Je voyais les gens autour de nous vivre et je me rendais compte, de plus en plus, que mon style de vie était totalement différent. Je ne vivais pas complètement comme eux. La plupart des gens de la cohorte savaient se servir d'une arme, savaient se défendre par eux-mêmes. Ce n'était pas réellement mon cas. Plus j'y pensais, plus je me rappelais que j'étais dépendante de mon oncle ou de n'importe qui d'autre du groupe, en cas de besoin. Je savais me servir d'un couteau de cuisine, certes, mais seulement pour couper des carottes et des patates, pas pour les planter dans quelqu'un en cas de danger. J'avais de la difficulté à voir quelqu'un saigner du nez, alors de là à planter quelqu'un, c'était une autre paire de manches. Je savais malheureusement que ce n'était pas dans mes capacités, mais avec le nouveau style de vie que j'avais, je me devais d'apprendre. J'essayais de m'en convaincre à tout le moins. Je voulais m'adapter, ne plus dépendre de tout le monde...je voulais surtout ne plus être effrayée. C'était mon plus gros problème depuis cette invasion.

La peur, elle m'habitait continuellement. Je ne comprenais pas comment je devais me sentir en sécurité auprès de tous ces inconnus, qui commençaient à devenir un peu plus connu depuis le temps. Malgré tout, je ne me sentais réellement en sécurité que lorsque j'étais près de mon oncle Keeon. J'aurais aimé penser que mon oncle serait avec moi pour toujours, que je pourrais toujours me reposer sur lui en cas de besoin jusqu'à la fin de ma vie. Malheureusement, comme j'ai pu le voir avec le décès de ma mère, personne n'est éternel et je devais avouer que ça m'angoissait. C'était probablement ma plus grande peur, celle qui ne me quittait jamais. Tout pouvait arriver de nos jours, encore plus qu'avant. Au moins, dans notre ancienne vie, je ne m'inquiétais pas constamment des risques que nous courions à sortir de chez nous. La perte de ma mère m'avait ouvert les yeux sur la gravité de la situation où nous étions. Nous n'avons fait que fuir depuis l'invasion. Nous ne nous étions jamais reposés, pris de temps pour nous réellement. Je n'avais jamais réellement eu le temps de faire mon deuil, j'avais été trop soucieuse pour ça.

Depuis près de 5 mois, nous avions trouvé un «toit» à la cohorte. Nous avons pu, en quelque sorte, nous reposer, lâcher légèrement la tension et c'est ce qui avait fait que le flot d'émotion que j'avais refoulé, durant notre mois de fuite suite au décès de ma mère, s'écoulait en moi et j'avais de la difficulté à les confronter. Je ne voulais pas y penser, sentir le vide qu'elle avait laissé derrière elle. En même temps, je ne pouvais éloigner son image de moi, je ne voulais pas oublier ses traits du visage si doux, si paisibles, sa voix si douce lorsqu'elle me parlait. Tout était si vif, si aveuglant. J'essayais d'avoir le contrôle sur le flot d'émotions qui se déversait à toute vitesse en moi, mais je n'y arrivais pas. Petit à petit j'allais reprendre le contrôle, je présume. C'est pour ça que cette idée d'apprendre à me défendre avait germé en moi. Peut-être que si j'arrivais à prendre soin de moi-même, je pourrai arrêter d'avoir peur, un tant soit peu.

C'est donc comme ça que je suis arrivée face à mon oncle dans notre petit chez nous pour lui parler de mon idée, aussi improbable pourrait-elle paraître, je tenais à en parler avec lui. Il avait toujours eu mon bien être à cœur, presque plus que du sien. Je ne pouvais prendre une telle décision sans lui en parler. J'étais donc là, près de lui alors qu'il vaquait à ses occupations. Je portais un jean usé et une camisole rouge, une tresse retenait mes cheveux en arrière. Je jouais avec ma tresse tout en cherchant la meilleure entrée en matière pour discuter de mon idée. Je ne me voyais pas trop lui dire que je voulais apprendre à me servir d'une arme sans le préparer. Pour lui, je n'étais encore qu'une petite fille. Je me suis finalement décidée à prendre la parole, quelque peu nerveuse.

« Hum...Kee, tu crois que maman aurait aimée cet endroit ? Je veux dire...comment nous vivons, ce que nous faisons ? »

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Mon introduction était bien piteuse. J'essayais d'y aller en douceur, de passer par des voies déjà dégagées pour pouvoir arriver à mon point final. Malheureusement, je commençais à me rendre compte que j'avais seulement l'air étrange. Mon oncle me connaissait comme personne, je pouvais même maintenant dire qu'il me connaissait mieux que ma propre mère. Keeon connaissait toutes mes moindres manies, mes habitudes, mes goûts...il savait tout de moi. J'avais beau essayer tout ce que je voulais, lui cacher quelque chose se révélait toujours assez complexe. Bien qu'il ne sache pas ce qui se tramait dans ma tête, il pouvait cependant savoir qu'il y avait quelque chose qui clochait chez moi. Comme à ce moment-là. Bien qu'il semblait prendre ma question au sérieux, il n'était pas dupe. Il était intelligent ce grand gaillard. Et pas seulement ça ! Il avait tout pour lui et je me comptais plus que chanceuse de l'avoir tout à moi. Enfin, c'est une manière de parler, comprenons-nous bien. Il est très occupé au sein de la cohorte, mais il s'investi corps et âme dans tout ce qu'il fait et je vois bien qu'il essaie de nous créer un chez nous. Son rythme de vie me fatigue juste à le regarder faire. Je ne comprends pas son métabolisme qui arrive à le suivre tout ce temps sans dormir.

Disons que je lui suis tombée dessus alors qu'il entrait dans notre «chez-nous» du moment. Avant que je prenne la parole, un joli sourire était logé sur ses lèvres, mais ma question sembla le prendre de court et la réflexion vint prendre la place de la joie visible sur son visage. Nous étions certes loin de chez nous et nous avions tous les deux un certain mal du pays, le blues de la métropole comme certains le disent. Nous avons toujours vécu près de l'océan, sous la chaleur, les palmiers, les poissons et les ukulélés. Vous voyez le genre, le tableau typique hawaïen. Vivre en ville comme ça, ce n'était pas nous. Personnellement, j'avais de la difficulté à me sentir comme chez moi. C'était tellement différent notre vie d'avant. En voyant mon oncle s'activer comme ça, je croyais qu'il s'habituait beaucoup mieux que moi à notre nouvelle vie. Cependant, à l'entendre parler, ça ne semblait pas être le cas. Il avait vécu beaucoup plus que longtemps que moi sur ces plages et ces routes ensoleillées, cela devait tout autant lui manquer qu'à moi, sinon plus. En écoutant mon oncle parler de ma mère et de lui-même, je ne pus que lui faire un petit sourire triste.

À entendre la suite du discours de mon oncle, je ne pus que hocher la tête. C'était ce que j'avais moi-même cru. Je n'avais connu ma mère que dans un contexte familial, Keeon la connaissait autrement, de fond en comble. Je m'étais dit que peut-être elle avait une facette cachée qui aurait pu se révéler dans le contexte de survie où nous étions. Malheureusement, ça ne semblait pas être le cas. Je pouvais cependant me dire que j'avais connu ma mère au complet, sans secret. J'avais pu la connaître complètement, sous ses meilleurs côtés, avant que la mort vienne la chercher. Les secrets n'avaient jamais eu leur place dans notre famille et malgré le changement de style de vie, c'était toujours le cas. Je vis le petit sourire de mon oncle revenir rapidement sur ses lèvres alors qu'il me demandait de lui raconter ce que je lui cachais. Je ne pus que rire nerveusement avant de prendre la parole.

« Eh bien...je vois les gens sur le camp agir et je me rends compte que....que je suis dépendante des autres. Tu vois...je peux pas me défendre seule...je me disais, eh bien, que...que je pourrais apprendre à me servir d'une arme....voilà. »

Ce n'était pas du tout mon genre et je le savais parfaitement. Par contre, je me disais que je devais m'adapter, devenir un peu comme tout le monde. Je ne pouvais pas compter sur tout le monde tout le temps, je devais apprendre à me défendre. Malgré toutes les envies que j'avais, Keeon ne pourrait pas toujours être là pour me sauver la peau. N'est-ce pas ?

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