juin 2008
« 엄마 (mamaaaaaaan) ! » Pas de réponse, aucune. Le silence au deuxième étage de la maison. Mi Sun fronça les sourcils, quelque peu énervée. Elle tenta à nouveau d’appeler sa mère. « MAAAAAAAMAAAAAAAAAAAAAAN ! J’AI BESOIN D’AAAAAAAAAAAIDE! » Elle avait crié ces mots en espérant que sa mère accourrait, parce que, sérieusement, elle avait vraiment besoin d’aide. C’était une urgence. Une urgence qui ne sembla pas en être une quand sa mère débarqua en trombe dans sa chambre, inquiète avant de découvrir pourquoi elle avait été quémandée. Mi Sun lui offrit un sourire qui aurait pu ressembler à ça : ce qui fit soupirer sa chère maman. « J’arrive pas à fermer mes valises. » Oui, c’était ça, l’urgence. C’en était toute une, d’ailleurs. Dans ses bagages, elle avait prit soin d’y mettre des dizaines de babioles qui auraient été inutiles aux yeux des autres, mais qui, pour elle, étaient cruciales si elle voulait survivre. Mangas, DVD, affiches de ses groupes coréens et japonais préférés, quelques vêtements, des livres pour perfectionner au maximum son anglais, des peluches, etc. Sans oublier les albums et les livres de son grand frère, cachés dans une taie d'oreiller, pour que ses parents ne se rendent compte de rien. Son petit secret rien qu'à elle. « Ma fille, si tu voyageais plus léger, tu n'aurais pas ce problème ! » Elle avait raison, sa mère lui avait toujours été de bon conseil, mais Mi Sun fit comme à l'habitude, ignorant la remarque et s'assoyant sur une des deux grosses valises qui étaient posées sur le sol, essayant de fermer le tout rien qu'avec l'aide de son poids plume. Elle n'y arrivait pas, comment aurait-elle pu? C'est sa mère qui vint finalement fermer l'énorme valise avant de passer à l'autre encore ouverte. Et c'est là qu'elle trouva le butin secret. La jeune fille l'observa faire, se mordant la lèvre, soudainement honteuse, alors que celle qui lui avait donnée la vie sortait un a un les livres usés par le temps ainsi que les albums de musique de la taie d'oreiller. « Qu'est-ce que je t'ai dis, à propos de la chambre et des choses de Sung Kyu... » Le ton de sa voix était dur, plein de reproche. Ses mains tremblaient. Mi Sun se sentit soudainement mal, le remord la gagnant. Elle n'aurait pas dû faire cela, elle le savait pertinemment. Pourtant, elle l'avait fait, parce qu'elle avait ressentit le besoin d'avoir une partie de son grand frère avec elle. Une photo de lui dans son porte-monnaie ne suffisait pas. Ça n'avait jamais suffit. Alors, elle s'excusa auprès de sa mère et cette dernière sortit en trombe de sa chambre, les objets en main. Elle savait que toutes les choses retourneraient dans la chambre de Sung Kyu, comme toujours.

Et si, à l'habitude, elle aurait obéit à sa mère, cette fois-ci, lorsqu'elle fut sûre qu'elle était seule à l'étage, elle pénétra dans le repère sacré de son grand frère et reprit les choses qu'elle avait prit soin de choisir, quelques heures plus tôt, pour emporter avec elle. Son seul allié, son modèle, c'était lui. Il était normal pour elle de partir avec des choses lui appartenant, puisqu'elle partait si loin. New York, c'était loin, non? Loin de Séoul, loin de sa maison. Lorsqu'elle entendit des pas dans l'escalier, elle se précipita vers sa valise, enfouie la taie d'oreiller dans celle-ci et réussit à la fermer en un temps record. Quelque part, seul son frère avait été témoin de ce petit délit. Mi Sun offrit un sourire à son père quand il ouvrit la porte de la chambre, l'avertissant qu'ils partaient dans quelques minutes. Il était étrange de se dire que dans environs quatorze heures, elle serait dans un autre pays, dans un endroit qu'elle ne connaîtrait pas, seule. Son frère lui avait déjà dit qu'il aurait aimé voir New York, lui aussi, lorsqu'elle avait reçu sa lettre lui confirmant qu'elle avait été reçue à l'Université là-bas. Peut-être que d'où il était, il pouvait voir cette ville qui ne dort jamais. Peut-être...

octobre 2010
Assise dans la baignoire, les jambes contre elle, la tête posée sur ses genoux, Juliet fixait le mur rose saumon devant elle. Ce même mur, qui n'avait pas changé et qui ne changerait probablement jamais. Pas comme elle. Depuis qu'elle était à New York, il semblait que sa vie avait changée. Pour le mieux. Cela faisait, quoi, deux ans, maintenant? Deux ans qu'elle était loin de ses parents, de son pays d'origine. Deux ans qu'elle se faisait appeler Juliet. Elle l'avait fait ajouter à son nom, juste après son vrai prénom, qu'elle n'entendait plus que lorsqu'elle le disait elle-même à voix haute. Comme si l'ancienne elle, sans amis, sans vie sociale, avait été abandonnée au même moment que son vrai prénom. C'était peut-être ça, la formule magique: changer de prénom et la vie devenait soudainement plus facile. Traverser des océans pour s'installer dans une ville qu'elle n'avait jamais visité, sauf avec Google Maps – mais ça, ça ne compte pas –. Elle se sentait bien ici, comme si c'était sa ville natale. Elle aurait pu se diriger dans les rues les yeux bandés, elle les connaissait tous! Et c'était ici qu'elle avait fait la rencontre d'une petite blondinette qui était rapidement devenue sa meilleure amie, la seule qu'elle aie jamais vraiment eu. Jenibelle, qu'elle s'appelait. Elle était belle, Juliet aurait adoré lui ressembler, sauf qu'on a pas tout ce que l'on veut dans la vie et elle se comptait donc chanceuse d'avoir une aussi jolie amie. Sung Kyu aurait été fier d'elle, vraiment. Son coeur se serra dans sa poitrine au simple souvenir de son grand frère. Un des seuls amis qu'elle avait, en Corée du Sud. Qu'elle avait eu, se permit-elle de corriger l'erreur de conjugaison. Quatre ans, déjà, que c'était arrivé. Quatre ans qu'il s'était enlevé la vie, un soir où tout le monde était sorti. Et l'ombre des remords qui pointaient le but de leur nez. Si elle n'avait pas décidé d'aller à ce faux rendez-vous qu'un garçon lui avait donné, pour se moquer d'elle, sans doute, elle ne serait jamais rentrée aussi tard. Elle aurait pu l'empêcher de commettre un geste comme cela. Trop tard. Lorsqu'elle était entrée et qu'elle avait trouvé son grand frère, étendu au sol, les poignets entaillés jusqu'au sang, la bouteille d'anti-douleurs trônant vide, près de lui, elle avait hurlé, hurlé et hurlé. Elle n'avait même pas prit la peine d'arrêter l'eau qui coulait du robinet du bain et qui débordait de celui-ci. Elle était mouillée, le bas des manches de sa chemise blanche d'uniforme tâchée du sang encore chaud qui coulait doucement des poignets de Sung Kyu. Ses parents n'arrivant que quelques secondes après qu'elle aie appelé l'ambulance. Et plus rien. Plus de grand frère, plus de meilleur ami, un néant qui avait engloutit la famille. Les années avaient passées, depuis. La famille Hwang s'en était sortit, non sans peine, mais avec bravoure. Pourtant, il restait toujours cette impression de vide dans la poitrine de Juliet lorsqu'elle pensait à son défunt frère. C'était encore un sujet délicat pour elle, comme si les cicatrices qu'avaient laissé cet évènement n'avaient jamais vraiment cicatrisées.

Frissonnant, la jeune coréenne de vingt ans s'étira pour enlever lentement le bouchon du bain avant de se lever et de poser ses pieds sur le petit tapis posé au sol. Elle prit sa serviette rouge, s'essuya et l'enroua ensuite autour d'elle. Détachant ses cheveux, elle ramassa la boule de vêtements au sol et elle ouvrit la porte, éteignant la lumière de la pièce par la même occasion. Du salon lui provenait le son du jeu auquel Jenibelle jouait et Juliet se dirigea vers le bruit. Un sourire aux lèvres, elle demanda: « Beeelle ? Est-ce que tu travailles ce soir? » Ne laissant pas le temps à la blonde de répondre, elle reprit la parole. « Tu voudrais regarder Carry ou The Exorcist avec moi ? » Tirant un peu sur la serviette qui ne la couvrait pas comme elle l'aurait voulu – et ce n'était pas qu'elle était gênée devant son amie, loin de là, c'était plutôt qu'elle n'était pas à l'aise avec son propre corps –, elle attendit une réponse. « On pourrait regarder The Craft ou The Rocky Horror Picture Show si tu préfères, c'est pas effrayant. » Des classiques qu'elle aimait bien regarder, encore et encore. « T'en penses quoi ? » Son regard rivé sur elle était plein d'espoir et c'est une réponse positive que Jenibelle lui donna. Sautillant de joie, la coréenne se dirigea rapidement vers sa chambre, joyeuse, comme si c'était la première fois de sa vie qu'elle regardait des films avec une amie alors qu'elles faisaient ça religieusement. S'il y avait une vie qu'elle voulait vivre pour toujours, c'était celle-ci. Avec Sung Kyu en plus, cela aurait été parfait. Mais, peut-être que si son frère ne s'était pas enlevé la vie, elle n'aurait jamais vécu ces expériences, peut-être qu'elle n'aurait jamais rencontré sa meilleure amie. Tant de questions sans réponses pour la vie toujours en mouvement de ces sept milliards d'humains sur la Terre.

décembre 2012
« Juliet, toute une surprise de te voir ici ce matin ! » Le ton sarcastique mais amusant que l'homme prit quand elle apparut la fit sourire. « Qu'est-ce qui t'es encore arrivé ? » Sans prendre la parole, elle leva les mains dans les airs, dévoilant ses petites blessures, rien de bien grave, la routine, pour Juliet comme pour le médecin. Quelques petites égratignures, de petites pierres coincées dans les plaies, il n'y avait qu'à désinfecter, enlever les résidus indésirables et panser le tout. L'homme lui fit signe de venir s'asseoir près de lui et elle obéit. Il lui demanda ensuite comment elle s'était fait mal. Elle haussa les épaules et entreprit de raconter sa folle histoire. « Je m'ennuyais, Jenibelle n'était pas là alors, comme d'habitude, j'ai prit la robe blanche que j'avais trouvé et je l'ai enfilé avant de sortir de la tente et de partir marcher dans les souterrains. J'ai voulu faire peur à quelqu'un, mais au dernier moment, j'ai pilé sur le bas de ma robe et je suis tombée. Voilà ! » Son sourire enfantin et joyeux contrastait avec celui que le médecin lui offrait en retour. Il devait avoir travaillé beaucoup d'heures de suite sans dormir. Lui tendant les mains, paumes vers le ciel, Juliet attendit patiemment qu'il se mette à la tâche et qu'il lui pose ces pansements, qu'elle puisse repartir vaguer à ses occupations habituelles, ce qui, en gros, voulait dire faire peur aux gens, lire des mangas et des romans et... ne rien faire. Parce qu'elle n'avait jamais rien fait dans la cohorte, trop bonne à rien pour aider quelqu'un, à vrai dire. Elle avait toujours su que la vie était pleine d'imprévus, mais jamais elle n'aurait pu croire qu'un jour, la Terre aurait été envahie par ces aliens. Et si on lui avait demandé un jour si elle croyait pouvoir survivre à une attaque de se genre, elle aurait répondu non à coup sûr. Pourtant, elle se tenait là, une survivante parmi tant d'autres. Comment avait-elle pu survivre avec Jenibelle qui ne pouvait pas marcher plus d'une heure par jour, qui avait dû se déplacer souvent en chaise roulante, souvent à pieds et quelques fois en voiture, se risquant à emprunter les routes d'asphalte. Elles avaient survécus, mais Juliet avait toujours l'impression que sa vie ne tenait qu'à un fil, sans pour autant le montrer aux gens. Un rayon de soleil dans cette noirceur, une pile d'énergie qui se rechargeait constamment, sans qu'on la branche. C'était elle tout craché. Elle essayait de faire sourire et rire les gens l'entourant, parce qu'elle ne pouvait faire que cela. Et encore, certains n'arrivaient pas à la sentir, son trop plein d'énergie les énervant royalement. Elle n'avait jamais été la tasse de thé de tous le monde, elle y était habituée. Mais elle avait peur, peur de retrouver peu à peu cette vieille amie, la solitude, qui pointait un peu plus, chaque jour, le bout de son nez, chaque fois que Jenibelle partait pour piquer des trucs dans le garde-manger de la cohorte, chaque fois que la coréenne se retrouvait seule. Alors qu'elle pensait que les inquiétudes qu'elle avait à ce propos étaient derrières elle, ces dernières lui revenaient en tête.

Que lui aurait dit son grand frère, pour l'aider? Elle n'en savait rien, mais il aurait été de bon conseil. Comme sa mère. La pensée de ses parents à l'autre bout du monde lui coupa la respiration. Comment allaient-ils ? D'ailleurs, étaient-ils toujours en vie ? Et s'ils étaient morts ? Pourquoi n'étaient-ils pas réunit ensemble pour traverser cette épreuve comme ils l'avaient fait, à la mort de Sung Kyu ? Elle dû attendre quelques secondes après que le médecin ait posé des pansements sur ses petites mains égratignées avant de se lever, de le remercier et de repartir comme elle était arrivée, souriante, le coeur pourtant gros. Ce soir, elle parlerait à Jenibelle et elle lui confierait ses peurs, comme elle le faisait toujours. Parce que, autant elle admirait son grand frère, autant elle ne voulait pas terminer comme lui. Elle ne voulait pas se retrouver seule, tellement seule que l'idée de s'enlever la vie était la seule option. Elle ne souhaitait cela à personne. Elle ne pouvait malheureusement pas aider tout le monde, elle devait s'aider elle-même à cicatriser d'anciennes blessures, bien plus graves que celles qu'elle avait aux mains en ce moment. Des blessures psychologiques, des fantômes du passés, côtoyant les fantômes de ses questions et inquiétudes futures. Parce qu'elle savait qu'il y en aurait, il y en avait toujours. Et, elle devait mettre une chose au clair avant de mourir. Le vieil adage « La vie est un long fleuve tranquille » : n'importe quoi. Personne n'y croyait plus, pourtant, on faisait tout comme. Même si on se donnait l'illusion que la vie était tranquille, dans les souterrains du métro, le futur, lui, nous était tous inconnu. Et c'était le plus effrayant. Passant devant deux pré-pubères, elle surprit leur conversation: « Woh, c'est qui la fille ? - Tu trouves pas qu'elle ressemble à... à la fille dans The Grudge ? - Ah oui, t'as raison. Sadako, non ? - Ouais, Sadako. » Comme pour ajouter une cerise sur un sunday, Juliet se retourna lentement, un sourire carnassier aux lèvres, un sourire dont seule elle connaissait le secret, ce sourire qui terrifiait bien des gens. C'est d'ailleurs l'effet qu'il eu sur les deux jeunes garçons, qui partirent à la course, apeurés. En fait, elle n'était pas que bonne à rien, finalement, elle avait un rôle important dans la cohorte: faire peur aux gens. Mieux que rien. Elle aussi, à sa façon, était donc un fantôme.