des dizaines de jumeaux dans la même pièce, ça fait toujours un choc, mais que voulez vous, dans la famille, les solitaires sont rares et les jumeaux banals, c'est ainsi. La cérémonie des adieux commença, d'abord ses petits frères, les yeux embrumés, puis les plus grands, lui glissant toujours quelques avertissements à l'oreille tout en la câlinant, son père bien sûr, qui était en larmes, presque sur le point de s'écrouler de chagrin et enfin sa propre jumelle, qui semblait, comme toujours, assez en colère. « Je continue à dire que c'est une fucking mauvaise idée... » « Oui, je t'appellerais tous les jours... Enfin, jusqu'à que je trouve une meilleure amie moins chiante que toi... » Sur ses mots chacune se donna un coup à l'épaule, un rituel qui allait surement lui manquer, mais elle ne regrettait pas de partir... en tout cas, pas jusqu'au moment où elle arriva enfin à New York.

Eh oui, en guise de bienvenu en ville, la pauvrette se fit voler ses bagages, se retrouva en prison pour avoir insulté un agent avant de finalement finir sa journée dans une chambre d'étudiant miteuse avec pour colocataire une espèce de gothique droguée homosexuelle.... Haaaa New York, New York...


 
« Seigneur, merci...  MERCI. » Ses quelques mots s’étaient échappé d'entre les lèvres de la jeune femme alors qu'elle espionnait l'un de ses voisins, jumelles puissance dix fixées sur le bout de son petit nez. Oui, c'était un peu sa nouvelle passion depuis qu'elle vivait en colocation avec sa meilleure amie. À la fac, elle n'avait pas vraiment de vis-à-vis intéressant, hormis avec un geek de cent-vingt kilos, mais dans cet appartement, tout était différent. La taille déjà, mais surtout les voisins. Celui d'en face particulièrement. Il était jeune, sexy et en colocation avec un autre type jeune et sexy, en somme , le tiercé gagnant dans l'ordre pour cette petite voyeuse des temps modernes. Elle profitait des bains sans fin de Juliet pour s'adonner à ce petit jeu de pervers, laissant sa console en marche pour faire croire qu'elle jouait à un quelconque jeu. Cela dit, elle y avait peu de chance pour que son amie n'ait pas remarqué son petit manège, mais mieux valait faire comme si c'était le cas, histoire de pouvoir observer ce voisin sexy sortir de la douche tranquillement. Comme elle l'avait dit , merci seigneur de lui offrir un tel spectacle. Ses types étaient sans doute des sportifs ou un truc dans le genre, en tout cas, ils ne se laissaient clairement pas aller, c'est la pensée qu'elle eut en se mordillant la lèvre inférieure, continuant de braquer son objectif sur la fenêtre de la salle de bain... Toutefois sans vraiment savoir pourquoi, la jeune femme se mit à dériver, comme attiré par une autre pièce de leur appartement et là, face à la baie vitrée, les bras croisés et un sourire amusé sur le visage , se trouvait l'un des dits colocataires. Évidemment, Jeni' sauta au sol, laissant échapper une sorte de petits cris étouffés... Elle décida tout de même de se relever, histoire de vérifier ce qu'elle n'ait pas rêvé et manque de chance, face à elle, se trouvaient toujours le jeune homme, il lui fit même un signe, un rictus sur le visage et là, sans même s'en rendre compte, la brunette en fit de même... gigotant sa main, lentement, comme si cette dernière n'était pas la sienne, d'ailleurs elle se mit à la regarder en grimaçant, se demandant presque « mais comment bouge-t-elle toute seule? » avant d'utiliser son autre main pour la baisser , fermant l'air de rien les volets, honteuse.

Évidemment, Juliet décida de sortir de son bain à cet instant précis. Jenibelle glissa ses jumelles sous un meuble avant de se jeter sur le canapé , attrapant maladroitement la manette de sa PS3 pour reprendre sa partie en cours, essoufflée.  « Beeelle ? Est-ce que tu travailles ce soir? […] Tu voudrais regarder Carry ou The Exorcist avec moi ? » Jeni' hocha la tête en souriant, elle ne voulait pas montrer qu'elle était essoufflée, alors elle fermait la bouche pour faire comme si tout allait bien... Ne se rendant pas compte qu'elle était en train d'accepter une soirée d'horreur alors qu'elle était incapable de regarder un bouton saigné sans s'évanouir. « On pourrait regarder The Craft ou The Rocky Horror Picture Show si tu préfères, c'est pas effrayant. » Ouais, pas effrayant. Elle savait bien que la définition de « pas effrayant » n'était pas la même pour sa meilleure amie que pour elle, toutefois, elle faisait comme si elle ne craignait pas les films d'horreur, pour lui faire plaisir. « T'en penses quoi ? » Elle en pense quoi? Elle pense qu'elle a envie de sauter par la fenêtre et d'être rattrapé par le beau gosse d'en face pour une nuit torride, mais pour l'instant, respirer lui semblait être tout de même LA priorité. « Ouiiii... » laissa-t-elle échappée dans un long souffle libérateur. « Ce serait cool... » 'Belle souriait, mais au fond, elle aurait préféré proposer une soirée Bambi qu'une « rocky horror picture night » , cela dit, c'était ça sa vie aujourd'hui. Passer ses soirées à espionner ses voisins et à se cacher derrière un oreiller en regardant un film d'horreur avec sa meilleure amie, une meilleure amie qui avait bousculé beaucoup de choses... Sans elle, Jenibelle ne serait sans doute pas resté à New York, elle serait repartie vivre chez elle, à Dublin, revoir ses frères avec qui elle se serait sentie surement mieux que seule dans cette grande ville. Tout du moins, c'était ainsi au début... Puis elle avait rencontré Juliet et depuis c'était la vie dont elle avait tant rêvé, entre ses études, son job, sa meilleure amie et bien sûr son appart' donnant droit sur celui de sexy sportifs... Si elle avait à nouveau le choix, elle ne changerait sans doute rien, surtout pour les sportifs en fait.


 
« Mes roues sont bloquées... » Dit-elle en montrant d'un coup d'œil les roues de sa chaise roulante à une espèce de mécanicien de fortune, le type qui, de toute évidence, est capable de tout réparer. Elle pensait que ça n'arrivait que dans les films , que dans la réalité, quand la merde pointait le bout de son nez, personne ne se soutenait, que c'était chacun pour soi et qu'évidemment, on ne trouvait jamais la personne qu'il fallait quand il le fallait. Puis elle était arrivée à la Cohorte et sa vision des choses avait assez changé. Finalement, des crétins pour protéger nos miches on en trouve davantage qu'elle ne l'imaginait. « Ok, lève toi je vais jeter un coup d'œil... » Étrangement, Jenibelle ne se leva pas, restant statique tout en regardant son « mécano », comme si elle cherchait la réponse à une question qu'il venait de lui poser, alors qu'il ne lui demandait que de se bouger le cul et c'était surement ça le problème. « En fait... Tu sais je peux pas trop marcher et... » « Laisse tomber Jeni' , tout le monde sait que tu peux tenir debout et que t'a pas besoin de passer toute ta vie là-dessus... » C'était pas faux. Elle n'était pas réellement obligée de se promener sans arrêt en fauteuil roulant, cela étant, ses genoux étaient en piteux état depuis son accident survenu, manque de chance, quelques mois avant tout se bordel. Résultat, elle s'était fait opérer et elle avait interdiction de faire trop d'effort. Rester debout une heure, pourquoi pas, faire une randonner, pas question. En clair, elle devait encore se faire suivre de près par le médecin de la cohorte, qu'elle le veuille ou non, elle restait fragile et je crois que ça l'arrangeait bien d'avoir cette excuse lorsque la situation devenait trop dangereuse. Combien de fois elle avait fait semblant d'avoir mal pour ne pas accompagner un groupe d'éclaireur récupérer des objets dont elle seule pouvait reconnaître l'intérêt? Combien de fois elle avait fait semblant de tomber juste pour avoir du rab? Elle avait cessé de compter après la trentième fois, cela étant, la belle savait que ça risquait un jour ou l'autre de lui porter préjudice et que le jour J , le jour où elle souffrirait vraiment, plus personnes en seraient là pour la secourir.

C'est surement pour cette raison qu'elle décida de se lever en grimaçant, laissant le vieil homme faire son œuvre. En attendant, il ne lui restait qu'une chose à faire ; surveiller le garde-manger. Donc, par définition, le piller. C'était mal, elle le savait bien, mais Juliet n'était malheureusement pas dans le coin, alors soit elle dévorait quelques paquets de chips en vrac soit elle s'amusait à trafiquer la station radio du camp et la dernière fois, elle s'était pris une sacrée branlé après l'avoir fait. Donc de deux maux elle avait choisi le moindre. Elle se mit donc à grignoter discrètement, tout en espionnant deux trois discussions ici là . Il y avait pas mal de nouveaux venus cette semaine, ils se croyaient donc tous obliger de raconter leurs petites aventures, expliquant comment ils avaient réussit à survivre seul à tout se merdier, essayant de se persuader qu'en plus de la chance ils avaient un talent exceptionnel et particulier. Jenibelle, elle, n'était pas si naïve. Elle savait bien qu'elle n'avait survécu que par la chance, car sans ça , elle serait morte depuis longtemps, tout comme sa meilleure amie. Ça avait été une suite de rencontres, de sauvetages improvisés et de fucking lucky journées. C'est tout ce qui l'avait sauvé... Et même si elle en était consciente, Jenibelle ne semblait pas vraiment faire grand-chose pour s'améliorer. Elle n'essayait pas d'être plus courageuse, plus responsable ou simplement plus forte, non non, elle continuait ses conneries, persuadée qu'à présent, Juliet et elle, étaient en sécurité et que plus rien ne pouvait leur arriver. Elle voulait y croire, elle DEVAIT y croire. Il y avait tellement de choses qui la détruisaient de l'intérieur qu'elle n'avait pas le droit de rajouter son insécurité à tout ça, au risque de perdre rapidement pied. Sa famille tout d'abord. Notre aventurière du dimanche se persuadait que les siens avaient survécu, que ceux qui étaient restés en Irlande étaient encore vivants et c'était possible. Beaucoup de ses frères sont ou ont été des militaires, ils ne vivaient pas dans une grande ville, mais dans les campagnes environnantes de Dublin... Tout laissait à croire qu'ils avaient eu et saisit l'opportunité de survivre. Toutefois, il y avait ses deux frères, les jumeaux qui avaient décidé de venir la rejoindre à New York. Ils faisaient partie de la NAVY , alors quand tout ça a commencé, ils ont demandés aux filles de s'en aller, de se mettre en sécurité et ses idiots sont aller aider des inconnus, parce que c'est leur métier. Elle leur en veut d'avoir été courageux, si inconscient, surtout maintenant qu'elle n'espère plus vraiment les voir en vie.

Jeni' préféra enlever cette image de sa tête, elle n'avait aucune envie de passer ses journées à y penser, ses nuits à en cauchemarder, non, elle voulait juste essayer de survivre et d'oublier. Était-ce pour ça qu'elle se montrait si peu utile? Surement, il s'agissait sans doute d'un moyen pour elle de se protéger, de se punir, en tout cas, elle était vivante, elle était là et plus les jours passaient, plus elle se demandait pour combien de temps encore.