«
Seul l'humain peut avoir conscience de la perte de l'humain. »
« Kellian... »Sa voix se mourut dans le silence, escortant ses dernières pensées dans cet ailleurs qu'elle ne connaissait pas encore et qu'elle ne pouvait s'empêcher de craindre. En prononçant son nom elle avait espéré que le voile sombre qui s'était levé devant elle rendrait les choses plus claires ; que tout n'avait peut être été qu'un rêve obscur. Avery s'en voulait. Elle s'en voulait de n'avoir jamais compris les véritables raisons qui avaient poussées le Kellian qu'elle avait longtemps détesté à se métamorphoser en cet homme qu'elle voyait désormais comme un étranger. Mais elle s'en voulait aussi de ne pas réussir à le détester comme elle aurait du en cet instant. Le détester comme avant, lorsqu'il était humain. Il avait été son seul repère après l'invasion, l'image de ce qui restait encore de sa vie. Il n'y avait pourtant eu aucune faille lui permettant de deviner que tout ce qu'ils vivaient n'était qu'une illusion et que celui qu'elle avait aimé comme un frère était en réalité un monstre. Un monstre à qui elle accordait ses dernières pensées comme un adieu, gardant au fond d'elle le pardon qu'elle ne lui accorderait jamais. Il lui était impossible de pleurer désormais, ses joues encore brûlantes des dernières perles salées qui avaient eu la force de se frayer un chemin sur son visage. Elle n'entendait déjà plus le bruit métallique qui résonnait dans la pièce, ni les voix exprimant un jargon médicale qu'elle n'aurait sans doute pas comprit. Elle allait disparaître et pensait au fond d'elle qu'il ne lui restait plus rien sur terre pour espérer vivre, ou peut être l'espoir futile qu'il lui était possible encore de tout changer.
« Tous les enfants qui naissent sont la preuve
que Dieu n'est pas encore découragé de la race humaine. »
Peut être s'était-il finalement découragé.
Son corps était étendu sur le sol, ses bras lacement déposés contre son ventre. Elle paraissait inanimée dans le silence envahissant son esprit, ses paupières fermées au ciel tandis qu'elle oubliait quelques instants qui elle pouvait être. Elle se souvenait de ses premiers pas avec Eléanore, des grands cheveux auburn qui effleuraient son dos à chaque mouvement, et de ce regard d'or qu'elle avait apprivoisé avec le temps. Eléanore était son premier corps sur terre, l'objet de ses expériences et de son apprentissage. Du haut de ses trente années la jeune humaine n'avait jamais perdu son sens de la plaisanterie et de la fourberie. En atteignant ses souvenirs, l'alienne s'était très vite rendue compte du sarcasme permanent que dégageait la jeune femme et de l'habitude incessante qu'elle avait à exagérer la teneur de ses propos. Elle n'avait jamais semblé appréciée des autres, même si son implantation lui avait valu d'améliorer son cas. A vrai dire les personnes qui l'entouraient avaient fini par s'éloigner d'elle, la laissant continuer seule sa propre vie. Cette optique ne lui avait jamais été désagréable, comme si travailler dans un journal qui frisait l'impopularité était suffisant à sa vie. La Host s'était toujours contentée d'exprimer de la curiosité à son égard. Elle avait longtemps cherchée en s’immisçant dans sa vie à découvrir par elle même la nouvelle existence qui l'attendait et l’immensité du monde qui serait bientôt le sien. Seulement au delà des difficultés qu'elle avait rencontrées après son implantation, elle avait gardé une certaine distance avec Eléanore au fil du temps, comme si elle avait cherchée à la fuir elle et ses souvenirs. L'habitude avait finalement prit le dessus, tout autant que les efforts qu'elle avait fait pour se fondre dans cette existence nouvelle.
Des bras se glissèrent dans sa nuque, remontant le long de son crâne pour l'aider à se soulever légèrement. La Host n'entendit pas tout de suite son prénom, ouvrant légèrement les paupières. Tout était flou autour d'elle, sa main se teignant lentement d'une couleur rouge sombre tandis qu'un filet de sang s'échappait de son abdomen. Saleté d'humain. Elle était restée trop confiante pour imaginer une seule seconde qu'il répliquerait si rapidement. Idiote. La folie humaine suivant l'attaque n'avait épargnée personne, rendant la capture des humains plus difficile. Ils étaient bien trop fier pour s'avouer vaincu, leur instinct de survie les poussant à signer leur arrêt de mort. Eléanore se mourrait, sa main remontant avec faiblesse jusqu'à la barre de fer qui s'enfonçait dans son estomac. Elle eut à peine le temps de souffler qu'elle se sentit soudain soulevée du sol et sombrer dans l'obscurité qui l'appelait.
« Notre existence même ne se résume peut être pas seulement au regard que nous avons du monde, mais aussi aux regards qu'ont les autres sur celui-ci. » Une silhouette se dessinait dans l'ombre du soleil, se mouvant contre la façade des immeubles tel un fantôme fuyant la lumière. Les rues étaient encore désertes à cette heure et profitaient lentement du jour qui se profilait à l'horizon. La Host s'exaltait de cette solitude, des traits de fatigue se dessinant sur son visage. La transition entre Eléanore et Avery avait été plus compliquée qu'elle ne l'aurait imaginée, et malgré les semaines qui s'étaient écoulées, elle gardait encore l'épuisement de sa nouvelle implantation. Elle n'avait de toute façon pas eu le choix, son ancien corps s'étant lamentablement mit hors d'usage à cause de sa propre erreur. Mais à la suite de cet incident, la Host n'avait pas seulement perdue l'enveloppe charnelle qui lui avait servi pendant près de neuf années, elle avait de même été affectée à un autre poste que celui de traqueuse afin de faciliter sa transition. Quelque part rester ici lui était favorable et lui permettait de vivre comme elle l'avait toujours fait. Pourtant cette fois ci était différente.
Avery Liberty Taylor avait été l'opposée d'Eléanore. La jeune femme n'avait jamais eu ce tempérament égoïste et détestable. La mort de son père l'avait amenée à se remémorer pendant toute son enfance le visage de celui-ci de peur de l'oublier comme semblait le faire sa mère. Celle-ci avait longtemps cherchée à se reconstruire auprès d'un autre homme. Des hommes qu'Avery n'avait jamais vraiment appréciée. Trop jeune pour comprendre, elle lui en avait longtemps voulu avant de se rendre à l'évidence en grandissant que sa mère cherchait seulement à retrouver le bonheur. L'humaine était beaucoup plus sensible qu'Eléanore, proche des gens qui l'entourait et leur accordant une importance presque insolite. Elle voulait vivre et aimait vivre, s'imposant par son fort caractère tout en gardant cette douce fragilité.
Peut être était ce tout simplement le fait d'avoir vécue des années dans les souvenirs et débris de son ancien corps qui donnait aujourd'hui la sensation à la Host de se retrouver piéger dans une version plus aboutie de l'être humain. Cette nouvelle humaine l'intriguait et elle se plaisait dans son corps malgré la hantise qu'elle avait eu au départ. Au fil des semaines sa curiosité s'était intensifiée, devenant presque malsaine. Il y avait ces images d'hommes et de femmes avec qui l'humaine avait rit, pleuré, et il y avait Kellian. Le dernier nom qu'elle avait prononcé avant que l'opération ne commence. Un nom que la Host n'avait jamais pu entendre et qui avait pourtant bouleversé la jeune femme. Elle n'avait pas été la seule à découvrir la vraie identité de ses proches après l'invasion. Malgré tout le rapprochement et les liens qui l'avait unis pendant si longtemps à ce Host devenaient plus étrange aux yeux d'Avery. La Host avait cherché à comprendre, ignorant les réels sentiments que Kellian ressentait pour les humains. Quelque part elle savait que ces souvenirs n'auraient jamais du lui appartenir, le Kellian dont elle voyait encore l'image lui restant inconnu. Mais malgré toutes ces leçons de morales, les souvenirs de l'humaine lui appartenaient désormais sans qu'elle ne l'ai choisit la plongeant peu à peu dans la vie de celle-ci.
It's me :love2:Mais chut c'est un secret