Le monde entier semblait s'être arrêté de tourner. Plongée soudainement dans l'obscurité Avery ne réagit pas tout de suite. Elle était restée immobile quelques secondes alors que la cage en métal venait d'arrêter sa course dans le vide , piégeant les deux hosts présents à son bord dans une prison éphémère. Seule une faible lumière éclairait encore le lieu. Le silence devenait pesant à mesure que le temps passait et laissait envisager aux deux passagers qu'ils allaient passer un long moment ici. La soirée commençait bien.

22 minutes plus tôt- Appartement d'Avery

« Inutile de me regarder comme ça. » Son regard scrutait depuis quelques instants déjà la pauvre orchidée fanée qui trônait lamentablement dans le pot en céramique déposé sur la table. La fleur agonisait depuis des jours sans que personne ne lui accorde un regard. Avery n'avait jamais vraiment été douée avec les plantes mais elle s'évertuait à en encombrer son appartement. A croire que les laisser mourir lentement était devenu une distraction pour elle. Les pauvres fleurs voyaient leur durée de vie réduite à quelques jours, parfois quelques semaines si elles étaient chanceuses. Mais malgré ces meurtres à la chaîne reflétant un certain échec côté jardinage, la jeune femme ne cessait de remplir à nouveau ses meubles de nouveaux vases et pots colorés. Voir la petite orchidée blanche tomber en lambeau devant elle ne l'avait étrangement pas étonné et ne lui avait laissé échapper qu'un soupire las. Elle avait fini par avoir l'habitude de ces petits enterrements hebdomadaires et l'activité apparaissait presque aux yeux de certains de ses voisins comme un rituel déconcertant.

Avery détourna son regard de la plante en se pinçant légèrement la bouche. Elle venait à peine de rentrer du quartier alien et se sentait soulagée de se retrouver enfin seule chez elle. Ces derniers jours avaient étés lassants, le froid hivernal semblant interminable et les arrivées d'humains diminuant à vue d’œil. Son corps devenait las de ce temps et de cette atmosphère glaciale et ne donnait qu'une maigre volonté quotidienne. Des éléments qui avaient tendance à rendre ses journées de travail monotones. Heureusement Avery trouvait toujours une forme d'occupation, comme surveiller Jaymes alors qu'elle fouinait dans son travail comme un vautour prêt à venir se servir à chaque instant. Seulement pour ce soir il lui fallait trouver une autre occupation qui la maintiendrait en éveil. Son manteau encore sur les épaules elle attrapa le cadavre de l'orchidée avant de se diriger en direction de la porte d'entrée. Tout était calme dans le couloir de l'immeuble. Le ciel sombre qui sommeillait à l'extérieur ne laissait traverser aucune lumière dans le grand bâtiment qui se retrouvait plongé dans le noir. Avery appuya furtivement sur l'appel de l'ascenseur pour finalement se rendre à l'évidence qu'elle irait plus vite à pieds. Ses pas résonnèrent contre les marches en pierre tout en faisant tournoyer son corps sur la spirale que formait l'enchaînement des marches. Sa fleur dans les bras elle se demandait elle même où elle allait. Il était déjà 20h00 et la plupart des commerces avaient fermés leurs portes. Cette affirmation s'avéra encore plus vraie une fois qu'elle sortit de l'immeuble. Les vitrines des rues étaient éteintes et n'affichaient que les lumières nocturnes qui tiendraient éveillé les lieux. Tout était si calme que la ville apparaissait presque comme une ville fantôme. La pluie mélange de neige et d'eau avait elle même prit d'assaut les rues, semblant glacer un peu plus l'air. La host se dirigea rapidement vers une poubelle un peu plus loin pour se séparer du fardeau qu'elle tenait dans les bras. Son regard s'arrêta sur une petite enseigne de sandwicherie à quelques mètres d'ici. Elle n'avait aucune envie de passer derrière les fourneaux ce soir et le petit commerce allait lui permettre d'éviter la catastrophe culinaire qui découlerait de deux heures passée à tenter de faire cuir un plat concocté au hasard.

* * *

Ce fut sans doute ces quelques minutes qu'elle avait prit pour éviter de cuisiner qui auraient pu lui permettre, si elle était remontée directement à son appartement, d'éviter chaque événement qui allait suivre.

Si elle n'avait pas prit l'ascenseur ; si elle n'avait pas couru sous la neige pour atteindre l'immeuble; si elle n'avait pas laissé passer la femme qui était arrivée en même temps qu'elle à la sandwicherie avant elle ; si elle était remontée à son appartement pour cuisiner ; si elle n'était pas descendue dans le hall de l'immeuble par les escaliers ; si elle n'était pas une meurtrière d'orchidées...

Avery se précipita vers l'ascenseur avant que les portes ne se referment. Si elle était descendue par les escaliers, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle prendrait la bonne résolution de se dépenser en montant les quatre étages qui la séparait de son immeuble à pieds. Elle adressa rapidement un regard à l'homme qui se tenait déjà dans l'habitacle, accompagnant celui-ci d'un simple sourire destiné à le saluer. La complicité qui avait liée quelque peu les hosts durant la période humaine avait fini par s'évanouir une fois l'invasion déclarée. La jeune femme se contenta d'appuyer sur son étage avant de venir s'adosser au miroir posé contre une des parois. Avery n'avait jamais vu ce host et le détailla furtivement en se demandant ce qu'il venait faire ici. Elle ne jugea pas utile de lui adresser la parole pour le questionner sur les raisons qui le poussait à être ici, le silence étant étrangement plus rassurant. L'ascenseur enclenché, il s'éleva dans le vide après une sonnerie mélodieuse. Il ne lui fallait que quelques secondes pour atteindre le quatrième étage. Quelques secondes qui suffirent à l'engin pour arrêter sa course et coincer ici les deux étrangers.

« Génial. » Le ton ironique de son chuchotement rompit un instant le silence. L'ascenseur n'était pas prêt de redémarrer et ne sachant pas quelle était la cause de ce soudain changement, Avery eu comme seul réflexe d'enclencher l'alarme destinée à l'ascenseur. Aucun son ne répondit à son appel. La technologie humaine avait ce fâcheux défaut d'être imparfaite. « A quoi ça sert d'installer une communication d'urgence si ça ne marche pas ? » Entêtée elle appuya à nouveau plusieurs fois sur le bouton, finissant par glisser ses doigts un peu partout sur l'écran. Elle se souvenait bien sur des scénarios similaires dans les films d'action mais se demandait réellement s'il était possible de grimper au dessus de l’habitacle pour escalader à mains nues le tunnel horizontale qui se présenterait à elle et ouvrir les portes métalliques de l'étage d'au dessus. L'idée était peut être ingénieuse sur grand écran, elle en devenait pourtant pas si intelligente que ça dans la réalité. « Je crois qu'on est bloqués ici pour un petit moment. » La host se tourna vers l'homme qui l'accompagnait avec un sourire qui retraçait sur le moment plus de frustration que de joie.

Si Freddy les Griffes de la nuit avait été doté d'un certain charisme dans l'obscurité, un des films d'horreur les plus reconnus au monde aurait sans doute prit une tournure bien plus suggestive que sur le script initial.

Baisser les yeux et cesser de le fixer la bouche entrouverte. Sans doute ce qu'elle aurait dû faire avant que son regard ne devienne persistant et presque déstabilisant. Il lui fallut pourtant quelques secondes pour prendre conscience que la requête de l'homme avait été demandée sérieusement. Elle et ses chips au fromage n'étaient pas les seuls à avoir abusé des films d'action le dimanche soir. Qu'était-elle censée faire là haut ? Tenter d'ouvrir les grandes portes métalliques du 5ème étage à bras nus ? En espérant bien entendu que l’ascenseur ne se décide pas à redémarrer sans prévenir pour lui faire faire un tour de manège. Le plus raisonnable était d'attendre sagement que le tout redémarre en espérant que quelqu'un prenne conscience que peut être des personnes étaient restées bloquées dans la grande cage en acier. Une idée qui traversa la tête d'Avery avant qu'elle ne se rende elle même à l'évidence qu'aller explorer ce qui se cachait au delà de la trappe avait quelque chose de risqué et d'excitant. Dans cette scène elle n'aurait cas jouer la jeune femme fragile et apeurée face à la situation sans que le héros à ses côtés ne se rende compte qu'elle est en réalité du côté de l'ennemi. Ce rôle avait quelque chose de plaisant mais quelque part elle s'imaginait que le host qui lui faisait face avait plus l'allure du grand méchant que l'on poursuit plutôt que du héros que l'on acclame pour ses gestes envers l'humanité. Quoi qu'il en soit c'était à elle de grimper là haut. Elle se voyait de toute façon mal lui faire la courte échelle. Sur ces pensées elle glissa ses pieds hors de ses chaussures et s'approcha en dessous de la trappe. « Je monte si vous ne touchez pas à mon sandwich. » Son doigt accusateur se pointa sur l'homme tandis qu'elle haussait les sourcils. Il y avait peu de chance pour qu'il comprenne réellement l'absurdité de ses pensées mais cette réflexion personnelle était loin de décourager ses paroles saugrenues.

Avery baissa alors son regard sur les mains de l'homme, lui faisant comprendre qu'elle était prête 'jouer les alpinistes' comme il le disait si bien. Seulement ses yeux s'arrêtèrent sur les reflets lumineux qui se glissaient telles des ombres contre ce qui paraissait s'apparenter à des doigts métalliques. La jeune host fixa en silence le membre sculpté qui se dessinait dans la pénombre avec désinvolture, ne se souciant guère de l'expression qui pouvait se refléter sur son visage. Elle était surtout surprise de voir pour la première fois de sa vie une main robotisée et étonnée de ne s'être pas rendue compte tout de suite de ce flagrant détail. Elle se souviendrait que les mains se devaient d'être la première chose à observer chez un inconnu. Bien entendu elle se posa à elle même la question que tous ceux qui avaient croisés le chemin de l'homme s'étaient sans doute posée. Il n'y avait pas de mode d'emploi spécifique pour engager cette conversation et semblant se détourner de son objectif premier, Avery adopta une allure plus décontractée en lui posant ouvertement sa question sans prendre la peine d'y introduire de la subtilité. « Que vous est-il arrivé ? » Elle marqua une pause de quelques secondes à peine avant de continuer avec affront. «  Je peux toujours essayer de vous faire la courte échelle si vous n'arrivez pas à me la faire.  » Eléanore et son goût prononcé pour le risque et l'aventure aurait adorée cette scène. Seulement cette silhouette passée qu'elle désignait à la troisième personne du singulier avait laissé place à Avery. La host se surprit à repenser à son ancienne enveloppe charnelle de la sorte, elle qui avait toujours cherché à échapper à cette personnalité qui n'était pas la sienne. Elle se demanda alors si l'accident qui avait provoqué l’amputation du membre de l'homme était survenue avant ou après son implantation. Une question qu'elle ne posa pas, lui donnant une chance de l'éclairer assez pour l'empêcher de lui poser une multitude de questions auxquelles il ne voudrait peut être pas répondre.

Tu as toujours le temps de rectifier le tire, si celui-ci n'a pas été tiré à bout portant dans la poitrine de la personne qui te fait face. Espérons pour toi que tu as des talents de chirurgienne.

Difficile de se taire quand on ne connaît ni la définition de la subtilité, ni celle de la bienséance. En commun accord avec sa conscience, Avery se mordit la lèvre en le regardant, se rendant à l'évidence qu'elle avait peut être trop parlé. Derrière cette expression de remords, elle ne pu malgré tout s'empêcher d'esquisser un faible sourire face à sa réaction. Celle-ci rompait totalement l'image inviolable qu'il lui avait laissé paraître. Sa petite remarque n'avait pas été glissée dans la conversation avec pour objectif de le mettre mal à l'aise et s'était révélée plutôt amusante à ses yeux avant qu'elle ne se décide à la faire partager, mais elle semblait pourtant avoir atteint cet aspect inattendu. Avery prit tout de même la peine de ne pas afficher un air qui aurait pu être mal interprété. Elle fit profil bas pendant qu'il digérait ses mots, restant immobile et sans chaussures à le regarder calmement. Ses paroles lui avaient sans doute valut de baisser dans l'estime d'un homme qui ne la connaissais depuis seulement quelques minutes et qui devait se demander ce qu'il avait fait pour se retrouver dans cette situation. « On devrait plutôt trouver un moyen de sortir. » L'atmosphère pesante qui s'était installée n'allait pas faire dire le contraire à Avery. Elle acquiesça d'un signe de tête avant de détourner son attention vers l'interphone grommelant à leur intention. Surprise et déconcertée elle s'approcha de l'objet qui s'adressait à eux de façon inaudible pour prendre la parole. « Est-ce que vous m'entendez ? J'habite dans l'immeuble et je suis bloquée avec une deuxième personne dans l’ascenseur. Est-il possible d'envoyer quelqu'un pour nous sortir d'ici ? »

La réponse de l'interphone se traduisit en quelques mots détachés les uns des autres par le bruit des grésillements de l'appareil. « ###courant###normale###pas paniq###secondes###. » Un instant muette face au silence qui suivit, la jeune femme se tourna vers son compagnon de cellule en haussant les sourcils. « C'est un plaisir de parler avec lui. » Elle s'approcha de ses chaussures pour les remettre avant de tendre son bras vers son sac pour le replacer sur son épaule. « Je pense qu'ils ne vont pas tarder. »Tant pis pour l'escalade de l’ascenseur, il y aurait bien d'autres occasions pour s'initier aux sports extrêmes. Avery s'approcha de l'homme avant de lui tendre la main de façon à ne pas s'adresser à celle qui lui manquait. « Je m'appelle Avery. Je m'excuse si mon manque de subtilité t'as offensé. » Honnêtes ou non ses excuses mettaient en avant son envie de repartir sur de bonnes bases avec lui même s'il n'avait jamais été question du contraire. Surtout s'il se révélait être un de ses voisins, chose qu'elle ne s'était pas réellement mit en tête jusqu'à présent. Elle lui sourit avant de continuer. « Je t'ai jamais vu dans l'immeuble, tu habites ici ? » La faible lumière qui les avaient bercés jusqu'à présent laissa place à la luminosité incandescente de l'habitacle reprenant ses droits sur le lieu. Revoir un semblant de détails dans ce décors aveugla momentanément Avery qui cligna des yeux en s'adossant à la parois qui se dressait à côté d'elle. Une petite secousse éleva l’ascenseur de quelques centimètres avant que le véhicule improvisé ne s'arrête à nouveau et que les portes ne s'ouvrent enfin sur l'extérieur. Tant d'attente pour quelques centimètres. Prendre les escaliers lui aurait évité pas mal de désagréments. Elle ne ressentait pour autant aucun énervement et regrets à l'idée que ce simple choix lui avait fait perdre une bonne partie du temps qu'elle aurait consacré à tourner en rond dans son appartement. Cela n'avait finalement révélé qu'une simple panne de courant. Sans doute ce que tentait de lui expliquer l'interphone sans qu'elle n'en comprenne un mot. Personne ne les attendaient à l'étage et le couloir était aussi silencieux que par son habitude. C'était comme retrouver un semblant de réalité alors qu'elle s'était imaginé les pires scénarios possibles jusqu'à présent. Wake up.

Éprise de ses pensées Avery n'avait pas prit la peine de répondre à la dernière question qui lui avait été posée. La remise en marche de l’ascenseur avait semblé résonné tel la fin d'un Speed Dating improvisé et elle se retrouvait là, hésitante devant les prochains choix qui s'offraient à elle. Il était tant de quitter la compagnie de  "Wade, Voisin du 9ème" pour se replonger dans le quotidien des soirs de semaine. Adoptant une expression moins rêveuse elle fit quelques pas en avant pour se libérer de l'emprise de l'appareil avant de se détourner de son chemin et de s'adresser une dernière fois à lui. « Je gère le conditionnement des humains capturés. On aura... » Peut-être l'occasion de se revoir. Elle se tu en croisant son regard, abasourdie par la tournure que venait de prendre la scène. « Je vais avoir besoin de toi. » N'ayant pas tout de suite entendu ses paroles cette seule phrase lui revint à l'esprit. Sérieusement... Il n'aurait pas pu attendre d'être chez lui pour faire je ne sais quel malaise ? Une pensée qui lui traversa l'esprit une fraction de seconde et qui marquait les limites de la bonté d'Avery. Bien sur elle n'allait pas le laisser agoniser sur le marbre et une certaine panique se lu dans son regard alors qu'elle le détaillait, seulement elle n'avait pas prévu de s'improviser infirmière pour cette soirée. Elle laissa les anses de son sac glisser contre son épaule pour se retrouver en équilibre sur son avant bras avant de s'approcher de lui. Elle tentait de ne pas montrer qu'elle ne savait absolument pas quelle réaction adopter face à lui, ne comprenant pas même quel mal venait le faire souffrir. Malheureusement pour elle il ne semblait pas en état de lui faire une thèse détaillée sur ce qui ne tournait pas rond chez lui. Inspirant dans l'espoir qu'une bouffée d'air frais lui donnerait la réponse elle se plaça à ses côtés et glissa sa main sur ses côtes un peu hésitante à l'idée de faire un geste de travers. « Ok... Alors pour commencer je vais t'aider à sortir de là avant que tu finisses en sandwich entre les deux portes de l’ascenseur. » Elle jugea inutile de préciser la suite, celle-ci restant encore flou dans sa tête. Elle passa son bras dans son dos afin de l'aider à se tenir debout en espérant quand même qu'il n'allait pas se servir d'elle comme d'une béquille car dans ces conditions elle n'était pas certaine de ne pas finir écrasée sous son poids.

Elle alluma la lumière du couloir de sa main libre et l'entraîna un peu plus loin pour finalement l'aider à s'asseoir sur la première marche des escaliers. Elle s'accroupit face à lui, le regard à la fois animé de perplexité et d'inquiétude. Elle aurait voulu pouvoir mettre en pratique les gestes de premier secours qu'elle n'avait jamais pratiqués mais qui lui restait en mémoire, seulement il ne présentait aucun des symptômes nécessitant l'utilisation de ces soins ce qui rendait sa présence d'autant plus inutile. Elle aurait également souhaité s'excuser de ne pas être assez compétente en médecine pour réellement l'aider mais l'heure n'était pas aux excuses et plutôt que de le bombarder de plaintes elle jugea plus utile de se concentrer sur lui. « Tu as mal où exactement et qu'est ce qu'il faut que je fasse ? » Elle se sentait assez stupide de poser cette question mais quelque part elle n'avait pas d'autres choix. Elle serait un des premiers médecins à demander à son patient sous anesthésie durant une opération à cœur ouvert qu'elle démarche elle devrait envisager. Il semblait pourtant plus empreint qu'elle à trouver les solutions à ce problème. Une idée lui vint tout de même à l'esprit. « Ce ne serait pas mieux que j'appelle quelqu'un ? » Merveilleuse idée qui lui permettrait d’amoindrir sa culpabilité s'il venait à mourir sur le pallier de sa porte. Elle se rendit compte qu'elle avait posé sa main sur sa jambe, preuve irréfutable qu'elle ne savait pas quoi faire de ses mains. Arrêter de les poser n'importe où en s'imaginant que sa douleur passerait serait sans doute une bonne idée. Elle les retira rapidement pour les poser sur ses genoux avant de continuer. « Tu serais mieux si je t'emmenais à l’intérieur non ? » Elle lui désigna la porte de son appartement. Pour quelqu'un qui s'était promis de ne pas l'assaillir de paroles.

Elle se sentit soulagée une fois qu'il fût amené chez elle. L'appartement lumineux offrait une meilleure visibilité et c'était toujours plus confortable pour lui d'être assis dans son canapé que d'être accroupi dans les escaliers de l'immeuble à souffrir le martyr. Un luxe qu'elle pouvait lui offrir à défaut de ne pas incarner son rôle d'aide soignante à la perfection. On faisait bien entendu l'impasse sur la négligence d'Avery pour le rangement. Un détail pour le moins minime face à la scène qui se déroulait chez elle. « Il faudrait aller chercher ce qu'il faut dans mon appartement. Tu pourrais faire ça ? » Elle acquiesça docilement de la tête en le regardant brièvement dans les yeux pour lui montrer qu'elle l'écoutait, son regard se reportant aussitôt sur les mouvements de son bras. « Au 903. Dans la salle de bain y'a une boite en plastique sur l'étagère, faudrait me la ramener. » Elle attrapa les clefs qu'il lui tendait et abandonna ses affaires au sol. « Je me dépêche.  »  Les trois derniers mots qu'elle lui souffla pensive avant de disparaître hors de l'appartement.

Elle était inquiète de le laisser seule. L'idée de le retrouver mort en revenant fièrement avec sa boite en plastique lui provoquait quelques frissons. Une pensée qui aussi macabre soit elle, serait venue à l'esprit de n'importe quelle personne dans cette situation. Ce qu'elle s'imaginait. Elle en gardait malgré ça son sang froid. Elle gravit les cinq étages à pieds, refusant de risquer une nouvelle fois d'être bloquée dans l’ascenseur et ne se voyant pas attendre le neuvième étage avec la musique qui résonnait gaiement dans ses hauts parleurs vu l'urgence. Une montée d'escaliers qui s'apparentait plus à une épopée légendaire qu'à une promenade de santé. Elle aurait gagné du temps en changeant de chaussures tout en évitant de faire souffrir un peu plus son dos mais ne s'était pas posé la question avant d'avoir vécu l'expérience d'un marathon en talons. Sans compter qu'elle avait gagné la responsabilité d'aider Wade à elle seule. Ils étaient nombreux à vivre ici mais aucune trace de vie ne venait la réconfortée dans l'idée que quelqu'un d'autre viendrait l'assister. Elle se débrouillait généralement sans l'aide de personne, mais exceptionnellement voir quelqu'un s'arrêter pour lui demander si elle avait besoin d'aide n'aurait pas été de refus. Peu importait à présent. Elle n'avait plus que le numéro 903 en tête accompagné de l'image de la boite qu'elle avait la mission de rapporter à son propriétaire. Avec empressement elle déverrouilla la porte orné du nombre 903 et entreprit de retrouver la salle de bain. Les appartements de cet immeuble avait généralement le même genre de configuration ce qui lui facilita la tâche. Elle se délesta de la curiosité qui voulait lui faire détourner les yeux de son objectif premier et s'empara de de la boite en plastique qu'il avait décrit précédemment. Elle n'avait pas le temps de découvrir le monde dans lequel il vivait aussi intéressante puisse être l'expérience. A première vue il n'y avait de toute façon aucun objet personnel susceptible de la faire sourire, l'atmosphère ambiante ne lui laissant aucune impression particulière. Sous l'empressement qu'elle s'évertuait à avoir elle en oublia de verrouiller la porte derrière elle, se retrouvant déjà en bas des escaliers alors que celle-ci venait à peine d'être fermée. Ça faisait également partit des détails.

Un soupire de soulagement s'échappa d'entre ses lèvres à l'instant même où elle posait son regard sur Wade. Il était encore là avec ses couleurs d'homme vivant malgré sa mine malade et respirait également. « Je l'ai.  »  Il s'en était sûrement rendu compte seul mais elle s'était sentit obligé de dire quelque chose pour marquer son retour, pour le rassurer peut être même s'il maîtrisait bien mieux la situation qu'elle. « Tu veux bien attacher ça à mon bras ? et bien serrer. » Elle s'exécuta en s'asseyant à ses côtés et remonta la manche de l'homme le plus haut possible pour lui appliquer la sangle. Il prit lui même la suite en charge, se soignant comme si cette situation était une habitude. Avery en resta une seconde perplexe. Elle répondit à son sourire par un autre et entreprit de le débarrasser de son matériel pour le déposer sur la table basse devant eux. Finalement il n'y avait rien eu d'insurmontable. « Je sais pas comment j'aurais fais sans toi. Je t'en dois une alors si tu as la moindre idée de ce qui pourrait rembourser ma dette, n'hésite pas.  » Le genre de proposition qui laissait entrevoir qu'elle profiterait sans doute de l'avoir un jour sous la main pour qu'il paye sa dette. Lui dire par hypocrisie que ce n'était rien en lui faisant entrevoir qu'elle ne viendrait pas le voir en lui servant comme excuse qu'elle l'avait une fois aidé serait un mensonge. Aussi désintéressée avait-elle pu être aujourd'hui, elle savait elle même que cette information n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. « Si c'est à moi de me retrouver mal en point dans le couloir j'y penserais. » Avery se redressa, intimant d'un geste à Wade de ne pas bouger, et l'abandonna sur le canapé pour se diriger jusqu'à sa cuisine. Par la fenêtre la ville s'était assombri sans qu'elle ne s'en rende compte, donnant l'impression que l'appartement et ses lumières étaient le dernier refuge à cette obscurité. En silence elle prépara deux tasses de thé latte et profita de ce calme revenu pour abandonner ses chaussures dans un coin. Les tasses fumantes d'arômes de cannelle elle revint vers Wade et lui en tendit une avant de s'installer avec la sienne dans le fauteuil qui lui faisait face. « Je sais pas si tu aimes mais moi j'aime. Puis ça te fera du bien »  Elle s'adressait à lui avec plus de sérieux pour lui épargner ses petites blagues qui ne faisait rire qu'elle alors qu'il se remettait tout juste de son mal. « Ça t’arrive souvent ? »  Loin de vouloir jouer les psychologues elle s'imaginait seulement qu'à présent entrés dans le vif du sujet il répondrait avec plus de facilité à ses questions. Il y avait de forte chances pour qu'elle se fourvoie quant à cette idée, ce qui ne l'empêchait pas d'exprimer ses questionnements. « Je me rends compte que nos existences sont devenues bien plus compliquées depuis que nous sommes sur terre. »  Elle semblait se parler à elle même et se mit à sourire pour contraster avec la solennité de ses paroles. « Ou je me fais des idées. »

Tout était devenu plus calme. Un calme dont elle profitait et qui marquait peu à peu la fin de cette soirée. Sans doute ne lui aurait-elle jamais adressé la parole dans d'autres circonstances et aurait-elle oublié les traits de son visage à l'instant même où elle l'aurait vu. Au final même si elle s'adressait à ceux qui l'entourait avec une assurance déconcertante, elle n'en restait pas moins emprisonnée dans sa propre existence et en oubliait parfois l'essence même de celle des autres. Maladresse ou égoïsme. Une histoire d'équilibre. Wade n'était pas l'homme le plus bavard au monde. Contrairement à elle il ne s’embarrassait pas de futilités et prenait la parole pour en venir à l'essentiel. Une compagnie qui aurait pu se révéler ennuyeuse pour celle qui en disait trop. Mais elle était à l'inverse agréable sans qu'Avery ne sache pour qu'elle raison. Peut être la trouvait il de son côté parfois trop bavarde et impolie. Une chose dont elle s'inquiétait peu. Rien ne le retenait s'il souhaitait lui échapper. A l'entendre elle se disait qu'il devait tout de même apprécier un minimum sa compagnie pour répondre à ses questions même si ses réponses restaient vagues. Chacun avait ses secrets, faciles à dissimuler ou non. Elle s'imaginait la difficulté de vivre dans un corps malade. Une difficulté qui coupait court à l'euphorie de pouvoir enfin vivre sur sa propre planète. Avery ne se permettrait jamais d'affirmer qu'elle comprenait, elle même extérieur à cette situation et ne sachant pas ce qu'il ressentait lui même. Pour cette raison elle ne disait rien et se contentait de l'écouter.

« J'étais médecin avant... ça » Elle sourit dans sa tasse, la chaleur émanant de celle-ci étouffant sa respiration. Un sourire sans compassion, seulement un sourire satisfait. Oui, elle était satisfaite de l'entendre parler de lui sans avoir à lui poser de questions précises. Elle non plus n'avait pas choisit d'être...là. La différence étant qu'avoir été affectée à la base ne lui avait fait ressentir aucune peine ni déception. Seule de la colère envers elle même pour avoir été si inconsciente. Rester à New York ne lui était pas désagréable. Elle regrettait seulement d'avoir perdu une chance de croiser le chemin de Kellian. « Depuis 2003. » Elle marqua une pause avant de continuer. « Mais j'ai été implantée dans le corps de Avery après l'attaque. » Il était distrait, happé par l'obscurité de la ville. La seule qui laissait deviner que l'heure n'était plus aux tasses de thé. « Je devrais rentrer peut-être... j'ai pas envie de m'imposer toute la soirée tu t'es déjà bien assez occupé de moi. » Comme seule réponse elle haussa les épaules, lui faisant comprendre qu'il revenait à lui seul le choix de rester ou non. Mais comme pour se contredire elle rajouta après quelques secondes de silence. « Tu sais où venir si tu as une envie soudaine de thé. Ou que tu ne sais pas quoi faire. » Une dernière condition qu'elle aurait pu appliquer à elle même. Elle déposa à son tour sa tasse et se pencha vers lui en adoptant une position faussement menaçante. « Et puis on a une conversation à terminer maintenant. » Elle aurait pu le retenir, sachant qu'elle passerait le reste de la soirée en compagnie de son dîner improvisé et que discuter de tout et de rien avec lui restait plus intéressant que regarder la télévision. Mais elle ne voulait pas en demander trop et préférait qu'il se repose suite à ce qui lui était arrivé un peu plus tôt. Elle même ressentait peu à peu le contre coup de la fatigue accumulée cette journée.