« Roxanne Alice Weir c'est bien ça ? » « Oui c'est ça. » Tu réponds d'une voix quasi-exaspérée. Il s'est à peine assis mais il t'ennuie déjà. Face d'animal sous-nourri. Au lycée ça devait être le dispensé de sport qui se faisait harceler par tous les populaires et tous ceux qui avaient besoin d'un punching-ball. T'étais dans la deuxième catégorie. Fait croire que dispensé de sport mène plus loin que là où tu es arrivée. « Vous savez pourquoi vous êtes là je suppose ? » No shit Sherlock. Tu en rirais presque si tu ne te retenais pas de faire un facepalm monumental. « Je suis un peu comme qui dirait en prison et il y a écrit psychologue sur votre front et docteur sur votre blouse. Je suis pas débile et je suis pas folle. Évidemment que je sais pourquoi je suis là. » Tu soupires. Il croit vraiment que tu es stupide à ce point ? T'as déjà été diagnostiquée saine d'esprit et en pleine possession de tes moyens. « Fort bien. Alors permettez-moi de me présenter, je suis le docteur - » « - Votre nom est écrit sur votre blouse je sais lire. Vous pouvez faire votre petit examen et me foutre la paix ? » Il hausse un sourcil et reste silencieux, non sans commencer à écrire avec frénésie sur son petit classeur, vue qui te fait lever les cieux au ciel. Qu'il ne commence pas avec ces trucs débiles de prises de notes. « Dites-moi Roxanne - puis-je vous appeler Roxanne ? - » « Non vous ne pouvez pas. » Tu l'as coupé, encore une fois, mais il semble surpris tout de suite. Il devait s'attendre à ce que la réponse positive à sa question soit automatique. Dommage pour lui. « Très bien Miss Weir. Alors pourriez-vous me parler de votre enfance ? » Cette fois tu éclates franchement de rire. « Sérieusement ? Pour être dans une prison je croyais que vous étiez un peu plus qu'un charlatan. Tout ce qui a une importance est dans le dossier. » Tu n'as pas envie de raconter ta vie à cet idiot si tu peux l'éviter. Il n'en démord pas pourtant l'animal, nettoyant un instant ses lunettes à double foyer avant de les remettre sur son nez et de te regarder, faisant preuve d'une grande patience. « Malheureusement Miss Weir, j'ai peur de ne pas être intéressé par ces informations-là. Et puisque vous n'êtes soi-disant ni folle ni stupide, vous savez qu'il est dans votre intérêt de coopérer pour cet examen. » Tu soupires, sachant parfaitement qu'il a raison. Ici tu es à sa merci. Coincée. Alors tu t'agites un peu sur ta chaise et tu parles. « Chicago c'est ma ville, ça l'a toujours été et ça le sera toujours. J'y suis née, j'y au grandi et si ça se trouve j'y mourrai. Dans cette prison. Mon père tenait un garage en centre-ville et ma mère travaillait dans un petit restaurant de quartier qui était celui de mon parrain. J'étais la plus petite de la famille, j'ai quatre frères aînés. Tommy, Salem, Caleb et Andreas. Ils m'aimaient je les aimais, on a eu une vie normale. Ils étaient grands, ils étaient forts, ils jouaient des poings pour moi et ils m'ont appris à me défendre. On était une bonne famille vous savez. On l'est toujours. » Tu arrêtes de parler, considérant que tu as fini de répondre à sa question. Mais lui, lui il attend que tu continues, c'est visible. « Continuez. » Bon. C'est audible aussi. C'est avec réticence que tu t'exécutes. « J'ai été élevée par les frères un peu. Mes parents aussi mais... Ils étaient en sous-nombre. Du coup, j'ai plus été élevée comme un garçon qu'une fille et ça a toujours été mieux comme ça. C'est plus pratique. Ils m'ont appris à regarder des films d'horreur, à jouer aux cartes et aux jeux vidéos, à jurer, à cracher, à jouer des poings, à chasser quand on allait à la campagne. Franchement moi ça me plaisait comme vie. Bah, je veux dire l'adolescence et tout ça, comme pour tout le monde ça a été dur mais ça allait. J'ai jamais eu beaucoup d'amis mais j'avais mes frères. Quand y en a quatre ça compte suffisamment. Je suppose que la partie qui vous intéresse c'est celle où ils m'ont appris à voler. J'étais pas la meilleure, la discrétion c'était pas trop moi. Ça n'est toujours pas. Mais j'ai appris à magouiller dès que j'étais jeune. Je faisais passer de l'herbe en douce dans le lycée. Ça marchait bien. » Tu as parlé d'un ton presque monocorde, comme si tu avais révisé ton discours. Et l'autre prend des notes, encore et encore. « Comment s'est passé votre parcours dans l'illégalité ? » Le juge l'a déjà demandé ça. Pourtant tu prends ton mal en patience, ce qui est rare. Plus tu parleras plus vite ça se finira. Tu n'as rien à cacher. « J'ai évolué dans le milieu et j'ai fini par devenir passeuse. Je faisais transiter tout et n'importe quoi. De la drogue, des armes, des voitures... Ça a été mon parcours jusqu'à la fin. Rien d'extraordinaire mais ça payait bien. C'était risqué mais facile. » Puis tu étais avec tes frères. Ça tu ne le dis pas par contre. Ils ne sont pas en prison et il serait bien que les choses restent comme ça, tu ne veux pas les conduire derrière les barreaux. Tu tiens trop à eux, ils sont les seuls pour lesquels tu serais prêt à tout. « Mais vous savez pourquoi vous êtes ici. Qu'elles ont été les circonstances de cet... Incident ? » Tu claques de la langue, énervée. « J'ai déjà tout raconté lors du procès. Votre dossier a tout. » Il te lance un regard par-dessus ses verres en cul de bouteille et le tout de dispense de paroles. Tu comprends. Soupir. « D'accord. Une fois je m'étais fait rouler par mon employeur et j'ai décidé que ça ne se reproduirait pas. A chaque deal après ça, j'expliquais à ceux qui m'engageaient de quelle façon je les tuerais si ils essayaient de m'avoir. À ces deux là j'avais dit. "Si j'ai le moindre problème de paiement, vous serez des hommes morts. Je peux le promettre." J'avais pointé le premier d'entre eux. "Toi, je t'éventrerai de la gorge jusqu'aux couilles mais je m'assurerai que tu sois toujours vivant. Après ça je te pendrai jusqu'à-ce que mort s'ensuive. Avec tes entrailles en guise de corde." J'avais regardé le deuxième. "Quant à toi, je t'attacherai et je t'arracherai les yeux avec les doigts. Puis je te les enfoncerai dans la gorge pour que tu t'étouffes." » Tu marques une pause dans ton récit devant l'air perplexe du psychologue. « Vous savez, généralement c'étaient juste des menaces théâtrales pour les dissuader. Mais je promettais toujours de le faire. Et j'avais promis. Et ils m'ont roulée. » Tu hausses les épaules mais l'air de perplexité ne semble pas s'effacer du visage de l'homme. « Alors vous leur avez fait ce que vous aviez promis. » Tu esquisses une moue. « Pas exactement. » Ouais. « En fait, je me suis rendu compte que des entrailles c'était fragile. Impossible d'en faire une corde sans tout déchirer, et j'ai essayé pourtant mais ça puait, c'était une infection, et ça dégoulinait. C'était ignoble vous savez. J'ai pas aimé ça. Mais du coup, je lui ai mis une balle dans la tête pour finir le job. » Le docteur ne te regardait plus, il couvrait son carnet de lattes de mouches en crayon de papier. « Vous dites ça comme si de rien n'était. Ça vous a apporté de la fierté ? » Tu le toises avec mépris. « Évidemment que non. Je ne suis pas fière, pas heureuse de ce que j'ai fait. Ça m'a pas plu. C'était dégueulasse. Mais je ne regrette pas non plus. Parce que j'avais promis. Et un Weir tient ses promesses. Je le referais s'il le fallait. Je le dis parce que je n'ai rien à cacher. Je suis beaucoup de choses mais certainement pas une menteuse docteur. » Sans hésiter. La vie et la mort ce n'est pas grand chose. Une promesse si.