I : Magic childhood

-Raven, je t’ai déjà dit de ne pas laisser Panther avec les tigres ! Il peut arriver n’importe quoi !
-Apprend à te relaxer Alan, il ne risque rien avec mes bêtes. La femelle avec qui il est le prend pour un de ses petits, elle ne lui fera rien.
-Je n’ai pas confiance. Vu toutes les fois où tu te fais mordre... Et c’est mon fils, pas le tien. Fais-le sortir de l’enclot une bonnes fois pour toutes !

Les deux hommes se disputent sous ton regard d’enfant. C’est toujours ainsi quand tu passes du temps avec ton oncle, il faut toujours que ton père vienne rappliquer pour te ramener dans votre caravane. Tu trouves cela injuste, tu adores rester avec les animaux. Les chevaux de ta tante sont super, tu apprends déjà à monter, mais tu préfères largement les félins. Tu te sens parfaitement à l’aise entre eux. Toi, peur de ces gros chats qui pourraient t’avaler d’un seul coup ? Non, pas du tout. Tu ne les crains pas, tu entres dans la cage sans la moindre hésitation et il faut régulièrement te rattraper pour t’empêcher de te mettre en danger. Heureusement qu’il y a un cadenas à chaque porte, sinon il y aurait eu un véritable accident.

Tu finis par te détourner et joue un peu avec la tigresse. Du haut de tes six ans, tu es confortablement installé sur son dos et tu tires un peu sur ses oreilles. De temps en temps, elle secoue la tête pour que tu cesses de l’embêter mais tu reprends toujours de plus belle. Tu sens quand elle se met en colère et dans ces moments là, tu te tiens tranquille le temps qu’elle se calme. Tu as déjà compris comment réfléchissaient les animaux. C’est instinctif. Il faut dire que tu as cela dans le sang. Le cirque est ton monde, ton univers, ton quotidien et ce sang qui coule dans tes veines. Ton père a rejoint le cirque à l’âge adulte mais ta mère descend d’une longue famille d’enfants du cirque. Et puis, il n’y a qu’à te regarder... On voit tout de suite que tu as ce petit quelque chose de pétillant dans le regard, cette lueur de bonheur parfait, d’émerveillement et de concentration à la fois.

Il semblerait que tu as une idée en tête : tu te déplaces au milieu des tigres qui lèvent la tête à ton passage. Pas un ne bouge, tu fais bien attention à ne pas leur marcher sur la queue. Que cherches-tu ? Ce fameux crochet auquel ton oncle accroche les morceaux de viande pour motiver ses félins à exécuter leurs numéros. Tu sautilles un peu pour attraper le bâton et ce n’est qu’au bout du quatrième essai qu’il te tombe dans la main. Tu sors discrètement de la cage pour aller chercher un morceau de viande que tu y accroches puis tu reviens. Les tigres sont très attentifs à ce que tu fais mais tu les ignores, tu n’as qu’un seul objectif en tête : tu retournes t’asseoir sur le dos de la femelle puis tu lui agites le bout de viande sous le nez. Automatiquement, elle se redresse et tu es obligé de te raccrocher à sa fourrure pour ne pas tomber. L’animal avance là où tu veux et se redresse sur ses pattes arrières quand tu relèves l'appât. Évidemment, tu n’as alors plus rien à quoi te raccrocher et donc tu tombes, lui laissant sa récompense. Toi tu ris joyeusement, ravi de ce que tu as pu faire.

-Tonton Raven ! Elle s’est mise sur ses pattes arrières !!!

Les deux hommes se tournent vers toi. Tout ce qu’ils voient, c’est une tigresse dévorant un petit bout de viande, quelques tigres qui font semblant de dormir et un gamin aux cheveux bruns qui rit au milieu de tout cela. Et si ton père lance un regard noir à son demi-frère, ce dernier rit avec toi, pénétrant dans la cage aux fauves pour venir te récupérer. Tu te laisses faire, docile, continuant à rire. Tout est tellement parfait à tes yeux. Enfin... Presque. Presque parfait, parce que le regard noir que ton père t’accorde fige ton rire dans ta gorge. Tu baisses alors les yeux. Tu sais qu’il n’aime pas quand tu agis ainsi, mais tu ne peux pas t’en empêcher... Tu te sens bien trop à l’aise avec les animaux pour les éviter...

-Pourquoi faut-il que des trois, tu sois le seul à agir aussi stupidement ?
-Ne soit pas si sévère. Au moins, tu sais que ton fils a hérité de mon côté de la famille, il a hérité de cette passion qui anime les Drake.
-Je préfèrerais qu’il ait une passion moins dangereuse.
-Tes couteaux ne sont pas mieux. Une bonne lame est comme un félin : doux et inoffensif quand on sait le manipuler, mortel à la moindre erreur.
-Très drôle. Panther, on rentre.
-Alan, tu n’es qu’une tête de mule hyper-protectrice ! Et à ce soir Paco, tu pourras jouer avec les jumelles ainsi qu’avec Ariel !

Tu te laisses entraîner par ton père, n’ayant pas tout compris de l’échange entre les deux adultes. Tout ce que tu sais, c’est que ton père n’aime pas les animaux. Tant pis, tu lui feras entendre raison, parce que toi, tu sais déjà ce que tu feras quand tu seras grand : dompteur de félins ! C’est ce qui te fait rêver, c’est ce qui te met des étoiles dans les yeux. Mais en attendant, tu retrouves les tiens, ta mère, Shae, ta sœur, Faye, et ton frère, Kenneth. Une fratrie de trois enfants turbulents, mais une fratrie heureuse. Ta vie n’est qu’un conte de fée...

II : The pros and cons of a this life

Tu te mords la lèvre. Tu essayes de te concentrer, de ne pas lâcher. Tu es épuisé mais pourtant tu tiens. Tu tiens parce que si tu lâches maintenant, tu vas tomber de ton trapèze et atterrir dans le filet. Encore, s’il n’y avait que toi, cela ne te gênerait pas tellement mais tu n’as pas envie de faire subir cela à ta coéquipière. Alors tu tiens. Tu l’aides à faire ses figures, à remonter sur le trapèze puis tu te balances. Elle t’aide, vous avez besoin d’élan pour qu’elle puisse atteindre l’autre plus loin. Tu n’en peux plus. Tu es certes endurant mais après quatre heures non stop et une journée au lycée où tu as déjà eu deux heures de sport, tu commences à saturer. Mais c’est le prix à payer pour garder ton niveau. Vous vous balancez suffisamment, tu es prêt. Tu la regardes, un simple échange vous suffit et elle se laisse tomber. Comme toujours, tu lui attrapes les poignets et vous reprenez un peu plus d’élan. Il ne faut pas que vous vous lâchiez trop en avance ni trop en retard. Tout se passe toujours à la demi-seconde. Tu restes concentré, tu surveilles. Est-ce bon ? Oui. Est-elle prête ? Aussi. Alors d’un simple signe de tête, vous vous lâchez, elle décolle... Et attrape le trapèze !

-Bravo Tayler ! … Oups.

Oups ? Oui, tu glisses et tu n’as pas le temps de te rattraper à ton propre trapèze. Résultat, tu viens atterrir lourdement dans le filet, trois mètres plus bas. Ouf, retombant sur le dos, tu en as légèrement le souffle coupé. Tu n’aimes pas atterrir dans cette chose, les cordes s’enfoncent dans ta peau et c’est douloureux. Un instant tu restes là, sans bouger, un peu sonné. Et tu te demandes encore pourquoi tu fais du trapèze. Tu es déjà contorsionniste comme ta mère et tu aides ton oncle pour ses numéros de domptage, n’est-ce pas suffisant ? Apparemment pas, il faut encore que tu t’ajoutes du travail. Parce que tu aimes être en hauteur, tu aimes compliquer tes entraînements. Tu passes ton temps à t’occuper pour éviter de songer à ces problèmes qui te touchent peut-être plus que des adolescents... Normaux dirons-nous. On t’appelle, tu tournes alors la tête.

-Ça va Paco ? Rien de cassé ?
-Ne t’en fais pas Tayler, le jour où cette chose se cassera quelque chose, ce sera la nuque et on l’amènera directement à la morgue.
-Sympa Faye. Dit tout de suite que tu veux te débarrasser de moi.
-Roh, tout de suite... Je disais juste que tu es tellement résistant que le jour où tu craqueras, ce sera la fin du monde. Pas que pour toi d’ailleurs, y’aura une invasion d’aliens ce jour là !

Tu regardes alternativement les deux filles... Puis vous éclatez tous de rire tandis que tu te déplaces tranquillement sur ton filet, gagnant une extrémité afin de te laisser souplement retomber sur le sol. Et voilà le travail. Un grand sourire étire tes lèvres tandis que les filles continuent à rire. Elles voient bien que tu es épuisé mais quelques plaisanter, même à votre manière, fait du bien. Il est vrai que tu te fais rarement mal en faisant des figures. Tu tombes régulièrement, quelques magnifiques hématomes décorent régulièrement ta peau mais tu ne te casses jamais rien. Par contre, ce qui se voit sur ton corps, ce sont de multiples cicatrices, héritées de tes séances de domptage. Les félins jouent un peu trop facilement avec toi et parfois ils ne sont pas très coopérants. Alors comme les plus vieux ne te craignent pas, ils n’hésitent pas à griffer ou à mordre quand quelque chose leur déplait.

Vous regagnez donc tranquillement votre caravane, laissant Tayler regagner la sienne. En chemin, vous croisez Kenneth qui s’entraîne à lancer ses couteaux. Un simple regard échangé et la température semble descendre d’une dizaine de degrés. Étrangement, ton frère et toi ne vous entendez absolument pas. Peut-être parce que, de la fratrie, il est le plus proche de votre père et que tu ne t’entends pas avec celui-ci. Peut-être parce que tu ne supportes pas le fait qu’il essaye de te diriger sous le simple prétexte qu’il est plus vieux que toi. Tu as trop l’impression qu’il te juge pour ton comportement, pour ton tempérament joyeux et quelque peu gamin, pour tes passions dangereuses. Et tu détestes cela. Ni l’un ni l’autre vous ne vous supportez, alors autant que possible vous évitez de vous retrouver dans la même pièce, à proximité. La dernière fois que c’est arrivé, la glace a été brisée. Les insultes ont fusées, puis vous en êtes venus aux poings. Aux couteaux aussi, puisque l’un comme l’autre vous maîtrisez ces objets à la perfection et que vous en avez toujours un sur vous. Raison pour laquelle on fait tout pour vous tenir éloignés. Les joies de la famille quoi... Tu secoues la tête et décide de l’ignorer. Tu dois aller faire tes devoirs. Mais avant... Douche ! Ah, non, ta camarade y est, alors tu vas devoir patienter.

Pénétrant dans la caravane, tu vas aller te laisser tomber sur ton lit, épuisé. Il est déjà 20h30, les parents ne devraient pas tarder à revenir des répétitions eux aussi... Tu soupires et t’empares de ton portable. Deux messages. Un de la ligne, tu supprimes. Un autre de... Teddy. Un nostalgique petit sourire vient étirer tes lèvres et tu reprends la conversations là où vous l’aviez laissée la dernière fois. Elle est loin, la demoiselle... Voilà plusieurs mois que tu ne l’as pas vue. Les portables, c’est utile mais cela ne remplace pas une bonne soirée entre amis... Amie ? Oui. Tu en as bien peu, voir presque aucun en dehors du cirque. Elle fait parti des rares exceptions, avec ses amis qui t’ont accueilli. Ils te manquent... Ton cœur se serre... Tu savais pourtant que tu ne devais pas t’attacher, tu savais que l’éloignement serait très douloureux... C’est le prix à payer pour vivre une vie de nomade : aucune attache, juste ses bagages. Tu l’as bien compris mais, parfois, tu aimerais être un simple adolescent ordinaire... Tu aimerais avoir une chambre à toi, une vrai maison, un lycée avec des élèves que tu connais, une bande d’amis, quelques ennemis à énerver... Tu aimerais être normal... Mais cette réflexion disparaît bien vite. Tu assumes ce prix à payer, parce que ta vie, tu n’en changerait pour rien au monde. En tout cas, pour le moment. À tes yeux... Peut-être qu’un jour, ton avis sera différent... Ne devais-tu pas travailler ? Si, mais au final tu t’endors, téléphone allumé. On te réveillera pour manger.

III : Like a fish in the see

Tu souris en observant les petits pandas roux se sauter dessus, jouant gaiement. C’est ta pause, tu en profites donc pour passer côté visiteur, et non pas personnel du zoo. Qu’est-ce que tu fabriques ici ? Tu n’es pas au cirque, avec ta famille ? Hé bien... Non. Tu as fini par prendre tes distances avec cet univers que pourtant tu adores et que tu ne renies pas le moins du monde ! D’ailleurs, le soir, tu refais tes exercices de contorsionniste. Tu dois garder tes capacités pour le jour où tu y retourneras. Si tu y retournes... Hé oui, tu commences à avoir des doutes... Pour quelle raison ? Hé bien, disons que tu as trouvé des avantages non négligeables à une vie sédentaire : tu peux avoir de vraies relations avec les gens, tu as une vie stable, joyeuse, agrémentée de nombreuses découvertes et de beaucoup d’apprentissage. Au sein du zoo de Columbus, tu découvres de nouvelles habitudes, comment les soigneurs s’occupent de leurs animaux et tu retiens le tout pour ton retour. Un animal heureux est un animal diverti et en bonne santé, avec suffisamment d’espace vital. Tu as retenu la leçon mais encore te faut-il l’appliquer... Enfin.

Un léger soupir t’échappe avant que tu t’éclipses. Tu vas fouiller dans les cuisines afin de trouver assez de viande pour ta propre bestiole. Les responsables ont été sympathiques, ils t’ont donné le droit de l’amener avec toi au travail. La pauvre s’ennuierait toute seule en attendant de te voir rentrer. Et puis, tu n’as guère envie de la laisser seule là-bas avec le chat de ta colocataire. Colocataire... Et petite amie aussi. Oui, voilà ce qui t’a aussi décidé à laisser ta vie de nomade de côté : elle. Les relations à distance, cela va un temps mais pas toujours. Et toi tu as fait ton choix : tu veux être avec elle. Tu ne l’as pas regretté, tu es tout ce qu’il y a plus heureux. Même s’il est vrai que ton cœur reste épris de liberté, de grands espaces, tant que tu es avec elle, tu parviens à enfermer ce désir. Parce qu’elle est plus importante que ces petites habitudes que tu as pris au fil de ces années sur la route. Oh que oui, bien plus importante... Tu en as presque des étoiles dans les yeux. Mais reprends-toi un peu, tu la verras ce soir.

C’est tout de même à contre-cœur que tu t’arraches à tes pensées pour filer dans les coulisses, le repas de ta camarade à poils dans un sac. Et en ouvrant la porte d’un des enclos de réserve... Un léopard te saute dessus. Sous le poids de l’animal, tu tombes au sol, écarquillant les yeux. Oui, c’est bien ta seule et unique réaction : écarquiller les yeux. Avant d’éclater de rire en sentant une langue râpeuse passer sur ton visage puis sur tes mains. L’animal est en train de te lécher. Sans doute a-t-elle senti l’odeur de son repas sur toi. Toujours est-il que c’est en riant que tu la repousses avant de t’asseoir sur le sol. Ton regard noisette plonge dans un autre, plus animal, ambré.

-Kamaria ! Sale gosse, cesse donc de me sauter dessus comme ça !

Le félin te regarde une seconde puis se frotte à toi, exactement comme un énorme chat. Tu ris alors de plus belle, passant les mains dans son doux pelage. Magnifique animal. Et celui-ci est le tien. Cette magnifique femelle t’appartient, ton oncle te l’a offerte pour tes 18 ans. Elle n’avait que deux mois mais tu l’as entre les mains depuis sa naissance. Elle était une boule de poils si mignonne... Un chaton intenable. Et maintenant c’est un félin sauvage qui t’obéit au doigt et à l'œil. Enfin... Maintenant, du haut de ses 3 ans ½, bientôt 4 ans, elle fait tout de même son indépendante. Si elle ne veut pas obéir, elle ne le fera pas. Elle t’a déjà griffé ou mordu, mais fort heureusement jamais attaqué. Ni toi ni Teddy, tu y as personnellement veillé. Une main de fer dans un gant de velours, voilà ce que tu es avec tes animaux. Tu les aimes mais tu es le maître et il n’y a pas à contester. Heureusement, elle a un bon caractère, cette demoiselle tachetée... Mais tu ne la laisses jamais seule avec le chat, on ne sait jamais. Un léopard ne se domestique jamais réellement. Mais tu n’as pas tellement le temps de t’occuper d’elle, il faut que tu sois à l’autre bout du parc d’ici un quart d’heure. Tu déposes alors la viande et tu la regardes se jeter dessus. Incroyable, on dirait qu’elle n’a pas mangé depuis une semaine alors qu’elle en a eu autant hier et un peu ce matin. Des mains passent encore un peu dans son pelage, viennent effleurer la chaîne qui lui sert de collier... Puis tu t’éclipses quand elle ne fait plus assez attention à toi. Ou en tout cas, qu’elle fait semblant de ne plus t’accorder la moindre attention.

Tu repars donc dans les allées du zoo. Où te rends-tu cette fois ? Du côté des reptiles. Tortues, crocodiles, lézard, serpents... Tu n’avais jamais été en contact avec de telles créatures avant, ou presque. Apprendre à les manipuler, à les comprendre est aussi quelque chose de très instructif. Quelque chose te revient en mémoire. Le vétérinaire a examiné Kamaria et à voir son rapport, elle est en excellente santé. Normal. Ce à quoi tu ne t’attendais pas, c’est qu’il te propose de la présenter aux autres léopards. Programme de reproduction a-t-il dit. Tu ne t’es pas encore décidé... C’est faisable mais est-ce réellement une bonne idée ? Tu n’en sais rien. Il faut que tu appelles ton oncle pour lui demander conseil. Chaque chose en son temps. Tu presses le pas, il est grand temps que tu arrives. Ah, minute. Tu piles net et sort ton portable. Hé oui, un message de Faye. Ta sœur t’envoie des messages tous les jours. Tu gardes contact avec la famille. C’est essentiel. Tu prends donc le temps de la rassurer, de lui écrire que tu vas bien, tu lui fais un très bref résumé de ton emploi du temps puis tu éteins l’objet. Tu le rallumeras plus tard. C’est une journée comme une autre. Un petit quotidien dans lequel tu t’enfonces aisément. Comme un poisson dans l’eau.

IV : Alone with a leopard

Enfin, un village. Tu presses un peu le pas, pressé de de trouver un toit pour la nuit. Voilà des jours que tu marches dans le froid, te reposant très peu. Tu ne peux pas te permettre de t’arrêter sur la route, tu le sais bien, le froid t’engourdirait et tu risquerais de ne jamais te réveiller. Il est hors de question que tu abandonnes. Tu as trop de choses à faire, trop de personnes à retrouver pour te poser quelque part et te laisser aller, abandonner. Alors tu marches. Depuis des jours, des mois, des semaines. Depuis l’invasion des aliens, depuis que tout ton petit univers s’est retrouvé chamboulé. Ah, elle est bien loin cette petite vie dans laquelle tu t’enfonçais confortablement. Il est bien loin ce joyeux petit quotidien que tu aimais tant... Adieu Columbus, adieu tout ce que tu connaissais... Tu as tout perdu... Tout... Et tu te sens tellement mal depuis tous ces mois... Avant, tu ne t’étais jamais retrouvé seul. Jamais. Et maintenant... Tu n’as plus le choix, il faut que tu fasses avec ta situation.

Kamaria tire sur sa chaîne, te faisant accélérer encore le pas. Un léger sourire vient étirer tes lèvres... Tu n’as pas tout perdu, elle est encore là, elle. Elle t’accompagne, chasse pour deux, même si parfois c’est énervant de lui piquer ses proies vu qu’elle les amène toujours dans un arbre. Comme tout bon léopard qui se respecte quoi. Elle te tient aussi compagnie et te réchauffe lorsque les nuits se font trop froides. Tu fais quand même plus attention qu’avant, elle ne mange pas à sa faim et si jamais elle commence à considérer que tu ferais un repas convenable, elle pourrait réellement t’attaquer. Jusqu’à présent tu es toujours resté le "dominant", tu la rappelles à l’ordre lorsqu’elle l’oublie, mais tu n’échappes pas à quelques blessures. Le prix à payer pour vivre avec un animal presque sauvage. Actuellement, tu boîtes légèrement d’ailleurs. Merci à ses griffes sur ta jambe. Enfin, au moins, tu n’es pas entièrement seul et c’est tout ce qui compte à tes yeux.

Vous êtes enfin dans la ville. Du regard, tu cherches une habitation qui ne semble pas avoir été fouillée. Difficile, depuis le temps que les humains sont en fuite, les pillages sont monnaie courante... Enfin, avec un peu de chance, tu trouveras quelque chose d’intéressant. Les minutes passent, Kamaria s’agite. A-t-elle senti quelque chose ou quelqu’un ? Tu l’ignores mais tu resserres un peu plus ta prise sur sa chaîne... Elle a déjà tué des personnes, tu aimerais éviter de continuer le massacre. Dire qu’au départ tu n’avais pas compris que c’était un... Host ? Oui, c’est le terme. Tu n’avais pas compris. Ce n’est que lorsqu’il l’a avoué à demi-mot que tu as pris peur. C’est à ce moment là qu’elle lui a sauté à la gorge. Tu n’as pas bien compris pour quelle raison. Sans doute sentait-elle son agressivité, ta peur et ses craintes vis-à-vis d’elle... C’est ce que tu supposes, pour expliquer la raison de son geste. Elle n’avait jamais sauté à la gorge de quelqu’un. Un seul coup de crocs a suffit. Tu as pris la fuite avec elle. Tu t’en souviens encore, tu as peur que cette image te hante à jamais... Les autres moins, mais c’était la première fois qu’un tel accident arrivait... Après, tu n’existerais très certainement plus si elle n’avait pas été là mais quand même, tu en es sorti limite traumatisé. Tu secoues la tête, ne plus y songer.

Finalement, au détour d’une ruelle, tu t’arrêtes. Une maison aux vitres apparemment intactes. Bien. Tu avances jusqu’à la porte que tu essayes de faire céder... Peine perdue. Tu n’as pas envie d’utiliser un flingue pour faire sauter la serrure. Alors... Tu essayes de forcer la porte ? Hum... Ex-pickpocket ne veut pas dire petit voyou forçant les serrures. Tu ne sais pas faire. Tu dois donc trouver autre chose. Hum... Tu regardes Kamaria. Elle te regarde. Et tu souris. Par moments, tu en oublierais qu’elle n’est pas humaine, puisqu’elle tire sur sa chaîne. Tu as compris le message, tu lui retires donc celle-ci... Avant de la balancer de toutes tes forces dans une vitre. Cette dernière explose alors en mille morceaux, quelques uns venant s’incruster dans ta peau. Idée stupide mais efficace. Le félin se retrouve bien vite dans tes bras et tu la vais passer à l’intérieur du bâtiment, histoire qu’elle ne se coupe pas les pattes avec des morceaux de verre. Puis tu la suis, atterrissant souplement de l’autre côté. La lourde chaîne retrouve sa place autour du cou de l’animal puis tu pars en mode exploration.

Au final, tu ne trouves pas grand chose d’intéressant. Quelques boîtes de conserve, ce qui était dans la frigo a moisi, de quoi te dégoûter. Pas ta camarade à quatre pattes apparemment, vu comment elle se lèche les babines. Beurk... Dégoûtant. Tu la laisses faire comme elle veut te va plutôt et laisser tomber sur le canapé. Tu as bien envie de t’endormir là, maintenant, tout de suite, mais tu iras explorer les chambres avant. Si Morphée ne passe pas avant... Non, il ne passera pas. Tu te lèves dès que tu sens tes yeux se fermer tout seuls. Tu explores, à la recherche de quelque chose, n’importe quoi. Un objet utile... Une chambre. Un lit deux places. Il semble très confortable. Tu ne peux t’empêcher de penser à ton séjour à Paris, il y a déjà quelques années... Juste avant que tu t’installes à Columbus... Tu y étais parti avec Teddy... Vous aviez beaucoup exploré la ville, elle s’était moquée de toi sur des patins à glace, tu l’avais fait rire avec tes commentaires idiots au musée du Louvre... L’Opéra Garnier, la tour Eiffel, l’arc de triomphe, les bateaux-mouche et tout... Tout ce temps avec elle... C’était tellement... Tellement magique... Cette période te manque... Elle te manque... Pourquoi étais-tu sur la route ce fameux jour ? Pourquoi n’étais-tu pas avec elle ? Tu t’en veux affreusement... Tu rentrais voir ta famille... Tu ne les as pas trouvés, et elle était tout autant introuvable. Alors depuis, tu cherches. Encore. Toujours. Est-elle toujours en vie ? Tu l’espères sincèrement... Et si elle l’est, va-t-elle bien ? N’a-t-elle pas trop de problèmes ? Elle sait se débrouiller, mieux que toi, mais tu ne peux t’empêcher de te faire un sang d’encre... Ta famille, quant à elle, tant qu’ils restent ensembles, ils peuvent tout surmonter alors tu ne t’inquiètes pas trop...

Tu secoues un coussin, de la poussière s’en envole... Puis tu le poses sur ta tête et tu hurles dedans. Tu hurles ton inquiétude, cette solitude qui te pèse trop, tu hurles pour extérioriser tout ce qui ne va pas. Comme un gamin. Tant pis, il n’y a personne pour te juger. Enfin, à part Kamaria qui te regarde, quelques morceaux de viande avariée accrochés aux moustaches. Beurk. Tu espères qu’elle ne sera pas malade... Tu soupires et la laisse s’installer sur le lit. Avant, elle n’entrait pas dans la chambre mais à présent, tu n’as pas le cœur de le lui refuser... Alors quand elle se roule en boule à côté de toi, tu retires la nourriture de ses moustaches puis tu t’installes contre elle. Un gros chat qui te tient bien chaud... Cette fois, tu t’endors, bercé par les battements rapides de son cœur. Et tu espères ne pas avoir droit aux cauchemars cette fois...

... Rigel ? :D