The world is ugly.
Il est là et il a peur. En fait, Aeron a peur de tout. Il a peur des autres. Il a peur de lui même. Il a peur du noir. Il a peur de l'eau. Il a peur du feu. Il a peur des chats, des chiens, des oiseaux. Il a peur de se perdre. Il a peur du silence. Il a peur de l'oubli. Et il a peur de cette femme au visage pourtant souriant, qui le fixe avec intensité depuis vingt bonnes minutes. Elle attend que l'adolescent lui parle, sagement. Mais lui il tremble. Il tremble et se frotte nerveusement le bras, secouant son bracelet d'hôpital qui lui irrite au passage le poignet. Il se retient d'arracher ce bracelet blanc qu'on lui a accroché là, sans son consentement. La femme continue de le fixer, et lui ça le gêne, alors il évite son regard.
« Tu n'as pas à être nerveux Aeron, je suis là pour t'aider, tu sais. Je ne te forcerais pas à me parler, même si je pense que cela pourrait te faire du bien. »
Il hausse les épaules. Lui faire du bien ? Il n'y croit pas trop. Déjà, les anti-dépresseurs étaient sensés lui faire du bien, et cela n'ont pas fonctionné. Il se mordille la lèvre, tentant de calmer la panique qui lui tabasse le cœur. Il soupire et plonge son regard par la fenêtre, fixant d'un air ailleurs l'arbre qui agite ses feuilles contre le verre dans un tintement léger.
« Si je répond à vos questions, vous me laisserez récupérer ma guitare ? »
Le sourire de la femme s’agrandit. Elle est contente de voir que l'adolescent lui fasse cette promesse d'ouverture. Elle hoche la tête, et s'accoude contre son bureau, pour fixer avec un peu plus d'intensité l'adolescent, qui détourne toujours son regard d'elle.
« D'accord, je téléphonerais à tes parents à la fin de la séance. Alors, raconte moi ce qui c'est passé ce soir-là, et ce qui s'est passé dans ton esprit... »
Aeron déglutit péniblement. Parler de la raison pour laquelle on a tenté de mettre fin à ses jours n'est pas vraiment la chose la plus facile du monde, n'est-ce pas ?
The light behing your eyes.
Il serre sa guitare contre lui, attendant le verdict. Il sent la crise de panique le prendre au cœur. Il n'aime pas attendre. Il a peur de l'échec, du refus qu'il peut rencontrer. Il tousse un peu, tente de calmer sa respiration. Il grimace et se laisse glisser contre le mur, pour s'asseoir en tailleurs au sol, posant sa guitare à côté de lui. Il tente de se convaincre que si il n'a pas ce job, ce n'est pas grave. Qu'il trouvera un autre job étudiant...
Mais ses pensées sont coupées, par une nouvelle présence. Une jeune fille. Aeron hausse un sourcil, la regarde passer, de là où il est. Elle trace son chemin, ne semble même pas le remarquer. Elle se glisse dans cette même pièce où il a joué, quelques minutes auparavant. Il fronce les sourcils, sans même se rendre compte que cette apparition a calmé sa crise d'anxiété grandissante. Cette brune là... C'est une rivale à son travail convoité ! Il soupire et ronchonne, se disant qu'une nana comme ça a bien plus de chance que lui auprès du directeur du bar. Elle lui ferait un clin d’œil, et ce serait dans la poche. Ce n'est pas juste ! Il aurait presque envie de partir, là. Il a perdu tout espoir de travail, à cause de cette fille là !
Il s'apprête à se lever, et pourtant on le coupe dans son élan. La porte se rouvre, son ex-futur-patron réapparaît, et lui fait signe de revenir. Revenir, pour mieux le recaler, n'est-ce pas ? Sous les yeux de sa rivale, en plus ? Quelle cruauté ! Pourtant, il n'en est rien. Aeron, trop occupé à lancer des regards noirs à la jeune femme brune, qui toise le directeur avec ses grands yeux bleus, ne comprend pas tout de suite ce que ce dernier annonce. Il se tourne vers lui, fronçant les sourcils.
« … jouer ensembles.
- Pardon ?, demande finalement Aeron, curieux.
- Vous allez jouer ensembles. »
Il ne manquait plus que cela ! Le jeune guitariste ouvre la bouche, prêt à riposter, mais se ravise. Et puis zut. Il a besoin de ce job. Il soupire et accepte. Il se retourne vers sa nouvelle collègue avec amertume. Elle est jolie, c'est sûr. Mais son aura le perturbe. Elle est si différente de lui. Avec son sourire, là, et son regard. Il ne la comprend déjà pas. Il se mord la lèvre, et se détourne rapidement, mal à l'aise.
Kiss the ring.
Il a tout préparé. Il a le trac, et ses mains n'arrêtent pas de trembler. Il n'est pas sûr de pouvoir jouer tellement ses doigts sont incontrôlables. La bague est là, dans sa poche. Il sent la petite boîte taper contre sa cuisse à chaque pas. C'est agréable, mais cela lui rappelle aussi que peut-être Even refusera cette bague. Peut-être qu'elle refusera sa demande et lui rira au nez. Bon, il sait que ce n'est pas du genre de la jeune femme... Mais il a quand même peur. Une peur irrationnelle pour certain, légitime pour tous ceux qui ont déjà été dans la même situation.
Et voilà que quelques minutes plus tard, il est là, sur scène. Elle aussi, elle est là. En face de lui. Elle le regarde avec ses grands yeux bleus qu'il détestait pourtant au début. Il se sent fondre, et la panique s'éprend encore de lui. Pourtant il l'a combat, et se met à chanter, grattant les accords soigneusement choisi, se mêlant à ses mots qu'il déverse dans une mélodie douce.
La chanson se termine. Et elle dit oui. Elle lui dit oui, elle accepte de devenir sa femme, celle qui sera sienne pour le reste de leur existence commune. C'est parfait. Elle sourit. Elle est là, dans ses bras. Elle a déjà glissé son doigt dans l'anneau doré. Il la serre un peu plus contre lui, humant son parfum, et souriant contre elle.
Surrender the night
C'est la fin. Tu vois, Aeron, il y a bien une fin à ce monde, et elle arrive avant la tienne, étonnement. Tu as toujours cru le contraire, et pourtant non. La fin est arrivée de manière improbable. Personne n'y aurait crus pour tout dire, et surtout pas Aeron. Pourtant, c'est arrivé, et maintenant il doit faire avec. Il se demande quand même comment est-il possible qu'il soit encore en vie.
Mais la réponse s'impose d'elle-même, et elle est sous ses yeux. Even. Elle est là, face à lui, le regard vide. Ce regard vide lui brise encore le cœur, alors il détourne le regard. Even a changé, depuis quelques temps, il le sait. Elle n'est plus la femme qu'il a aimé, qu'il a voulu épouser, à laquelle il est dépendant et encore fou d'amour. Cette femme lui manque, et il fait souvent tout pour la raviver. Sauf que... Cela n'arrive pas. Cela n'arrivera peut-être jamais... Pourtant, il a envie d'y croire. De temps en temps, quand ils s'arrêtent quelques temps, il sort sa guitare, et gratte les accords des chansons qu'ils ont joués ensembles. Pour tenter de raviver cette flamme de l'époque, qui lui manque terriblement. L'espoir est tout ce qui lui reste. Des fois, il a envie de tout abandonner. Les fantômes de son passé viennent lui susurrer aux oreilles quelques mauvaises idées, par moment. Elles sont tentantes, ces idées... Mais dès qu'il regarde Even, elles s'envolent.
D'ailleurs, elle relève les yeux vers lui à ce moment. Assise face à lui dans leur abris de fortune face à lui, avec ses cheveux bruns qui lui retombent sur le front. Même si son regard, ses expressions ont changé, il ne peut s'empêcher de sentir des papillons dans le ventre. Il se mord la lèvre inférieure, et soutient son regard.
Même la fin du monde n'arrivera pas à calmer cette fascination qu'il a pour elle. Même les monstres, aliens, ou n'importe quoi d'autres, qui ont souillé la Terre, s'accaparant de ce que l'humanité avait passé des millénaires à fonder, n'y arriveraient pas. Parce qu'il a l'amour et l'espoir, à défaut d'avoir la force.