Tu avais tellement gâché ta vie et à de si nombreuses reprises que tu avais réussit à t'en foutre. Une enfance ratée, une famille déchirée. Ta scolarité avait été vouée à l'échec au moment même où tu avais passé le porche de ta première salle de classe. Tu étais le cliché même de l'adolescent rebelle et manipulateur que l'on pouvait trouver dans les séries télé avant l'invasion. Celui qui fume derrière les bâtiments, une jolie blonde aux yeux cerclés de noir accrochée à son jean. Celui qui se fait respecter dans la crainte et qui pourrait faire brûler votre hamster juste pour le plaisir. Oui, ce type qu'on préférerait ne pas connaître mais qui est tout de même trop impressionnant pour quitter.

Tu étais déjà intéressé par les mouvements de groupe à l'époque, faisant quelques expériences sur tes camarades. Ils ne pouvaient partir. Il y avait ce quelque chose en toi qui te rendait si magnétique, un désir de liberté si fort que tu n'en devenais que plus troublant. Tu n'avais qu'à les pousser à quelque chose et il le faisait. Les mots s'échappaient de ta bouche et se réalisaient instantanément. Tu avais du pouvoir. Et tout ça, ça te plaisait. Tu aimais les voir acquiescer à tes paroles, suivre tes instructions. C'était jouissif de voir ces filles se presser dans tes bras comme si tu sortais tout droit d'une pub coca cola.

Et puis un jour ces conneries étaient allées trop loin. Tu l'avais poussé un peu plus fort et il avait craqué. Une arme entre les doigts. Trois morts, une classe entière traumatisée. Comment avais-tu pu le convaincre que ces fils de bourges méritaient de crever ? Tu n'arrivais même plus à t'en souvenir. C'était loin, trop loin. Une trentaine d'années en arrière. Aucune preuve n'avait pu te relier à lui et l'adolescent avait fini en tôle. Quelques années plus tard tu avais appris qu'à l'aide de ses draps il s'était ôté la vie. Cette nouvelle t'avait fait ni chaud ni froid. Tu ne te sentais pas coupable, ce n'était pas toi qui les avais flingués. Pourtant tu aurais bien aimé. Tu l'enviais un peu, ce con, d'avoir réussit là où tu n'avais même pas essayé. Pas encore. Toi aussi aurais voulu sentir le frisson d'adrénaline, la tension et ce désir terrible face à la mort. C'en était obsédant. Et comme l'écrivait ce très cher Oscar Wilde dans Le portrait de Dorian Gray, "The only way to get rid of a temptation is to yield to it. Resist it, and your soul grows sick with longing for the things it has forbidden to itself." Céder. Tu ne t'étais pas fait prier. Tu te foutais des conséquences, de la culpabilité. Tu ne prenais pas en compte les multiples peines que tes actes pouvaient entraîner.  Les années étaient passées, tu avais atteint vingt-cinq ans. Cette longue période qui avait précédés le suicide de ton ancien camarade t'avait permis de concocter le plan parfait, de toute imaginer. Tu avais approché un groupe d'adolescentes vaguement perturbées, celles qui auraient pu trouver leurs places dans le casting de Skins. Avec le temps elles étaient tombées sous ton emprise. Faibles. Sous tes apparences d'aide, de libérateur, tu n'avais fait que les enfoncer un peu plus profondément dans leurs douleurs. Et lorsque tu les avais estimées prêtes, tu les avais poussées à franchir le pas, à mettre un terme à tout ça. Tout avait été prévu. Tout sauf le refus de l'une d'entre elles. Ses larmes devant l'arme, ses sanglots terribles. Ça t'avait mis hors de toi et tu avais appuyé sur la gâchette à sa place.