It's quite windy today ...

Spoiler:

C'était la première fois que je mettais les pieds à Detroit. J'aurais sans doute regardé la ville avec émerveillement quelques mois plus tôt, pour autant ce jour là grattes ciel et architectures fantasques n'étaient plus à mes yeux que des façades de bétons s'élevant vers les nuages dénués de vie. Jusqu'à présent j'avais évité les villes, consciente qu'elles ne nous appartenaient plus. Seulement un vent violent avait tourmenté peu à peu Ohio et Michigan, m'invitant à rejoindre la civilisation en quête d'un abri et quelques vivres pour faire face à ce changement soudain d'atmosphère. Les habitants de Détroit se terraient silencieusement, quelque uns paniquant encore dans les rues en se bousculant. A ce tableau s'ajoutait les eaux salés de la mer tentant d'engloutir les rues dans les profondeurs. Je n'osais avancée, chaque pas noyant mes pieds et alourdissant ma marche. Il n'y avait que quelques millimètres d'eaux mais le vent et ma tenue loin d'être adaptée à la situation ne faisaient que me ralentir. L'avantage était que je passais inaperçu au milieu de cette scène, avançant tel un fantôme sur les trottoirs. Les envahisseurs avaient sans doute mieux à faire que de traquer les humains s'invitant dans la ville ce qui ne m'empêchait pas de rester sur mes gardes. Face à l'état de celle-ci je venais à me demander si me réfugier ici avait été ingénieux. Il était de toute façon trop tard pour reculer, les bourrasques de vents étant devenues bien trop violentes pour avancer plus loin. Mon corps semblait vouloir se détacher du sol, mes yeux se remplissant d'effroi à cette idée. La capuche de mon manteau s'envola avec le vent, laissant voler mes cheveux dans une danse disgracieuse. J'avais peur oui, me maudissant d'avance si je devais mourir de cette façon après des mois de survie au milieu de ce monde devenu dangereux. Je m'étais imaginé qu'une fois arrivée à Détroit il me serait facile de trouver un endroit pour m'abriter. Mais le ciel menaçant et les formes volant au loin se distinguaient comme une bombe prête à m'atteindre à chaque seconde. Je me mit à courir, éclaboussant mon pantalon alors que mon regard arpentait les rues en quête d'un lieu pour me protéger. Mon regard se posa sur un grand hangar à quelques mètres de moi. J'imaginais que personne n'aurait eu l'idée de venir se réfugier dans un lieu emplit d'objets prêt à valser à chaque secousse. L'idéal aurait été de trouver un lieu vide et coupé du reste mais je n'avais plus le temps de m'enfoncer plus dans la ville. Le cœur battant je vint finir ma course contre la grande porte humide, glissant mes mains sur la surface en espérant trouver une façon d'y entrer. Malheureusement celle-ci resta close. Furtivement je me penchais pour apercevoir l'accueil du garage un peu plus loin. Ma silhouette se dissimula derrière une voiture garée dans la rue, me laissant observer avec aise l'intérieur de la pièce. Il ne manquait plus que ça... Une ombre se discernait derrière les vitres de l'entrée, mobile et presque illusoire. Je ne voulais pas prendre le risque de me jeter dans la gueule du loup mais une rafale de vent un peu plus violente se projeta dans mon dos, laissant ma joue embrassée la carrosserie de la voiture. Autant tenter le tout pour le tout. Rapidement je faisais glisser mon sac le long de mon bras pour fouiller avec hâte à l'intérieur. Il restait remplit de plus de vêtements produits et nourriture que de moyens de défenses. Je réussis tout de même à en sortir une arme, ou du moins ce que je pouvais utiliser comme tel. Il ne me restait plus qu'à prendre mon courage à deux mains et de débarquer comme une minable petite cambrioleuse dans un magasin de sucreries. Mes yeux se fermèrent une seconde, mon corps se redressant sous la pluie avant de s'élancer jusqu'à la porte du garage. Je pénétrais à toute vitesse à l'intérieur, une boule au ventre et tendant devant moi ma bouteille de déodorant et un briquet.

« Ne bougez plus. »

Je gardais mon sang froid malgré l'adrénaline qui me submergeait, mon attention s'accordant enfin à l'homme qui se tenait devant moi, une cigarette à la main. A croire qu'il regardait l'ouragan venir comme s'il était devant un programme de télévision. Je me sentis soudain mal à l'aise, perdue entre la paranoïa que je m'obligeais et l'atmosphère sereine du garage. Je n'avais jamais été de celles qui côtoyaient les garages mais les odeurs de caoutchouc, d'huile et d'essence piquaient mon nez tout en me laissant une agréable sensation. Quant à la musique, cela faisait des mois que je n'en avais pas écouté, et même l'âge incertain de la mélodie qui emplissait la pièce ne parvenait pas à m'interdire d'apprécier l'instant. Il fallait pourtant se refuser à croire que rien n'avait changé. Après une brève inspection des lieux mon regard se déposa à nouveau sur l'étranger face à moi. Qu'attendait il ainsi en regardant l'horizon ? Je n'osais bouger de devant la porte d'entrée, m'appuyant contre celle ci tout en gardant les bras tendus devant moi. J'étais prête à le faire brûler sur place tout en me demandant comment j'allai gérer un homme un feu dans un lieu imbibé d'essence et surtout comment je pourrai le voir se calciner sans ressentir de dégoût. Je n'étais pas une tueuse, et encore moins ce genre de femmes qui brandissent une arme devant elles avec assurance. Je me contentais de la tendre, le regard neutre sans pour autant être rassurée. J'espérais seulement qu'il prenne mon intervention au sérieux même si l'arme choisie n'était pas adéquat pour intimider qui que ce soit. Des gens étaient morts pour moins que ça. Il avait même été prouvé qu'il était possible d'assassiner quelqu'un avec un spaghetti. Mais je n'avais ni spaghetti sur moi, ni la technique pour faire des arts martiaux avec, en espérant qu'il en soit de même pour lui. Je doutais sur son humanité, voyant chaque étranger civilisé comme une source de menace. Tous les hommes que j'avais rencontrée jusqu'ici avaient dû fuir de chez eux des quatre coins de l'Amérique, alors se pouvait il encore que certains est étés épargnés ? Je le toisait comme s'il venait d'ailleurs, observant son allure de « mécanicien sexy » avec septicité.

« Je n'ai pas très envie de rester dehors pour me faire emportée par le vent. Donc... Je vous emprunte votre garage le temps que ça se calme et on fait comme si de rien était ? »

« Attendez... C'est une question ?! Vous entrez ici en me menaçant et vous me demandez si vous pouvez vous installer ici ? Désolé, mais on ne fera "comme si de rien était" que quand vous arrêterez de pointer ce truc sur moi. Je ne suis même pas armé, regardez ! »

Quelque part il n'avait pas tort, la situation aurait été moins ironique si je n'avais pas prit la peine de lui demander son avis alors que je ne lui donnait ouvertement pas le choix d'être d'accord ou non. Un détail qui se devait de me faire perdre en crédibilité. Il n'y avait qu'à voir son allure certaine et paisible alors qu'il fumait tranquillement sa cigarette. Il avait beau lever les mains aux ciels en signe de résignation, son geste n'en étant pas moins exagéré. Seulement je n'étais pas venue ici dans l'intention d'arborer une position de dominance avec lui. Je n'avais comme seule intention d'éviter une catastrophe naturelle qui me coûterait la vie. Il fallait seulement qu'il comprenne que la seule chose que j'attendais de lui était qu'il m'ignore et me supporte le temps que la tempête se calme et que l'ouragan trace sa route. Mais en le voyant s'approcher subtilement de moi et en entendant les mots qui suivirent je compris que le message ne passait pas si bien que prévu. Sois j'étais tombée sur un adepte de la religion tendant la main au premier venu, ce qui m'étonnait assez en le regardant, sois avec ma chance sur un pervers refoulé ou un psychopathe. Ma paranoïa finirait par me perdre, mais rien que son sourire venait à me faire hausser les sourcils. C'était quoi ça ? Une sorte d'atout caché qui devait me faire lâcher mes armes et m'émerveiller devant toute la bonté qu'il souhaitait m'offrir ? Je n'étais pas prête de baisser les bras si c'est ce qu'il attendait. De toute façon il n'avait aucune raison de s'inquiéter d'une bouteille de déodorant qui projetait une flamme trop faible pour l'atteindre. A condition qu'il se tienne à bonne distance de celle-ci bien entendu. Je me mis à doucement hocher la tête négativement pour le dissuader de faire un pas de plus.

« Le problème c'est que comme vous l'avez dit je m'invite donc je n'ai pas besoin de votre charité et de votre deal. Sans compter que je ne suis pas ici pour vous alors si vous restez à bonne distance et me laissez faire il n'y a pas de raison que vous flambiez. »

Je lui souris faussement une fraction de seconde tout en détournant le regard sur l'extérieur. Le vent continuait de souffler et faisait vibrer la porte contre mon épaule. Quant à l'ouragan il se dessina de plus en plus dans le ciel. Autant dire que je n'avais pas envie de rester ici à regarder tranquillement le spectacle. Sans attendre plus longtemps je me dirigeais dans la pièce, gardant les bras tendus vers l'homme tout en le contournant du mieux que je pouvais pour atteindre l'entrée qui menait à la deuxième pièce. S'il croyait que j'allais prendre la peine de lui demander sa permission. S'il voulait rester ici c'était son problème tant qu'il ne me sortait pas une arme de je ne sais où et me la pointait dessus. L'idée même me parcouru d'un frisson. Dans quoi est ce que je m'étais fourrée encore ? Je lui accordais un dernier regard.

« Je vous abandonne à votre spectacle. »

Ma silhouette disparu dans la pièce sombre où s'exposaient des carcasses de voitures et autres objets mécaniques s'empilant les uns sur les autres. Cette forme de fouillis était sans doute compréhensible pour un spécialiste. Elle n'en restant pas moins à mes yeux que le résultat d'un lieu ayant été habité des années par la race masculine. Mon regard s'habituait peu à peu l'obscurité en arpentant avec hâte les outils qui se dessinaient ici et là. J'avais abaissée légèrement mes bras, les gardant tout de même prêt à réagir si le mécanicien décidait de faire un sprint jusqu'à moi pour me mettre à terre ou je ne sais quoi qui pouvait lui passer à la tête. Mes lèvres se pincèrent en même temps que j'arrêtais mes yeux sur la voiture mise en évidence dans la grande pièce. Le genre de voiture dont je n'avais jamais rêvé et qui avait pourtant cette allure vieillotte sans doute convoitée autrefois par des collectionneurs. Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'elle ne valait de toute façon sans doute rien à cette heure sans personne pour rêver de la posséder. La mélancolie n'avait jamais été mon truc, surtout lorsqu'elle naissait devant une voiture. Pourtant me retrouver au milieu de ce que j'avais connu tout en étant consciente que plus rien ne serai comme avant m'emplissait d'un sentiment que je ne pouvais décrire. Le genre qui provoque une douleur inconnue dans l'estomac tout en apaisant l'esprit pour avoir retrouvé le fantôme de ce qui avait disparu. Je contournais la voiture en tentant de chasser ces pensées avant de venir faire glisser mon sac à dos sur le capot de celle-ci et de m'éloigner continuer mon état des lieux, mes armes presque oubliées dans mes mains.

Mes mains se crispèrent autour de mon briquet et de mon déodorant alors que j'entendais ses mots. Je ne l'avais pas même entendu rentrer, mon esprit trop absorbé par mes pensées. Je lui en voulu soudain d'avoir ainsi interrompu le calme qui m'avait envahit un cours instant avant de lui faire face en répondant à sa dernière question par un sourire. Il semblait évident que je ne laisserais pas tomber si facilement mon unique moyen de défense au sol. Désarmée je ne serais plus rien face à lui et l'insistance qu'il accordait à mon acte ne faisait que renforcer ma volonté. Il n'avait pourtant opposé aucune résistance. Je lisais dans son regard mon manque de crédibilité et l'amusement qu'il ressentait face à la situation tout en me demandant les raisons qui le poussaient à se laisser faire ainsi. Je semblais pour le moment seule à faire preuve d'hostilité, trouvant mes actes justifiés contenu de la situation. Je doutais encore et toujours de son humanité, n'osant aborder le sujet de peur de voir la situation se détériorer. Il était parfois préférable d'être dans l'ignorance et en même temps je n'avais jamais pu laisser longtemps ma curiosité se taire. Rapidement je jetais un œil autour de moi, préparant mentalement un plan de fuite au cas où un événement inattendu surviendrait. Je n'avais pour le moment aucune idée judicieuse qui me permettrait de sortir d'ici sans encombre, mais éprise de la fatigue accumulée je baissais un peu ma garde pour venir m'asseoir docilement sur un coin du plan de travail. Des outils divers s'étalaient déjà sur la surface, quelques traces de graisse trahissant l'activité étrange du garage. Mon attention se porta sur l'homme un peu plus loin dans la pièce. J'avais hésité quelques secondes à répondre à ses questions avant de me rendre à l'évidence que l'ignorer et jouer les farouches jusqu'au bout ne ferait pas avancer la situation. Je pris lentement la parole avec un sérieux ôtant soudain toute pointe d'humour à mes mots.

« Je faisais du camping avec un ami. Seulement un ours est survenu en pleine nuit, mangeant ma carte, mon ami et mes barres chocolatées. J'ai juste eu le temps de fuir et je me suis finalement perdue. Je suis pas très douée en orientation ce qui m'a amené à me retrouver ici. »

Je marquais une pause, laissant la tempête prendre la parole à ma place tout en le fixant avec un fin rictus. D'accord j'aurais pu faire mieux, mais la vérité avait un goût plus amer et sans doute plus secret. Arriver ici n'avait été qu'un hasard, sans doute une chance. Qu'attendait il que je réponde après tout ? Il n'y avait qu'à voir mon pantalon mouillé, mon sac à dos prêt à craquer et ma mine creusée pour comprendre que je n'avais pas été épargnée par les événements survenus il y a quelques mois. C'était encore un miracle de me voir en vie, moi, ce petit bout de femme frêle et incapable de se défendre. Seulement personne ne pouvait affirmer avec certitude qu'être en vie à cette heure était une chance, la survie, la peur et l'ennui ayant prit place sur la vie en elle même. Lui était pourtant tout aussi présent que moi. A le regarder ici plongé dans son élément l'on ne pouvait déceler aucune faille, ou peut être celle reflétant l'utopie du tableau.

« Et que fait un homme tout seul comme vous, au beau milieu d'une ville désertée, dans un garage coupé du monde ? »

...Comme si le temps s'était arrêté. Mon insolence n'avait jamais vraiment eu de limites à tel point quelle en dévoilant presque certaines de mes faiblesses. Je doutais de lui, m'immisçant ici sans réellement contrôler la situation mais gardant cette insouciance dangereuse. Ma question était presque devenue perverse, reflétant cette appréhension étrange et les doutes que je lui accordais. Je n'aurais sans doute jamais autant été sceptique de sa vraie nature si je l'avais rencontré dans la nature. Il m'aurait été si facile de fuir que j'en aurais baissé ma garde plus facilement qu'en cet instant. Seulement c'étaient tant d'éléments qui s'accumulaient et me faisaient perdre peu à peu le contrôle que j'avais cru avoir en pénétrant ici, qui firent naître une pointe de douleur dans mon estomac. Avais je réellement besoin d'entendre la vérité, ou simplement l'envie de la connaître ? Appréhendant sa réponse je me redressais presque aussitôt, coupant nette à cette réponse que j'attendais pour m'adresser une nouvelle fois à lui et tenter de me rattraper :

« Comment vous appelez vous ? »